En retrouvant une simple homélie disparue depuis 1.500 ans, le père Khalil Alwan a ramené à la lumière de notre siècle un souffle vivant de notre passé. Grâce à sa découverte, et à travers cette rencontre inattendue, Saint-Jacques de Saroug est revenu rappeler aux Libanais abattus et cédant au fatalisme, qu’ils sont maîtres de leur destin. Et que la liberté est dans la quintessence de leur foi et au cœur de leur existence et de celle du Liban.
L’Université de Birmingham riche de ses 3.000 manuscrits orientaux, possède un codex syriaque contenant un mimro (homélie) signé de la main d’un illustre inconnu prénommé Mar Yaacouv (Jacques). Ce volume est classé dans la collection Mingana sous le code 87, syriaque occidental, et il est composé de trois livres datés respectivement de 1450, 1681 et 1780.
La classification des anges
Au sujet de l’homélie de ce Mingana Syr. 87, le père kreimiste maronite Khalil Alwan a fait une présentation étonnante aux États-Unis en 2021, pour le 1.500e anniversaire de Saint-Jacques de Saroug, mort en 521. En procédant à des études comparatives fondées sur des critères de terminologie, de style littéraire, d’imagerie et de répétitions thématiques, il a pu démontrer que le quelconque Mar Yaacouv n’était autre que Saint-Jacques de Saroug, évêque de Batnan et grand docteur de l’Église.
Cette homélie n’a jamais été inventoriée comme sarougienne, ni dans le passé par Étienne Évode Assemani, ni récemment par Sebastian Brock. Par sa découverte, le père kreimiste a fait reculer d’un siècle la théorie de la classification des anges qui s’y trouve. Car dans le domaine de l’angélologie, cette théorie avait été depuis toujours considérée comme remontant au début du VIIe siècle puisqu’elle était attribuée au Pseudo-Denys l’Aréopagite. À cet égard, la découverte du père Alwan a révélé non seulement une source plus ancienne, mais elle a aussi permis de savoir que la classification des anges était une conception assez répandue en milieu syriaque et qu’elle remonterait jusqu’au IVᵉ siècle.
La théologie apophatique
La théologie apophatique consiste à définir Dieu en déterminant ce qu’il n’est pas. Elle diffère en cela de la théologie positive ou cataphatique. Ainsi pour l’évêque de Batnan, Dieu n’est pas grand, il est plus que grand; il n’est pas bon, il est plus que bon, etc. Il est inexprimable, inexplicable, incompréhensible, indivisible et insaisissable. Là aussi, il est intéressant de constater que cet évêque puise aux mêmes sources que le Pseudo-Denys l’Aréopagite, mais en le devançant dans le temps.
Selon l’historien du XIIIe siècle Grégoire Bar Hebraeus, Jacques de Saroug aurait composé 763 homélies dont il nous reste 400. Le père Alwan vient de découvrir la 401e, dissimulée dans cette copie manuscrite de Birmingham.
Mimro sur Adam et sur le bien et le mal
Grâce au Vat. Syr. 117, partiellement effacé lors d’un naufrage, et que le père Alwan avait réussi à restituer en grande partie, et grâce à ses larges connaissances sur la riche littérature de ce saint, il a réussi à prouver l’authenticité de l’homélie du Mingana Syr. 87. Les correspondances entre les deux manuscrits s’avéraient frappantes et plaidaient fortement pour une origine commune, un auteur commun, qui ne pouvait être que Jacques de Saroug.
Le Mingana Syr. 87 est composé de trois livres remontant à des époques diverses. Le mimro (homélie) «sur Adam et sur le bien et le mal» est la partie du manuscrit qui est relative à Jacques de Saroug. C’est une homélie inédite composée de 906 vers selon le modèle sarougien dodécasyllabique. C’est là que le docteur du VIe siècle traite de la classification des anges, de la théologie apophatique, de la nature d’Adam, du bien et du mal, et de la théorie du libre arbitre.
Le libre arbitre
Le père Khalil Alwan a constaté que les mimré des deux manuscrits traitaient du concept du libre arbitre. Cette notion était propre à l’école d’Antioche portée sur l’exégèse et sur l’anthropologie qui octroie une place prépondérante à l’Homme, et donc à sa liberté. Les deux homélies du Mingana Syr. 87 et du Vat. Syr. 117 font remonter le libre arbitre à l’origine de l’humanité. Dieu a-t-il créé l’Homme-Adam mortel ou immortel? se demandait l’évêque de Batnan, avant de conclure qu’il a été créé les deux à la fois. Ce sont donc les décisions qu’il pouvait prendre en toute liberté, qui allaient déterminer sa mortalité.
La liberté dans la spiritualité maronite
Cette homélie, égarée depuis le VIᵉ siècle, nous permet de sonder la mentalité syriaque notamment chez les maronites qui se sont toujours transmis les œuvres de Saint-Éphrem et de Saint-Jacques de Saroug dans leurs versions originales. Ces homélies sont encore chantées en langue syriaque dans les monastères et dans les paroisses du Liban. Nous sommes en présence d’une culture vivante qui honore et sacralise le principe de liberté et le place au cœur de l’existence depuis la création d’Adam et de son libre arbitre.
La notion de fatalité ne s’accorde pas avec la pensée maronite héritière de la théologie anthropologique syriaque. Le destin prédéterminé est un concept inacceptable puisqu’il y a toujours la possibilité de changer le cours des événements en faisant le bon choix. Cette opportunité est garantie par la liberté comme valeur inaliénable et inhérente à l’existence.
Les bibliothèques d’Europe
Les bibliothèques d’Europe abondent de collections syriaques inestimables constituées de milliers de volumes orientaux, arméniens, éthiopiens, arabes, hébreux, coptes et syriaques. Le Liban devrait être particulièrement concerné par ces trésors qui recèlent des fragments précieux de son histoire. Les manuscrits syriaques de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne, d’Espagne ou du Vatican, ont été maintes fois visités et revisités par des savants et des chercheurs, mais de manière soit superficielle, soit orientée vers un thème précis. Or c’est dans l’imprévu, dans les marges, qu’abondent les informations capables de combler nos lacunes historiographiques.
Le colophon d’un simple livre de prière ou d’une Bible peut nous renseigner sur l’appartenance d’une église à telle communauté, ou à sa présence dans telle contrée. Il peut mentionner un incendie, un séisme, une agression, un massacre, une déportation, ou une simple donation d’huile d’olive, le transfert d’un champ, une reconstruction d’église, une visite de missionnaires ou de voyageurs. Chaque détail est important. Ce sont des échos et des images de notre passé rempli de souffrances et d’héroïsme, de simplicité, d’humilité et de miracles.
Les bibliothèques syriaques d’Europe ou du Liban forment une mine inépuisable où chaque manuscrit devient un trésor inattendu de renseignements sur un héritage encore fortement méconnu. En retrouvant une simple homélie disparue depuis 1.500 ans, le père Alwan a ramené à la lumière de notre siècle un souffle vivant de notre passé. Grâce à sa découverte, et à travers cette rencontre inattendue, Saint-Jacques de Saroug est revenu rappeler aux Libanais abattus et cédant au fatalisme, qu’ils sont maîtres de leur destin; et que la liberté est dans la quintessence de leur foi et au cœur de leur existence et de celle du Liban.
Le père Khalil Alwan.
Saint-Jacques de Saroug.
Manuscrit syriaque.
Le Mingana Syr. 87.
L’Université de Birmingham riche de ses 3.000 manuscrits orientaux, possède un codex syriaque contenant un mimro (homélie) signé de la main d’un illustre inconnu prénommé Mar Yaacouv (Jacques). Ce volume est classé dans la collection Mingana sous le code 87, syriaque occidental, et il est composé de trois livres datés respectivement de 1450, 1681 et 1780.
La classification des anges
Au sujet de l’homélie de ce Mingana Syr. 87, le père kreimiste maronite Khalil Alwan a fait une présentation étonnante aux États-Unis en 2021, pour le 1.500e anniversaire de Saint-Jacques de Saroug, mort en 521. En procédant à des études comparatives fondées sur des critères de terminologie, de style littéraire, d’imagerie et de répétitions thématiques, il a pu démontrer que le quelconque Mar Yaacouv n’était autre que Saint-Jacques de Saroug, évêque de Batnan et grand docteur de l’Église.
Cette homélie n’a jamais été inventoriée comme sarougienne, ni dans le passé par Étienne Évode Assemani, ni récemment par Sebastian Brock. Par sa découverte, le père kreimiste a fait reculer d’un siècle la théorie de la classification des anges qui s’y trouve. Car dans le domaine de l’angélologie, cette théorie avait été depuis toujours considérée comme remontant au début du VIIe siècle puisqu’elle était attribuée au Pseudo-Denys l’Aréopagite. À cet égard, la découverte du père Alwan a révélé non seulement une source plus ancienne, mais elle a aussi permis de savoir que la classification des anges était une conception assez répandue en milieu syriaque et qu’elle remonterait jusqu’au IVᵉ siècle.
La théologie apophatique
La théologie apophatique consiste à définir Dieu en déterminant ce qu’il n’est pas. Elle diffère en cela de la théologie positive ou cataphatique. Ainsi pour l’évêque de Batnan, Dieu n’est pas grand, il est plus que grand; il n’est pas bon, il est plus que bon, etc. Il est inexprimable, inexplicable, incompréhensible, indivisible et insaisissable. Là aussi, il est intéressant de constater que cet évêque puise aux mêmes sources que le Pseudo-Denys l’Aréopagite, mais en le devançant dans le temps.
Selon l’historien du XIIIe siècle Grégoire Bar Hebraeus, Jacques de Saroug aurait composé 763 homélies dont il nous reste 400. Le père Alwan vient de découvrir la 401e, dissimulée dans cette copie manuscrite de Birmingham.
Mimro sur Adam et sur le bien et le mal
Grâce au Vat. Syr. 117, partiellement effacé lors d’un naufrage, et que le père Alwan avait réussi à restituer en grande partie, et grâce à ses larges connaissances sur la riche littérature de ce saint, il a réussi à prouver l’authenticité de l’homélie du Mingana Syr. 87. Les correspondances entre les deux manuscrits s’avéraient frappantes et plaidaient fortement pour une origine commune, un auteur commun, qui ne pouvait être que Jacques de Saroug.
Le Mingana Syr. 87 est composé de trois livres remontant à des époques diverses. Le mimro (homélie) «sur Adam et sur le bien et le mal» est la partie du manuscrit qui est relative à Jacques de Saroug. C’est une homélie inédite composée de 906 vers selon le modèle sarougien dodécasyllabique. C’est là que le docteur du VIe siècle traite de la classification des anges, de la théologie apophatique, de la nature d’Adam, du bien et du mal, et de la théorie du libre arbitre.
Le libre arbitre
Le père Khalil Alwan a constaté que les mimré des deux manuscrits traitaient du concept du libre arbitre. Cette notion était propre à l’école d’Antioche portée sur l’exégèse et sur l’anthropologie qui octroie une place prépondérante à l’Homme, et donc à sa liberté. Les deux homélies du Mingana Syr. 87 et du Vat. Syr. 117 font remonter le libre arbitre à l’origine de l’humanité. Dieu a-t-il créé l’Homme-Adam mortel ou immortel? se demandait l’évêque de Batnan, avant de conclure qu’il a été créé les deux à la fois. Ce sont donc les décisions qu’il pouvait prendre en toute liberté, qui allaient déterminer sa mortalité.
La liberté dans la spiritualité maronite
Cette homélie, égarée depuis le VIᵉ siècle, nous permet de sonder la mentalité syriaque notamment chez les maronites qui se sont toujours transmis les œuvres de Saint-Éphrem et de Saint-Jacques de Saroug dans leurs versions originales. Ces homélies sont encore chantées en langue syriaque dans les monastères et dans les paroisses du Liban. Nous sommes en présence d’une culture vivante qui honore et sacralise le principe de liberté et le place au cœur de l’existence depuis la création d’Adam et de son libre arbitre.
La notion de fatalité ne s’accorde pas avec la pensée maronite héritière de la théologie anthropologique syriaque. Le destin prédéterminé est un concept inacceptable puisqu’il y a toujours la possibilité de changer le cours des événements en faisant le bon choix. Cette opportunité est garantie par la liberté comme valeur inaliénable et inhérente à l’existence.
Les bibliothèques d’Europe
Les bibliothèques d’Europe abondent de collections syriaques inestimables constituées de milliers de volumes orientaux, arméniens, éthiopiens, arabes, hébreux, coptes et syriaques. Le Liban devrait être particulièrement concerné par ces trésors qui recèlent des fragments précieux de son histoire. Les manuscrits syriaques de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne, d’Espagne ou du Vatican, ont été maintes fois visités et revisités par des savants et des chercheurs, mais de manière soit superficielle, soit orientée vers un thème précis. Or c’est dans l’imprévu, dans les marges, qu’abondent les informations capables de combler nos lacunes historiographiques.
Le colophon d’un simple livre de prière ou d’une Bible peut nous renseigner sur l’appartenance d’une église à telle communauté, ou à sa présence dans telle contrée. Il peut mentionner un incendie, un séisme, une agression, un massacre, une déportation, ou une simple donation d’huile d’olive, le transfert d’un champ, une reconstruction d’église, une visite de missionnaires ou de voyageurs. Chaque détail est important. Ce sont des échos et des images de notre passé rempli de souffrances et d’héroïsme, de simplicité, d’humilité et de miracles.
Les bibliothèques syriaques d’Europe ou du Liban forment une mine inépuisable où chaque manuscrit devient un trésor inattendu de renseignements sur un héritage encore fortement méconnu. En retrouvant une simple homélie disparue depuis 1.500 ans, le père Alwan a ramené à la lumière de notre siècle un souffle vivant de notre passé. Grâce à sa découverte, et à travers cette rencontre inattendue, Saint-Jacques de Saroug est revenu rappeler aux Libanais abattus et cédant au fatalisme, qu’ils sont maîtres de leur destin; et que la liberté est dans la quintessence de leur foi et au cœur de leur existence et de celle du Liban.
Le père Khalil Alwan.
Saint-Jacques de Saroug.
Manuscrit syriaque.
Le Mingana Syr. 87.
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