Un nouveau séisme politico-sécuritaire frappe l'Irak. A l'instar d'un pays qui se situe sur plusieurs failles tectoniques, constamment menacé par les tremblements de terre et autres éruptions volcaniques, l'Irak vit un énième épisode d'instabilité. Fragilité du système politique depuis l'invasion américaine de 2003 et la déposition du dictateur Saddam Hussein? Impossible cohabitation entre plusieurs religions, confessions, ethnies et tendances politiques? Un pays victime de l'ingérence des puissances étrangères, qui exploitent ses divisions comme relais pour leurs ambitions politiques? Grogne populaire contre une classe politique corrompue et un niveau de vie médiocre dans un pays pourtant riche en ressources? Le problème irakien tient de tous ces facteurs à la fois, auxquels il faut ajouter, évidemment, l'enjeu pétrolier, un aimant qui attire toutes les convoitises.
Un portrait de Moqtada al-Sadr avec la mention "Leader de la révolution de Achoura", et "petit-fils de Hussein". (AFP)
Dans les faits, l'accès de violence survenue lundi est imputé au mouvement de colère d'une frange du camp chiite, le courant de Moqtada el-Sadr. Le leader religieux, aussi charismatique qu'imprévisible, a remporté une nette victoire électorale lors des élections législatives d'octobre 2021. Son courant devient le premier bloc au Parlement avec 73 sièges sur 329. Sadr prend ainsi sa revanche face à la coalition de ses adversaires du Hachd al-Chaabi, anciens paramilitaires chiites pro-Iran désormais engagés en politique sous la bannière de l'Alliance de la conquête. Cette coalition remporte 17 sièges contre 48 dans l'assemblée sortante. Mauvais perdant, les élus du Hachd dénoncent une "fraude" électorale, et tentent par tous les moyens de priver Sadr des fruits de sa victoire électorale.
Aux multiples factions religieuses, politiques et ethniques, viennent s'ajouter les identités tribales et claniques. Autant de raisons d'instabilité pour l'Irak. (AFP)
Le divorce entre les chiites sadristes, dont le chef critique de plus en plus ouvertement l'ingérence iranienne, et les chiites pro-iraniens est irrévocablement consommé. Après avoir boycotté l'élection du président du Parlement en janvier 2022, le "Cadre de coordination", alliance qui regroupe plusieurs partis autour des factions pro-iraniennes de l'Alliance de la conquête, empêche à trois reprises le Parlement, faute de quorum, d'organiser l'élection du président de la République. L'élection du chef de l'État, poste largement honorifique et traditionnellement réservé à un Kurde, est la première étape avant la désignation du Premier ministre et donc la formation du gouvernement. Celui-ci doit être chiite, selon le partage du pouvoir entre les communautés irakiennes.
Dépité, Sadr annonce la démission de ses 73 députés, et sa volonté de mener la lutte "dans la rue". Premier coup d'éclat, le 27 juillet, les sadristes occupent le Parlement. Lundi, le chef religieux chiite annonce son "retrait définitif" de la vie politique. Ses partisans réinvestissent la rue et occupent le siège du gouvernement. S'en est ensuivi une confrontation meurtrière avec les forces de l'ordre.
Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a réussi à avoir le respect de la communauté internationale par sa modération et son pragmatisme, loin des dérives idéologiques. (AFP)
Interrogé par Ici Beyrouth, Wael Al-Zayat, ancien responsable au Département d'État US et directeur de "Emgage", une organisation qui développe l'engagement politique des musulmans aux États-Unis, a écarté le risque d'une guerre civile généralisée. M. Al-Zayat affirme que les incidents de lundi ne sont qu'un accès de colère qui va finir par se résorber, mais qui entamera la scission entre les deux camps chiites. Une scission initiée par les émeutes meurtrières de 2019, durant lesquelles des manifestants de tous bords protestaient contre l'incurie des politiques et la détérioration du niveau de vie. Les forces de l'ordre, qui avaient incorporé dans leur rang d'anciens paramilitaires pro-iraniens du Hachd el-Chaabi, avaient tiré sur la foule, faisant des dizaines de morts. M. Al-Zayat impute l'instabilité irakienne à la nature clanique et factionnaire de la société irakienne et écarte ainsi toute manipulation étrangère de ces événements.
Un fidèle chiite lors de la commémoration de l'Achoura.
Un avis que ne partage pas la journaliste kurde irakienne Lina Issa. Elle affirme que les mains de l'étranger manipulent à souhait les camps chiites. D'un côté, le camp pro-Iran formé du "Hachd", du Hezbollah irakien, une des factions paramilitaires les plus actives, le parti al-Daawa et toute la constellation qui gravite autour de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki. En face, le courant sadriste, qui a pris ses distances du "Hachd", et qui n'a pas hésité à jouer la carte patriotique en s'opposant aux ingérences de Téhéran. Mme Issa rappelle que Sadr œuvre avec les autres composantes politiques nationales, comme les sunnites et les Kurdes, à réformer les institutions et assurer une coalition stable à la tête du pays. La journaliste va jusqu'à affirmer que le courant sadriste, selon elle, bénéficie, comme les sunnites et les Kurdes, du soutien des pays du Golfe, chapeautés par l'Arabie saoudite, dont la politique est axée sur l'endiguement de la puissance iranienne. En revanche, Mme Issa ne voit aucun lien entre les évènements récents et les négociations concernant l'Accord sur le programme nucléaire iranien (JCPOA), même si les États-Unis participent au soutien dont bénéficient les partis anti-iraniens en Irak.
Des manifestants sadristes détruisant la clôture de sécurité qui entoure la Zone verte de Bagdad. (AFP)
D'autres analystes invitent à accorder plus d'attention au niveau de vie des Irakiens. Le chômage, surtout parmi les jeunes, l'absence ou la carence de services essentiels comme l'eau potable et l'électricité, la corruption de la classe dirigeante et la détérioration du pouvoir d'achat, tout cela pousse la population vers des choix politiques radicaux et fait grossir les rangs des milices. L'Irak souffre ainsi du même mal qui gangrène le Liban: la faiblesse de l'État central qui jette le peuple dans les bras des factions politiques ou religieuses, souvent manipulées par l'Étranger.
Des fidèles chiites participent à la commémoration de l'Achoura, jour du martyre de l'imam Hussein, dans la ville sainte chiite de Kerbala. (AFP)
Un portrait de Moqtada al-Sadr avec la mention "Leader de la révolution de Achoura", et "petit-fils de Hussein". (AFP)
Dans les faits, l'accès de violence survenue lundi est imputé au mouvement de colère d'une frange du camp chiite, le courant de Moqtada el-Sadr. Le leader religieux, aussi charismatique qu'imprévisible, a remporté une nette victoire électorale lors des élections législatives d'octobre 2021. Son courant devient le premier bloc au Parlement avec 73 sièges sur 329. Sadr prend ainsi sa revanche face à la coalition de ses adversaires du Hachd al-Chaabi, anciens paramilitaires chiites pro-Iran désormais engagés en politique sous la bannière de l'Alliance de la conquête. Cette coalition remporte 17 sièges contre 48 dans l'assemblée sortante. Mauvais perdant, les élus du Hachd dénoncent une "fraude" électorale, et tentent par tous les moyens de priver Sadr des fruits de sa victoire électorale.
Aux multiples factions religieuses, politiques et ethniques, viennent s'ajouter les identités tribales et claniques. Autant de raisons d'instabilité pour l'Irak. (AFP)
Le divorce entre les chiites sadristes, dont le chef critique de plus en plus ouvertement l'ingérence iranienne, et les chiites pro-iraniens est irrévocablement consommé. Après avoir boycotté l'élection du président du Parlement en janvier 2022, le "Cadre de coordination", alliance qui regroupe plusieurs partis autour des factions pro-iraniennes de l'Alliance de la conquête, empêche à trois reprises le Parlement, faute de quorum, d'organiser l'élection du président de la République. L'élection du chef de l'État, poste largement honorifique et traditionnellement réservé à un Kurde, est la première étape avant la désignation du Premier ministre et donc la formation du gouvernement. Celui-ci doit être chiite, selon le partage du pouvoir entre les communautés irakiennes.
Dépité, Sadr annonce la démission de ses 73 députés, et sa volonté de mener la lutte "dans la rue". Premier coup d'éclat, le 27 juillet, les sadristes occupent le Parlement. Lundi, le chef religieux chiite annonce son "retrait définitif" de la vie politique. Ses partisans réinvestissent la rue et occupent le siège du gouvernement. S'en est ensuivi une confrontation meurtrière avec les forces de l'ordre.
Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a réussi à avoir le respect de la communauté internationale par sa modération et son pragmatisme, loin des dérives idéologiques. (AFP)
Interrogé par Ici Beyrouth, Wael Al-Zayat, ancien responsable au Département d'État US et directeur de "Emgage", une organisation qui développe l'engagement politique des musulmans aux États-Unis, a écarté le risque d'une guerre civile généralisée. M. Al-Zayat affirme que les incidents de lundi ne sont qu'un accès de colère qui va finir par se résorber, mais qui entamera la scission entre les deux camps chiites. Une scission initiée par les émeutes meurtrières de 2019, durant lesquelles des manifestants de tous bords protestaient contre l'incurie des politiques et la détérioration du niveau de vie. Les forces de l'ordre, qui avaient incorporé dans leur rang d'anciens paramilitaires pro-iraniens du Hachd el-Chaabi, avaient tiré sur la foule, faisant des dizaines de morts. M. Al-Zayat impute l'instabilité irakienne à la nature clanique et factionnaire de la société irakienne et écarte ainsi toute manipulation étrangère de ces événements.
Un fidèle chiite lors de la commémoration de l'Achoura.
Un avis que ne partage pas la journaliste kurde irakienne Lina Issa. Elle affirme que les mains de l'étranger manipulent à souhait les camps chiites. D'un côté, le camp pro-Iran formé du "Hachd", du Hezbollah irakien, une des factions paramilitaires les plus actives, le parti al-Daawa et toute la constellation qui gravite autour de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki. En face, le courant sadriste, qui a pris ses distances du "Hachd", et qui n'a pas hésité à jouer la carte patriotique en s'opposant aux ingérences de Téhéran. Mme Issa rappelle que Sadr œuvre avec les autres composantes politiques nationales, comme les sunnites et les Kurdes, à réformer les institutions et assurer une coalition stable à la tête du pays. La journaliste va jusqu'à affirmer que le courant sadriste, selon elle, bénéficie, comme les sunnites et les Kurdes, du soutien des pays du Golfe, chapeautés par l'Arabie saoudite, dont la politique est axée sur l'endiguement de la puissance iranienne. En revanche, Mme Issa ne voit aucun lien entre les évènements récents et les négociations concernant l'Accord sur le programme nucléaire iranien (JCPOA), même si les États-Unis participent au soutien dont bénéficient les partis anti-iraniens en Irak.
Des manifestants sadristes détruisant la clôture de sécurité qui entoure la Zone verte de Bagdad. (AFP)
D'autres analystes invitent à accorder plus d'attention au niveau de vie des Irakiens. Le chômage, surtout parmi les jeunes, l'absence ou la carence de services essentiels comme l'eau potable et l'électricité, la corruption de la classe dirigeante et la détérioration du pouvoir d'achat, tout cela pousse la population vers des choix politiques radicaux et fait grossir les rangs des milices. L'Irak souffre ainsi du même mal qui gangrène le Liban: la faiblesse de l'État central qui jette le peuple dans les bras des factions politiques ou religieuses, souvent manipulées par l'Étranger.
Des fidèles chiites participent à la commémoration de l'Achoura, jour du martyre de l'imam Hussein, dans la ville sainte chiite de Kerbala. (AFP)
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