Mouneh, vin nature, épices… Des grandes surfaces aux marchés fermiers, les produits locaux prennent racine. Un phénomène parti pour durer? Rencontre avec ces acteurs du changement, bien décidés à semer les graines du “Made in Lebanon”.
Vins, condiments de toutes sortes, paniers garnis de miel ou de confiture, pousser la porte de Convivio à Antelias, c’est plonger au coeur même du terroir libanais. Depuis 2019, Mirvat Sarkiss et sa sœur Karine choisissent avec soin les produits qu’elles proposent dans leur magasin. “Lorsque la crise économique a commencé, nous avons décidé de vendre du vin libanais. Nous avons noté que les gens étaient très sensibles au fait que celui-ci était d’origine locale. Nous avons donc décidé d’élargir le concept pour proposer d’autres produits libanais, d’autant que ceux importés devenaient beaucoup plus chers que leurs équivalents locaux”, explique Mirvat.
Depuis la crise financière de 2019, la flambée des prix des importations a en effet poussé les consommateurs à privilégier des alternatives plus abordables et traçables, favorisant l’essor d’une production locale plus diversifiée et moderne. “Convivio a pour mission de soutenir les producteurs locaux, en particulier les petites PME, afin d’aider à créer une économie plus résiliente, capable de tenir debout par elle-même”, insiste Mirvat. Mais au-delà de l’aspect économique, la tendance du local reflète aussi l’exigence croissante du consommateur d’aujourd’hui. “Celui-ci veut connaître l’histoire du produit, ses origines et comment il est fabriqué. La transparence est essentielle pour instaurer la confiance”, analyse l’entrepreneuse. Cette démarche traduit une réappropriation culturelle et identitaire. Dans un pays marqué par l’instabilité, produire et consommer local est donc une façon de valoriser l’authenticité et le lien à la terre. Et les nouvelles marques locales l’ont bien compris.
Plus que de perpétuer un héritage, elles le réinventent pour séduire une nouvelle génération. En lançant the Good Thymes, Fadi Aziz, designer de métier, s’est donné une mission: revisiter le zaatar traditionnel en le déclinant sous des formes modernes et innovantes, tout en restant fidèle à une production à 100% libanaise. “Lorsque la crise a commencé, les entrepreneurs ont réalisé l’importance de créer des produits locaux de haute qualité. Au lieu de proposer les produits traditionnels “ennuyeux”, ils ont commencé à se soucier du branding, de l’innovation et de la création de nouveaux produits. Selon moi, cela a contribué à rendre les consommateurs conscients de la qualité de nos ressources locales.” Avec une image de marque contemporaine et une approche ciblée, le chef d’entreprise a réussi à positionner le zaatar comme un produit “cool” et haut de gamme, prêt à séduire une clientèle internationale, tout en conservant son essence profondément libanaise: “Au final, il ne s’agit pas seulement de vendre un produit, mais d’éduquer les gens à la valeur et à la provenance de ce qu’ils consomment.”
Lancée par une génération sensibilisée aux problématiques locales et mondiales, cette croissance du “Made in Lebanon” reflète aussi certaines préoccupations contemporaines, notamment en matière d’inclusivité et de respect de l’environnement. “Nous faisons en sorte que notre production respecte l’écosystème et soutiennne la communauté locale, notamment les personnes susceptibles d’être marginalisées”, explique Claudine Lteif. En 2022, elle lance Heya Wines (Heya signifie “elle” en arabe), aux côtés de son amie Michelle Chami. Un collectif entièrement féminin de productrices de vin nature – c'est-à-dire sans ajout de sulfites lors de la vinification. Au cœur du projet: l'émancipation féminine dans un secteur historiquement dominé par les hommes, où les rares femmes sont souvent bien moins payées. “Nous avons voulu créer un produit qui porte un message d’autonomisation. Nous ne voulons pas que les gens se contentent de boire notre vin, mais qu’ils comprennent l’histoire qu’il y a derrière.” Sur les étiquettes des bouteilles, les visages de ces femmes, réfugiées syriennes, devenues leur seconde famille. À l’intérieur, un vin 100% artisanal. “Nous faisons tout nous-même. Nous récoltons, nous pressons les raisins, nous broyons, nous mettons en bouteille, nous fermentons, nous étiquetons à la main. Tout est de plus en plus commercial de nos jours. Mais le vin nature est différent. Nous y mettons notre âme. Et cela fait une différence auprès du consommateur”, explique Claudine, tout en rappelant que ces pratiques sont aussi plus respectueuses de l’environnement.
Ce paramètre est essentiel pour Beit Mouné. La marque, dont les produits sont choisis avec soin auprès de fermiers basés aux quatre coins du pays, se distingue par son engagement pour la durabilité: “Notre objectif n’est pas seulement de peaufiner le goût, mais de nous assurer que l’ensemble du processus de production respecte l’environnement et de soutenir les agriculteurs locaux”, explique Tarek Merhem, le manager. Mettre en lumière leur travail tout en maintenant des prix de vente abordables peut parfois relever du défi, mais pour lui, cet équilibre est essentiel. “Nos produits sont proposés à des prix compétitifs, généralement 20 à 30% moins chers que les marques étrangères. Pour que le marché local prospère, nous devons nous assurer que nos produits sont accessibles à tous, et pas seulement à une élite”, souligne-t-il.
En répondant à des enjeux à la fois économiques, sociaux et environnementaux, ces nouvelles marques, à l’avant-garde de cette révolution locale, incarnent un renouveau du “Made in Lebanon” qui germe et s’épanouit au sein d’une tendance mondiale. Malgré les crises successives, elles réenracinent un mode de consommation, entre modernité et tradition, innovation et terroir.
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