Dans le premier volet de sa série, Mondafrique revient sur les financements occultes du Hezbollah, un des deux mouvements chiites libanais, et de loin le plus radical dans ses options régionales favorables à la Syrie et à l’Iran.
Le trésor de guerre caché du Hezbollah que personne ne peut chiffrer a permis à cette milice armée de devenir un des principaux partis libanais et d’exercer une sorte de droit de veto sur le choix, d’ici à la fin du mois d’octobre 2022, du futur président libanais qui appartiendra, en raison d’une tradition constante, à la communauté chrétienne maronite.
Nos articles sur les fonds secrets du Hezbollah doivent beaucoup aux recherches d’Yves Mamou, un ancien journaliste du Monde, auteur d’un livre fort instructif, «Hezbollah, dernier acte» (Édition Plein Jour) et qui a autorisé Mondafrique à reprendre un certain nombre d’éléments factuels de son excellent travail.
POur armer et rétribuer des milliers de miliciens, le Hezbollah a besoin de collecter des fonds considérables
Le mouvement créé dans les années 1980 a acquis, quarante ans plus tard, une influence décisive à la veille de l’élection présidentielle libanaise qui doit avoir lieu cet automne. Or le vainqueur de ce scrutin, issu de la communauté chrétienne en raison d’une tradition solidement établie depuis la fin du mandat français en 1943, doit être le résultat d’une forme de compromis avec la force chiite devenue un parti populiste aux pratiques bien peu démocratiques.
Si le Hezbollah s’est imposé au sein de l’État libanais en quelques dizaines d’années, c’est en raison d’un talent indéniable à adopter les codes de la classe politique libanaise. Mais le mouvement chiite doit surtout sa percée à l’acquisition de fonds occultes considérables. Cet argent trouble, voire carrément sale, lui a permis d’affiner son positionnement face à l’opinion publique libanaise, à travers deux atouts majeurs: une logique guerrière anti-israélienne qui ne s’est jamais démentie et une solidarité communautaire qui lui a permis de se substituer à un État libanais défaillant.
le Hezbollah a toujours justifié le recrutement de milliers de miliciens armées par « la résistance » contre l’ennemi sioniste
Cet été, la dénonciation du sionisme par le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah aura été plus vive que jamais. Alors qu’aucun accord ne se dessine sur le partage des champs pétroliers et gaziers entre Israël et le Liban, le «Guide» a martelé dans des discours enflammés que le Hezbollah était prêt à entrer en guerre pour défendre les intérêts vitaux du pays.
Le Hezbollah a toujours imposé, malgré les résolutions de l’ONU sur le Liban (1559 et 1701), le recrutement de milliers de miliciens par «la résistance» contre l’ennemi sioniste. Son chef prétend être à la tête de 100 000 miliciens armés. Un chiffre qui serait plus proche de 20 000 à 25 000, ce qui au sein d’une population de quatre millions de Libanais reste considérable.
Riad el-Assaad
Dans le sud du Liban, base arrière des chiites, envahi deux fois par les Israéliens en 1982 et en 2006, les populations restent sensibles à de tels mots d’ordre. «Le Hezbollah, confie Riad el-Assaad, héritier d’une grande famille du Liban-Sud et opposant résolu au parti chiite lors des quatre derniers scrutins législatifs, a réussi à amalgamer l’identité du sud du pays avec l’identité de son combat. L’idée de résistance n’est pas à la base une idée qui lui appartient. Et pourtant il s’est crédité d’une telle résistance». Au point que cet opposant courageux au Hezbollah pense qu’il serait prématuré de désarmer les miliciens du mouvement chiite, un bouclier malgré tout contre les visées israéliennes.
Les Libanais qui ont laissé voter une incroyable loi qui considère comme un délit toute rencontre avec un citoyen israélien, restent pour la plupart d’un nationalisme ombrageux. La cause palestinienne est sinon omniprésente, du moins sacralisée.
Le deuxième fonds de commerce du parti pro-iranien est sa capacité à distribuer des aides et des emplois à ses sympathisants. Pour combattre l’extrême paupérisation de la population libanaise, le Hezbollah a ouvert des magasins bien achalandés auxquels seuls ses partisans ont accès. Là encore, cette économie parallèle est une bouée de sauvetage pour un pays dont l’endettement est proche de 85 milliards de dollars, soit 155% du PIB – au troisième rang des pays les plus endettés au monde, derrière le Japon et la Grèce.
Quel est le véritable budget du Hezbollah pour financer l’effort de guerre contre Israël et l’aide considérable aux plus démunis dans ses fiefs du Sud et de la Békaa? Le montant en cause relève du secret Défense. D’où viennent ces fonds qui permettent à la formation chiite de se substituer à un État défaillant? Autant de questions que la presse libanaise n’ose guère poser dans un pays où l’usage de la violence par le Hezbollah distille une peur diffuse mais bien réelle, notamment dans les milieux de presse. À l’image de ce blogueur très investi dans les mobilisations populaires de ces dernières années qui n’hésite pas à dénoncer les turpitudes du président Michel Aoun et de son gendre, chef du courant chrétien pro-Hezbollah, le CPL, mais qui reste prudent quand il s’agit des miliciens chiites eux-mêmes: «Nasrallah et ses sbires, explique-t-il, il vaut mieux s’en moquer mais sans les attaquer de front, surtout en matière financière».
En 2021, l’écrivain et éditeur Lokman Slim, adversaire farouche au Hezbollah, a été retrouvé mort au Liban-Sud
Attention aux attentats ciblés!
À Beyrouth, les journalistes craignent légitimement d’aller sur ce terrain face à un parti qui n’a jamais reculé devant des attentats ciblés. Ainsi en 2021, l’écrivain et éditeur Lokman Slim, adversaire farouche du Hezbollah, a été retrouvé mort au Liban-Sud. Le corps de ce courageux intellectuel chiite, retrouvé abandonné dans une voiture de location, une Toyota Corolla à Zahrani au coeur du Liban-Sud, avait été atteint de cinq balles, quatre à la tête et une au dos. L’assassinat aura été le fait de professionnels qui n’ont jamais été retrouvés.
En Europe, peu de médias enquêtent sur les turpitudes du Hezbollah. Son hostilité au sionisme a longtemps suscité une attitude de sympathie dans de larges cercles politiques ou journalistiques. Sans évoquer ces diplomates français sensibles à la glorieuse politique arabe du général Charles de Gaulle dénonçant «le peuple juif sûr de lui-même et dominateur».
À Paris et jusqu’au plus haut sommet de l’État français, on n’a pas voulu voir la transformation d’un mouvement de résistance à l’envahisseur israélien en une milice armée aux ordres de la dictature iranienne. Au plus haut niveau de l’État français, on feint l’ignorance.
Lors de sa première tournée au Liban, deux jours après l’explosion au port durant l’été 2020, le président français Emmanuel Macron négocie discrètement quelques arrangements avec le monde politique libanais. Dans un livre fort bien documenté, les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot en racontent les coulisses. Lorsqu’il reçoit les chefs des partis à la Résidence des pins qui est celle de l’ambassadeur de France, le président français croise Mohammed Raad, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, le parti chiite proche de l’Iran totalement clivant sur la scène politique libanaise. «Je compte sur vous pour nous aider et me faire réussir ma mission», lui confie Emmanuel Macron avant un échange assez vif avec les leaders de l’opposition maronite, Samy Gemayel et Samir Geagea. «Comment peut-on construire une stratégie de redressement du Liban sans parler des armes du Hezbollah», demandent ces derniers au président français. «Mais cela fait des années que vous parlez des armes du Hezbollah, est ce que vous êtes arrivés à un résultat?», leur répond avec une totale mauvaise foi le représentant de la France.
Or ces armes sophistiquées tournées notamment contre les Israéliens supposent des financements considérables assurés notamment par l’Iran et la Syrie, les deux «parrains» régionaux du Hezbollah.
Les photos montrant le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, au-côté du guide suprême iranien Ali Khamenei, sont extrêmement rares. Les voici sur une image publiée en 2019 par le site officiel du Guide iranien, en compagnie du chef de la brigade al-Qods au sein des Gardiens de la révolution, le général iranien Kassem Souleimani. Aucun détail n’a été donné concernant le lieu et la date à laquelle cette photo a été prise
L’Iran: 700 millions de dollars par an
Comment se voiler les yeux? L’Iran finance le Hezbollah à hauteur de 700 millions de dollars par an, selon des propos de l’adjointe du secrétaire d’État américain, en charge de la lutte contre le terrorisme, Sigal Mandelker.
«L’Iran fournit jusqu’à 700 millions de dollars par an au Hezbollah, soit plus du triple de la somme de 200 millions de dollars annuels que Téhéran débloquait au profit du parti chiite avant son intervention en Syrie», a déclaré Mme Mandelker, s’exprimant dans les locaux du think-tank américain Foundation for Defence of Democracies (Fondation pour la défense des démocraties), proche des néo-conservateurs.
Dès 2002, alors que le mouvement bénéficiait d’une protection des troupes d’occupation syriennes, l’école d’entraînement militaire de la plaine de la Békaa était déjà financée par l’Iran. Dans l’une des rares études sur le financement du Hezbollah, le chercheur Matthew Levitt estimait que l’Iran finançait déjà à l’époque les activités militaires des chiites libanais, à hauteur de 100 à 200 millions de dollars par an. Recrues du Hezbollah, militants du Hamas ou du Jihad islamique ont été formés ainsi à la pose d’explosifs, au combat rapproché et à l’usage et à la construction de roquettes. Le tout placé sous le patronage direct du général Ali Reza Tamza, alors chef du corps des Gardiens de la révolution iranienne.
En 2006, les trois cents millions de dollars qui ont servi à la reconstruction du Liban-Sud, après la guerre de juillet, provenaient de l’Iran. À l’époque, le Hezbollah n’en a pas fait mystère. Cette aide d’envergure est venue s’ajouter aux subventions habituelles.
À ces fonds en cash, s’ajoutent des aides en nature plus difficilement quantifiables comme la fourniture de milliers de missiles, la formation des miliciens au maniement des bombes volantes, le soutien logistique, les études de terrassement pour la construction de centres de commandement et d’abris souterrains, le stockage d’armes et même des subventions pour la diffusion de la chaîne de télévision du parti, al-Manar.
Les aides financières de l’Iran permettent également au Hezbollah de sponsoriser des milices palestiniennes. Ce qui permet au parti chiite de monter des opérations anti-israéliennes dans le monde entier. Bénéfice collatéral, le Hezbollah est parvenu à empêcher l’émergence de groupes inféodés à Daech, traditionnellement hostiles au chiisme, malgré la longue frontière du Liban avec la Syrie où prospèrent les groupes sunnites extrémistes. Le parti pro-iranien peut ainsi se présenter aux yeux des Occidentaux comme un solide rempart contre la menace jihadiste.
Le Hezbollah dont on voit les piliciens combattantsen Syrie prète main forte au régime syrien dans sa féroce répression contre les opposants démocrates et es groupes jihadistes
Les trafics vers la Syrie
Une autre source principale de financement du Hezbollah ces dernières années aura été la contrebande vers la Syrie, deuxième «parrain» du parti chiite dans la région. Une politique de subvention à grande échelle a été imposée à la Banque du Liban, portant sur des produits de première nécessité, tels que l’essence, la farine et même les médicaments. Le Hezbollah a profité de ces subventions pour parrainer une vaste contrebande de ces produits vers la Syrie du fait de la différence des prix. A un point tel, que le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé devait déclarer au quotidien Le Figaro que «depuis 2017, le Liban importe pour deux pays, le Liban et la Syrie». L’ancien vice-gouverneur de la BDL Nasser Saïdi a abondé dans le même sens en précisant sur les réseaux sociaux que le Liban importait des carburants subventionnés «trois fois plus que ses besoins pour la consommation interne».
Le président de la commission parlementaire des Finances Ibrahim Kanaan a été encore plus explicite en indiquant, au cours d’une séance parlementaire, en mars 2021, que «les politiques de subvention des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont coûté (au Trésor) 11 milliards de dollars par an»… Un chiffre qui en dit long sur les rentrées dont profitait le Hezbollah du fait qu’il parrainait toutes les activités de contrebande organisées le long de frontière poreuse dans le nord du Liban avec la Syrie, par le biais de plusieurs voies de passage qui échappent à tout contrôle de l’État.
Une collecte mondialisée
Au-delà des aides de l’Iran et de la Syrie, les deux forces régionales qui le protègent et le financent, la force du Hezbollah est de collecter des fonds dans le monde entier, via une diaspora riche et entreprenante. Rien de plus simple que de rapatrier des valises d’argent via l’aéroport de Beyrouth devenu le plus grand site de transit de cash du monde.
Le 13 juillet 2009, la Fondation européenne pour la démocratie, basée à Bruxelles, s’est indignée dans un communiqué de la liberté qu’avait le Hezbollah de collecter des fonds en Allemagne au profit de ses «œuvres» au Liban. Le projet «orphelins du Liban», basé à Gottingen en Allemagne, a permis d’envoyer des dons de résidents allemands à l’association libanaise «al-Chahid», proche du parti chiite. Laquelle a pour objectif de susciter l’évocation des martyrs auprès de groupes d’enfants. En Allemagne, les dons sont déductibles des impôts. Une façon par laquelle l’administration allemande subventionne ainsi indirectement le Hezbollah.
Aux États-Unis, la ville de Chicago connaît une forte concentration musulmane, dont beaucoup de sympathisants du Hezbollah, qui organisent des projections à domicile de films tournés par la chaîne al-Manar. À la fin de la projection, un panier circule ; des dollars sont ainsi collectés qui bénéficient aux «familles des victimes du conflit avec Israël».
En Argentine, un bon exemple de l’action du Hezbollah est fourni par les attentats commis le 18 juillet 1994. Quatre-vingt-cinq personnes ont trouvé la mort dans une explosion. Les détails sont connus aujourd’hui grâce à la défection d’un agent iranien de haut rang. L’opération avait été planifiée dans les plus petits détails. D’où ce don de 10 millions de dollars au président argentin Carlos Menem, afin que ce dernier calme les ardeurs de la police. En Argentine toujours, Mario Baizan, ancien conseiller à la présidence, affirme que la ville de Ciudad El Este est le plus important centre de financement du Hezbollah.
Le trésor de guerre caché du Hezbollah que personne ne peut chiffrer a permis à cette milice armée de devenir un des principaux partis libanais et d’exercer une sorte de droit de veto sur le choix, d’ici à la fin du mois d’octobre 2022, du futur président libanais qui appartiendra, en raison d’une tradition constante, à la communauté chrétienne maronite.
Nos articles sur les fonds secrets du Hezbollah doivent beaucoup aux recherches d’Yves Mamou, un ancien journaliste du Monde, auteur d’un livre fort instructif, «Hezbollah, dernier acte» (Édition Plein Jour) et qui a autorisé Mondafrique à reprendre un certain nombre d’éléments factuels de son excellent travail.
POur armer et rétribuer des milliers de miliciens, le Hezbollah a besoin de collecter des fonds considérables
Le mouvement créé dans les années 1980 a acquis, quarante ans plus tard, une influence décisive à la veille de l’élection présidentielle libanaise qui doit avoir lieu cet automne. Or le vainqueur de ce scrutin, issu de la communauté chrétienne en raison d’une tradition solidement établie depuis la fin du mandat français en 1943, doit être le résultat d’une forme de compromis avec la force chiite devenue un parti populiste aux pratiques bien peu démocratiques.
Si le Hezbollah s’est imposé au sein de l’État libanais en quelques dizaines d’années, c’est en raison d’un talent indéniable à adopter les codes de la classe politique libanaise. Mais le mouvement chiite doit surtout sa percée à l’acquisition de fonds occultes considérables. Cet argent trouble, voire carrément sale, lui a permis d’affiner son positionnement face à l’opinion publique libanaise, à travers deux atouts majeurs: une logique guerrière anti-israélienne qui ne s’est jamais démentie et une solidarité communautaire qui lui a permis de se substituer à un État libanais défaillant.
le Hezbollah a toujours justifié le recrutement de milliers de miliciens armées par « la résistance » contre l’ennemi sioniste
L’obsession anti-israélienne
Cet été, la dénonciation du sionisme par le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah aura été plus vive que jamais. Alors qu’aucun accord ne se dessine sur le partage des champs pétroliers et gaziers entre Israël et le Liban, le «Guide» a martelé dans des discours enflammés que le Hezbollah était prêt à entrer en guerre pour défendre les intérêts vitaux du pays.
Le Hezbollah a toujours imposé, malgré les résolutions de l’ONU sur le Liban (1559 et 1701), le recrutement de milliers de miliciens par «la résistance» contre l’ennemi sioniste. Son chef prétend être à la tête de 100 000 miliciens armés. Un chiffre qui serait plus proche de 20 000 à 25 000, ce qui au sein d’une population de quatre millions de Libanais reste considérable.
Riad el-Assaad
Dans le sud du Liban, base arrière des chiites, envahi deux fois par les Israéliens en 1982 et en 2006, les populations restent sensibles à de tels mots d’ordre. «Le Hezbollah, confie Riad el-Assaad, héritier d’une grande famille du Liban-Sud et opposant résolu au parti chiite lors des quatre derniers scrutins législatifs, a réussi à amalgamer l’identité du sud du pays avec l’identité de son combat. L’idée de résistance n’est pas à la base une idée qui lui appartient. Et pourtant il s’est crédité d’une telle résistance». Au point que cet opposant courageux au Hezbollah pense qu’il serait prématuré de désarmer les miliciens du mouvement chiite, un bouclier malgré tout contre les visées israéliennes.
Les Libanais qui ont laissé voter une incroyable loi qui considère comme un délit toute rencontre avec un citoyen israélien, restent pour la plupart d’un nationalisme ombrageux. La cause palestinienne est sinon omniprésente, du moins sacralisée.
Le deuxième fonds de commerce du parti pro-iranien est sa capacité à distribuer des aides et des emplois à ses sympathisants. Pour combattre l’extrême paupérisation de la population libanaise, le Hezbollah a ouvert des magasins bien achalandés auxquels seuls ses partisans ont accès. Là encore, cette économie parallèle est une bouée de sauvetage pour un pays dont l’endettement est proche de 85 milliards de dollars, soit 155% du PIB – au troisième rang des pays les plus endettés au monde, derrière le Japon et la Grèce.
Quel est le véritable budget du Hezbollah pour financer l’effort de guerre contre Israël et l’aide considérable aux plus démunis dans ses fiefs du Sud et de la Békaa? Le montant en cause relève du secret Défense. D’où viennent ces fonds qui permettent à la formation chiite de se substituer à un État défaillant? Autant de questions que la presse libanaise n’ose guère poser dans un pays où l’usage de la violence par le Hezbollah distille une peur diffuse mais bien réelle, notamment dans les milieux de presse. À l’image de ce blogueur très investi dans les mobilisations populaires de ces dernières années qui n’hésite pas à dénoncer les turpitudes du président Michel Aoun et de son gendre, chef du courant chrétien pro-Hezbollah, le CPL, mais qui reste prudent quand il s’agit des miliciens chiites eux-mêmes: «Nasrallah et ses sbires, explique-t-il, il vaut mieux s’en moquer mais sans les attaquer de front, surtout en matière financière».
En 2021, l’écrivain et éditeur Lokman Slim, adversaire farouche au Hezbollah, a été retrouvé mort au Liban-Sud
Attention aux attentats ciblés!
À Beyrouth, les journalistes craignent légitimement d’aller sur ce terrain face à un parti qui n’a jamais reculé devant des attentats ciblés. Ainsi en 2021, l’écrivain et éditeur Lokman Slim, adversaire farouche du Hezbollah, a été retrouvé mort au Liban-Sud. Le corps de ce courageux intellectuel chiite, retrouvé abandonné dans une voiture de location, une Toyota Corolla à Zahrani au coeur du Liban-Sud, avait été atteint de cinq balles, quatre à la tête et une au dos. L’assassinat aura été le fait de professionnels qui n’ont jamais été retrouvés.
En Europe, peu de médias enquêtent sur les turpitudes du Hezbollah. Son hostilité au sionisme a longtemps suscité une attitude de sympathie dans de larges cercles politiques ou journalistiques. Sans évoquer ces diplomates français sensibles à la glorieuse politique arabe du général Charles de Gaulle dénonçant «le peuple juif sûr de lui-même et dominateur».
À Paris et jusqu’au plus haut sommet de l’État français, on n’a pas voulu voir la transformation d’un mouvement de résistance à l’envahisseur israélien en une milice armée aux ordres de la dictature iranienne. Au plus haut niveau de l’État français, on feint l’ignorance.
Lors de sa première tournée au Liban, deux jours après l’explosion au port durant l’été 2020, le président français Emmanuel Macron négocie discrètement quelques arrangements avec le monde politique libanais. Dans un livre fort bien documenté, les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot en racontent les coulisses. Lorsqu’il reçoit les chefs des partis à la Résidence des pins qui est celle de l’ambassadeur de France, le président français croise Mohammed Raad, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, le parti chiite proche de l’Iran totalement clivant sur la scène politique libanaise. «Je compte sur vous pour nous aider et me faire réussir ma mission», lui confie Emmanuel Macron avant un échange assez vif avec les leaders de l’opposition maronite, Samy Gemayel et Samir Geagea. «Comment peut-on construire une stratégie de redressement du Liban sans parler des armes du Hezbollah», demandent ces derniers au président français. «Mais cela fait des années que vous parlez des armes du Hezbollah, est ce que vous êtes arrivés à un résultat?», leur répond avec une totale mauvaise foi le représentant de la France.
Or ces armes sophistiquées tournées notamment contre les Israéliens supposent des financements considérables assurés notamment par l’Iran et la Syrie, les deux «parrains» régionaux du Hezbollah.
Les photos montrant le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, au-côté du guide suprême iranien Ali Khamenei, sont extrêmement rares. Les voici sur une image publiée en 2019 par le site officiel du Guide iranien, en compagnie du chef de la brigade al-Qods au sein des Gardiens de la révolution, le général iranien Kassem Souleimani. Aucun détail n’a été donné concernant le lieu et la date à laquelle cette photo a été prise
L’Iran: 700 millions de dollars par an
Comment se voiler les yeux? L’Iran finance le Hezbollah à hauteur de 700 millions de dollars par an, selon des propos de l’adjointe du secrétaire d’État américain, en charge de la lutte contre le terrorisme, Sigal Mandelker.
«L’Iran fournit jusqu’à 700 millions de dollars par an au Hezbollah, soit plus du triple de la somme de 200 millions de dollars annuels que Téhéran débloquait au profit du parti chiite avant son intervention en Syrie», a déclaré Mme Mandelker, s’exprimant dans les locaux du think-tank américain Foundation for Defence of Democracies (Fondation pour la défense des démocraties), proche des néo-conservateurs.
Dès 2002, alors que le mouvement bénéficiait d’une protection des troupes d’occupation syriennes, l’école d’entraînement militaire de la plaine de la Békaa était déjà financée par l’Iran. Dans l’une des rares études sur le financement du Hezbollah, le chercheur Matthew Levitt estimait que l’Iran finançait déjà à l’époque les activités militaires des chiites libanais, à hauteur de 100 à 200 millions de dollars par an. Recrues du Hezbollah, militants du Hamas ou du Jihad islamique ont été formés ainsi à la pose d’explosifs, au combat rapproché et à l’usage et à la construction de roquettes. Le tout placé sous le patronage direct du général Ali Reza Tamza, alors chef du corps des Gardiens de la révolution iranienne.
En 2006, les trois cents millions de dollars qui ont servi à la reconstruction du Liban-Sud, après la guerre de juillet, provenaient de l’Iran. À l’époque, le Hezbollah n’en a pas fait mystère. Cette aide d’envergure est venue s’ajouter aux subventions habituelles.
À ces fonds en cash, s’ajoutent des aides en nature plus difficilement quantifiables comme la fourniture de milliers de missiles, la formation des miliciens au maniement des bombes volantes, le soutien logistique, les études de terrassement pour la construction de centres de commandement et d’abris souterrains, le stockage d’armes et même des subventions pour la diffusion de la chaîne de télévision du parti, al-Manar.
Les aides financières de l’Iran permettent également au Hezbollah de sponsoriser des milices palestiniennes. Ce qui permet au parti chiite de monter des opérations anti-israéliennes dans le monde entier. Bénéfice collatéral, le Hezbollah est parvenu à empêcher l’émergence de groupes inféodés à Daech, traditionnellement hostiles au chiisme, malgré la longue frontière du Liban avec la Syrie où prospèrent les groupes sunnites extrémistes. Le parti pro-iranien peut ainsi se présenter aux yeux des Occidentaux comme un solide rempart contre la menace jihadiste.
Le Hezbollah dont on voit les piliciens combattantsen Syrie prète main forte au régime syrien dans sa féroce répression contre les opposants démocrates et es groupes jihadistes
Les trafics vers la Syrie
Une autre source principale de financement du Hezbollah ces dernières années aura été la contrebande vers la Syrie, deuxième «parrain» du parti chiite dans la région. Une politique de subvention à grande échelle a été imposée à la Banque du Liban, portant sur des produits de première nécessité, tels que l’essence, la farine et même les médicaments. Le Hezbollah a profité de ces subventions pour parrainer une vaste contrebande de ces produits vers la Syrie du fait de la différence des prix. A un point tel, que le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé devait déclarer au quotidien Le Figaro que «depuis 2017, le Liban importe pour deux pays, le Liban et la Syrie». L’ancien vice-gouverneur de la BDL Nasser Saïdi a abondé dans le même sens en précisant sur les réseaux sociaux que le Liban importait des carburants subventionnés «trois fois plus que ses besoins pour la consommation interne».
Le président de la commission parlementaire des Finances Ibrahim Kanaan a été encore plus explicite en indiquant, au cours d’une séance parlementaire, en mars 2021, que «les politiques de subvention des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont coûté (au Trésor) 11 milliards de dollars par an»… Un chiffre qui en dit long sur les rentrées dont profitait le Hezbollah du fait qu’il parrainait toutes les activités de contrebande organisées le long de frontière poreuse dans le nord du Liban avec la Syrie, par le biais de plusieurs voies de passage qui échappent à tout contrôle de l’État.
Une collecte mondialisée
Au-delà des aides de l’Iran et de la Syrie, les deux forces régionales qui le protègent et le financent, la force du Hezbollah est de collecter des fonds dans le monde entier, via une diaspora riche et entreprenante. Rien de plus simple que de rapatrier des valises d’argent via l’aéroport de Beyrouth devenu le plus grand site de transit de cash du monde.
Le 13 juillet 2009, la Fondation européenne pour la démocratie, basée à Bruxelles, s’est indignée dans un communiqué de la liberté qu’avait le Hezbollah de collecter des fonds en Allemagne au profit de ses «œuvres» au Liban. Le projet «orphelins du Liban», basé à Gottingen en Allemagne, a permis d’envoyer des dons de résidents allemands à l’association libanaise «al-Chahid», proche du parti chiite. Laquelle a pour objectif de susciter l’évocation des martyrs auprès de groupes d’enfants. En Allemagne, les dons sont déductibles des impôts. Une façon par laquelle l’administration allemande subventionne ainsi indirectement le Hezbollah.
Aux États-Unis, la ville de Chicago connaît une forte concentration musulmane, dont beaucoup de sympathisants du Hezbollah, qui organisent des projections à domicile de films tournés par la chaîne al-Manar. À la fin de la projection, un panier circule ; des dollars sont ainsi collectés qui bénéficient aux «familles des victimes du conflit avec Israël».
En Argentine, un bon exemple de l’action du Hezbollah est fourni par les attentats commis le 18 juillet 1994. Quatre-vingt-cinq personnes ont trouvé la mort dans une explosion. Les détails sont connus aujourd’hui grâce à la défection d’un agent iranien de haut rang. L’opération avait été planifiée dans les plus petits détails. D’où ce don de 10 millions de dollars au président argentin Carlos Menem, afin que ce dernier calme les ardeurs de la police. En Argentine toujours, Mario Baizan, ancien conseiller à la présidence, affirme que la ville de Ciudad El Este est le plus important centre de financement du Hezbollah.
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