Certaines danses se plaisent à rester dans le cocon de leur terre d’origine, n’évoluant qu’à travers les peuples qui les ont créées. D’autres, au contraire, plus aventureuses, se laissent voyager d’un pays à l’autre, empruntant rythmes et sons, s’enrichissant de nouveaux gestes et mouvements, se renouvelant sans cesse de ces cultures qu’elles traversent. La salsa est un des exemples les plus parlants à ce sujet.
La salsa telle que nous la connaissons actuellement est un genre musical et une danse de couple, apparue au début des années 70 dans la métropole new-yorkaise, dans des ghettos où vivaient les communautés émigrées de la Caraïbe (notamment les jeunes Portoricains). Elle se base sur une improvisation tout en respectant les pas de base. Guidée par le son sous-jacent de la «clave» (deux cylindres en bois entrechoqués qui donne le rythme de base), la salsa appelle à la sensualité, à l’esprit de fête, à la libération des corps. Il y a différentes manières d’aborder la salsa: on peut la danser seul.e face à notre partenaire ou à deux (c’est l’homme qui guide la danse). En rueda (ronde) de casino, la salsa peut se danser avec une multitude de couples en cercle qui se passent les partenaires les uns aux autres. Il existe le style cubain (le plus connu) dont les temps forts sont sur le 1 et le 5, ou le style New York ou portoricain qui se danse à contretemps (sur le 2), etc. La salsa se danse partout dans le monde, faisant fi des frontières, phénomène mondial que tout un chacun peut s’approprier. Mais salsa, d’où viens-tu?
Il serait injuste d’attribuer sa naissance à un certain pays. Cependant, Cuba reste au départ le pays le plus attaché à l’histoire de la salsa. Ses premières influences sont tout d’abord la contredanse, amenée par les colons français après la révolution haïtienne fin XVIIIe siècle. Au contact de la culture cubaine, elle se transforme en contradanza. Un autre facteur fondamental de l’origine de la salsa: les rythmes africains que les esclaves africains, ramenés par les colons espagnols, avaient le droit de conserver dans leurs rites religieux et leur quotidien. Il s’agit surtout d’instruments de percussion, tels que la conga ou le tambourin, qui sont courants dans la salsa et exercent une influence sur les mouvements des danseur.se.s. Vers la seconde moitié du XIXe siècle, l’immigration d’Haïti vers Cuba a également joué un rôle important dans la constitution des rythmes de salsa, apportant une touche de créolisation dans les danses et musiques. Les antécédents les plus directs de la salsa sont donc une combinaison d’influences espagnole, française et africaine, dans une histoire faite de recompositions et de métissages.
C’est avec la vague des immigrants d’Amérique latine aux États-Unis que la salsa va continuer sa longue transformation. Elle ne s’appelle cependant pas encore salsa! En effet, le musicien portoricain Tito Puente (1923-2000) le souligne: « La salsa n’existe pas, ce qu’ils appellent maintenant la salsa est ce que j’ai joué pendant de nombreuses années et qui est, mambo, guaracha, cha cha chá, et guaguancó.» Ce qui devient la salsa se nourrit de ces rythmes cubains traditionnels (son, guaracha et guaguancô) et la liberté d’improvisation du jazz, pour ensuite s’adapter exclusivement à la danse. C’est donc avec cette immigration latine que la salsa va prendre la forme et le nom que nous connaissons aujourd’hui, devenant une identité culturelle commune aux immigrants d’Amérique latine, surtout les Portoricains. En effet, à partir de 1950, après la répression sauvage d’une insurrection nationaliste à Puerto Rico, nous assistons à une émigration massive mais légale de cette population vers les États-Unis. Cependant, malgré leur citoyenneté américaine, ils restent marginalisés: ils sont très bas dans l’échelle sociale, ont souvent des emplois mal rémunérés et font face à la barrière de la langue (ils parlent espagnol dans un pays anglophone) et de la religion (ils sont catholiques dans un pays à majorité protestante). Ils gardent des liens étroits avec leur île d’origine et, selon la chercheure Maya Roy, dans son article «La salsa: processus identitaire des Caribéens de New York », la salsa devient alors cet espace «pour une communauté déracinée et marginalisée (qui) tente de synthétiser son expérience (…) de préserver un héritage en le transformant et de se préserver elle-même de la dissolution. » (Comment ne pas penser aux confrontations entre les Jets – d’origine européennes – et les Sharks – d’origine portoricaine – dans la comédie musicale West Side Story...) Véritable affirmation identitaire pour ces populations de l’époque, de nos jours, la tendance s’inverse et du fait de la généralisation de sa pratique, la salsa apporte d’autres possibilités d’identification. En effet, il se crée un désir d’appartenance de la part des salseros.as non « latin.es» à la culture des Caraïbes; un désir d’appartenir à la salsa mais aussi par extension surtout à Cuba qui reste dans l’imaginaire collectif de beaucoup le berceau de la salsa.
La salsa est prise dans une vague mondiale d’exotisme latino, fédérant les publics de tous âges, toutes classes sociales et toutes nationalités, brisant toutes frontières de l’individualisme et des pays, établissant multiples dialogues entre les musiciens, l’orchestre, les danseur.se.s... Certains tentent de proposer une interprétation plus sobre et festive de la danse, d’autres sont à la recherche de l’excellence dans la performance. On trouve des danseur.se.s qui préfèrent rester fidèles à une manière de danser apprise soi-disant purement latine, quand d’autres n’hésitent pas à injecter dans leur improvisation des pas inspirés par d’autres danses. La quantité incroyable de congrès internationaux et de compétitions relève également de la richesse chorégraphique et interprétative constamment développée. Comme le notent bien les chercheurs Christophe Apprill et Elisabath Dorier Apprill, la salsa est un produit de la «world culture», une danse au cœur de dynamiques culturelles, sociales et même économiques étrangères à leur origine. En d’autres termes, une culture réappropriée par le monde! Alors que le tango, lui aussi pris dans cette vague mondiale, reste fidèle à son berceau, la salsa incarne la «globalisation culturelle» latino-américaine: elle est toujours changeante, s’adaptant aux danseur.se.s qui la pratiquent et aux cultures qui l’accueillent, preuve de la vitalité incroyable de cette latinodanse sans frontière.
Si la salsa est la musique et la danse des exilés qui ont quitté leur île, elle s’est lancée dans le monde qui l’a accueillie avec joie. La salsa est sans cesse renouvelée, aussi bien dans son berceau des Caraïbes qu’à l’international, laissant le mariage de sa latinité et africanité s’exprimer au prisme des autres cultures pour l’enrichir et la renouveler encore et toujours.
La salsa telle que nous la connaissons actuellement est un genre musical et une danse de couple, apparue au début des années 70 dans la métropole new-yorkaise, dans des ghettos où vivaient les communautés émigrées de la Caraïbe (notamment les jeunes Portoricains). Elle se base sur une improvisation tout en respectant les pas de base. Guidée par le son sous-jacent de la «clave» (deux cylindres en bois entrechoqués qui donne le rythme de base), la salsa appelle à la sensualité, à l’esprit de fête, à la libération des corps. Il y a différentes manières d’aborder la salsa: on peut la danser seul.e face à notre partenaire ou à deux (c’est l’homme qui guide la danse). En rueda (ronde) de casino, la salsa peut se danser avec une multitude de couples en cercle qui se passent les partenaires les uns aux autres. Il existe le style cubain (le plus connu) dont les temps forts sont sur le 1 et le 5, ou le style New York ou portoricain qui se danse à contretemps (sur le 2), etc. La salsa se danse partout dans le monde, faisant fi des frontières, phénomène mondial que tout un chacun peut s’approprier. Mais salsa, d’où viens-tu?
Il serait injuste d’attribuer sa naissance à un certain pays. Cependant, Cuba reste au départ le pays le plus attaché à l’histoire de la salsa. Ses premières influences sont tout d’abord la contredanse, amenée par les colons français après la révolution haïtienne fin XVIIIe siècle. Au contact de la culture cubaine, elle se transforme en contradanza. Un autre facteur fondamental de l’origine de la salsa: les rythmes africains que les esclaves africains, ramenés par les colons espagnols, avaient le droit de conserver dans leurs rites religieux et leur quotidien. Il s’agit surtout d’instruments de percussion, tels que la conga ou le tambourin, qui sont courants dans la salsa et exercent une influence sur les mouvements des danseur.se.s. Vers la seconde moitié du XIXe siècle, l’immigration d’Haïti vers Cuba a également joué un rôle important dans la constitution des rythmes de salsa, apportant une touche de créolisation dans les danses et musiques. Les antécédents les plus directs de la salsa sont donc une combinaison d’influences espagnole, française et africaine, dans une histoire faite de recompositions et de métissages.
C’est avec la vague des immigrants d’Amérique latine aux États-Unis que la salsa va continuer sa longue transformation. Elle ne s’appelle cependant pas encore salsa! En effet, le musicien portoricain Tito Puente (1923-2000) le souligne: « La salsa n’existe pas, ce qu’ils appellent maintenant la salsa est ce que j’ai joué pendant de nombreuses années et qui est, mambo, guaracha, cha cha chá, et guaguancó.» Ce qui devient la salsa se nourrit de ces rythmes cubains traditionnels (son, guaracha et guaguancô) et la liberté d’improvisation du jazz, pour ensuite s’adapter exclusivement à la danse. C’est donc avec cette immigration latine que la salsa va prendre la forme et le nom que nous connaissons aujourd’hui, devenant une identité culturelle commune aux immigrants d’Amérique latine, surtout les Portoricains. En effet, à partir de 1950, après la répression sauvage d’une insurrection nationaliste à Puerto Rico, nous assistons à une émigration massive mais légale de cette population vers les États-Unis. Cependant, malgré leur citoyenneté américaine, ils restent marginalisés: ils sont très bas dans l’échelle sociale, ont souvent des emplois mal rémunérés et font face à la barrière de la langue (ils parlent espagnol dans un pays anglophone) et de la religion (ils sont catholiques dans un pays à majorité protestante). Ils gardent des liens étroits avec leur île d’origine et, selon la chercheure Maya Roy, dans son article «La salsa: processus identitaire des Caribéens de New York », la salsa devient alors cet espace «pour une communauté déracinée et marginalisée (qui) tente de synthétiser son expérience (…) de préserver un héritage en le transformant et de se préserver elle-même de la dissolution. » (Comment ne pas penser aux confrontations entre les Jets – d’origine européennes – et les Sharks – d’origine portoricaine – dans la comédie musicale West Side Story...) Véritable affirmation identitaire pour ces populations de l’époque, de nos jours, la tendance s’inverse et du fait de la généralisation de sa pratique, la salsa apporte d’autres possibilités d’identification. En effet, il se crée un désir d’appartenance de la part des salseros.as non « latin.es» à la culture des Caraïbes; un désir d’appartenir à la salsa mais aussi par extension surtout à Cuba qui reste dans l’imaginaire collectif de beaucoup le berceau de la salsa.
La salsa est prise dans une vague mondiale d’exotisme latino, fédérant les publics de tous âges, toutes classes sociales et toutes nationalités, brisant toutes frontières de l’individualisme et des pays, établissant multiples dialogues entre les musiciens, l’orchestre, les danseur.se.s... Certains tentent de proposer une interprétation plus sobre et festive de la danse, d’autres sont à la recherche de l’excellence dans la performance. On trouve des danseur.se.s qui préfèrent rester fidèles à une manière de danser apprise soi-disant purement latine, quand d’autres n’hésitent pas à injecter dans leur improvisation des pas inspirés par d’autres danses. La quantité incroyable de congrès internationaux et de compétitions relève également de la richesse chorégraphique et interprétative constamment développée. Comme le notent bien les chercheurs Christophe Apprill et Elisabath Dorier Apprill, la salsa est un produit de la «world culture», une danse au cœur de dynamiques culturelles, sociales et même économiques étrangères à leur origine. En d’autres termes, une culture réappropriée par le monde! Alors que le tango, lui aussi pris dans cette vague mondiale, reste fidèle à son berceau, la salsa incarne la «globalisation culturelle» latino-américaine: elle est toujours changeante, s’adaptant aux danseur.se.s qui la pratiquent et aux cultures qui l’accueillent, preuve de la vitalité incroyable de cette latinodanse sans frontière.
Si la salsa est la musique et la danse des exilés qui ont quitté leur île, elle s’est lancée dans le monde qui l’a accueillie avec joie. La salsa est sans cesse renouvelée, aussi bien dans son berceau des Caraïbes qu’à l’international, laissant le mariage de sa latinité et africanité s’exprimer au prisme des autres cultures pour l’enrichir et la renouveler encore et toujours.
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