Diplomatie de l’eau israélienne: tensions chroniques au plan régional
Marqué par un climat méditerranéen semi-aride, Israël a eu, dès sa création, l’eau comme principale préoccupation. Le boom démographique et l’augmentation du niveau de vie des Israéliens ont en outre accru les besoins en eau. Face à ce défi, les dirigeants israéliens ont dans un premier temps mené une diplomatie de l’eau agressive envers leurs voisins, avant de trouver des solutions alternatives. 

À sa création en 1948, Israël fait face à un territoire pauvre en eau, marqué par un climat méditerranéen semi-aride. L’arrivée massive de populations juives venues s'installer dans le pays va en outre accroitre les besoins en eau.

Le niveau du lac de Tibériade baisse avec les sécheresses (AFP)

 

Les premiers sionistes avaient déjà compris que l’eau constituait un enjeu fondamental pour permettre au futur « foyer juif » de perdurer dans le temps de manière autonome. Ainsi, en 1919, Chaïm Weizman, membre du mouvement sioniste et futur premier président d’Israël, adresse une lettre au Premier ministre britannique, lui demandant d’élargir les limites du futur territoire israélien vers le nord afin d’inclure les eaux du Litani et du Jourdain. « Si la Palestine se trouvait coupée du Litani, du Haut Jourdain et du Yarmouk, elle ne pourrait être indépendante au plan économique », affirme-t-il. Cependant, cette demande fut refusée lors de l’établissement des accords de Sykes-Picot, qui ont défini de nouvelles frontières au Proche-Orient, notamment entre le Liban et la Palestine.

Le Jourdain, qu’Israël partage géographiquement avec la Jordanie et les Territoires palestiniens, va constituer la principale source d’approvisionnement en eau des premières années de l’État hébreu. Bien qu’il soit le principal fleuve d’Israël, le Jourdain a pour sources quatre affluents dont trois d’entre eux (Hasbani, Baniyas et Yarmouk) naissent au Liban et en Syrie, limitant ainsi le contrôle israélien sur le fleuve. La société israélienne Mekorot, créée en 1936 par l’Agence juive, va être chargée de réaliser les aménagements afin d’approvisionner le pays en eau. L’agriculture est alors considérée comme une priorité pour permettre à Israël de devenir un pays autonome. Mais cette politique va provoquer l’ire des populations arabes voisines.
Une diplomatie de l’eau agressive

En 1953, Israël entreprend un projet de dérivation de l’eau du lac de Tibériade. Malgré l’opposition des pays arabes et une tentative de médiation américaine, ce projet est achevé en 1964. Parallèlement, la Jordanie lance le canal du Ghor oriental, pour pouvoir approvisionner le pays en eau. Cependant, Israël s’opposera à l’établissement d’un barrage sur le Yarmouk, limitant les capacités d’approvisionnement en eau de la Jordanie. La Syrie et le Liban tentent alors de détourner les sources du Jourdain. Le Hasbani vers le fleuve Litani pour le Liban et le Baniyas vers le Yarmouk pour la Syrie. Mais Israël bombardera les projets des deux pays.

Dès 1949, Israël nationalise ses ressources hydriques, puis vote en 1959 une loi sur l’eau qui rend toutes les ressources en eau sous le contrôle de l’État. Après la défaite arabe de 1967, la loi sur l’eau s’étend également aux territoires occupés, dont les eaux du Golan syrien. Cette victoire israélienne va être particulièrement importante dans la stratégie hydrique d’Israël. En effet, en occupant le Golan syrien, l’État hébreu peut contrôler et pomper les sources du Baniyas et du Yarmouk, tout en bloquant tout projet hydraulique jordanien ou syrien qui pourrait limiter ses réserves en eau.



 

 

La guerre de 1967 va également permettre à Israël d’assurer un contrôle des réserves hydriques des territoires palestiniens. Ainsi, dès 1967, les ressources en eaux de la Cisjordanie et de Gaza sont placées sous contrôle militaire, puis classées « propriétés de l’État » en 1968. La gestion des eaux palestiniennes va ensuite passer sous le contrôle de la société Mekorot, malgré les revendications palestiniennes. Israël va alors rationner l’eau accordée aux Palestiniens, en prohibant les pompages du Jourdain et en règlementant de manière draconienne le forage de nouveaux puits. D’autant que la profondeur de forage est limitée à 300 mètres pour les Palestiniens contre 1500 mètres pour les Israéliens.

Ainsi, selon l’ONG Amnesty International, « l’accès à l’eau des Palestiniens est toujours contrôlé et restreint par Israël, à un niveau tel qu’il ne permet pas de couvrir les besoins de cette population ». Les restrictions imposées aux Palestiniens vont empêcher l’essor d’une véritable agriculture palestinienne. En outre, les communautés bédouines présentes sur le territoire, et non raccordées au réseau, souffrent également d’un manque d’accès à l’eau.


Les accords d’Oslo (1993-1995) avaient notamment pour objectif de limiter les restrictions israéliennes sur les ressources hydriques et de créer une autorité palestinienne de l’eau. Mais l’échec du processus de paix a bloqué toutes réelles solutions entre les deux parties, d’autant qu’Israël a toujours voulu occulter l’aspect politique de la question de l’eau, l’éliminant ainsi des discussions importantes. Dans la pratique donc, les Palestiniens restent extrêmement dépendants du réseau d’eau israélien.

L'usine de dessalement d'eau de mer de Hadera en Israël (Photo by JACK GUEZ / AFP)

 

Riche en eau, le Liban a longtemps suscité les convoitises israéliennes. Le fleuve Litani et les différentes sources du Jourdain ont été considérés comme des atouts majeurs pour les Israéliens, les autorités israéliennes sont souvent accusées de pomper les eaux du Wazzani. En 1991 également, le ministre israélien de l’Agriculture avait fait part de son opposition au départ des troupes du sud Liban car « perdre le contrôle de ce territoire signifie perdre le contrôle de l’eau ». Et malgré le retrait israélien, le litige concernant les hameaux de Chebaa, qui abritent deux sources d’eau, continue d'opposer les deux pays. Israël reste en outre très fermé à toute tentative libanaise d’exploiter les ressources en eau du sud Liban.
Développement de technologies ambitieuses

Malgré l’acquisition de nouvelles ressources hydriques, notamment grâce au Golan et aux territoires palestiniens, Israël fait cependant face à l’appauvrissement de ses réserves, aggravé par le réchauffement climatique. Face à cette réalité, l’État hébreu a développé de nouvelles technologies afin de pérenniser ses ressources. En agriculture, le développement de nouvelles techniques, telles que l’irrigation au goutte-à-goutte et le choix de céréales adaptées au climat a permis de limiter les dépenses en eau.

Israël a également développé sa politique de l’eau sur deux plans : le recyclage des eaux usées et la mise en place d’usines de dessalement de l’eau de mer. Ainsi, au moins 85% des eaux usées sont désormais recyclées en Israël, et près de 80% de l’eau consommée est issue de cinq usines de dessalement de l’eau de mer. À titre d’exemple, l’usine de Soreq fournit à elle seule la quasi-totalité des besoins de Tel Aviv. Ainsi, Israël est passé d’un pays en stress hydrique à un pays qui possède de l’eau en abondance.

Fort de ces évolutions, le pays a développé un projet ambitieux visant à remplir le lac de Tibériade. Lac d’eau douce le plus grand d’Israël, ce dernier possède également un des niveaux les plus bas de la planète. Le projet vise donc à augmenter le niveau du lac de Tibériade, en le raccordant à cinq usines de dessalement de l’eau. Il devrait être opérationnel en 2023.
Un leadership technologique régional

Les innovations dans le domaine de l’eau vont permettre à Israël de mettre en avant un leadership technologique dans la région. Les accords d’Abraham négociés sous l’égide du président américain Donald Trump vont ainsi ouvrir de nouvelles perspectives économiques aux Israéliens.

Réseau d'eau de l'entreprise israélienne Mekorot pour livrer de l'eau à la Jordanie (Photo by MENAHEM KAHANA / AFP).

 

Ainsi, le 22 novembre 2021, Israël et la Jordanie ont conclu à Dubaï un accord énergétique, le Green Blue Deal, sous l’égide des États-Unis. La ministre de l’Énergie israélienne Karin Elharar a qualifié cet accord de projet « le plus important » signé entre les deux pays depuis le traité de paix de 1994. Il permettra à la Jordanie de combler 20% de ses besoins annuels en eau, en recevant plus de 200 millions de mètres cubes d'eau désalinisée israéliens. En échange, La Jordanie fournira de l’énergie solaire à Israël.

La société israélienne de l’eau Mekorot est désormais réputée pour ses innovations, notamment dans le domaine de l’eau. Fort de ce constat, plusieurs pays arabes dont les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Maroc sont intéressés par les compétences israéliennes en termes de dessalement et de gestion de l’eau. À ce titre, Mekorot a signé en 2021 un accord avec le Bahreïn pour fournir des conseils et des usines de dessalement d’eau. Ainsi, avec le réchauffement climatique, et les sécheresses récurrentes, les partenariats entre Israël et les pays de la région devraient continuer de s’étendre.
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