
Beyrouth, le 25 septembre 2025. Dans une démonstration de force qui en dit long sur le rapport de puissance réel au Liban, le Hezbollah a, comme à son accoutumée, enfreint toutes les lois, toutes les directives, piétinant non seulement les décisions de l’État, mais aussi les promesses de ses propres alliés.
Jeudi soir, malgré une interdiction formelle du gouverneur de la capitale, Marwan Abboud, le rocher de la Grotte aux pigeons, emblème touristique et national, a été illuminé avec les portraits de Hassan Nasrallah et de Hachem Safieddine, à l’occasion de la commémoration de leur assassinat. L’ancien secrétaire général du Hezbollah et celui qui devait lui succéder ont tous deux été tués dans des frappes israéliennes distinctes sur la banlieue sud de Beyrouth. Le premier a trouvé la mort le 27 septembre 2024, le second le 3 octobre 2024, deux dates devenues désormais emblématiques de la fin de l’ère Nasrallah.
Certes la mort de l’ancien leader a bouleversé l’équilibre interne de la formation pro-iranienne, mais elle n’a pas suffi à faire tourner la page à l’organisation. En effet, sous les incitations de l’Iran, elle essaie par tous les moyens de préserver son emprise, de réorganiser ses réseaux et d'affirmer, avec d’autres figures de l’ombre, une continuité stratégique. C’est entre les mains de Wafic Safa que tout semble se jouer à présent.
Héritier silencieux d’un pouvoir milicien que ni l’État ni même les alliés historiques du Hezbollah ne semblent en mesure de contenir, le responsable de l’unité de coordination et de liaison au sein du Hezbollah, Wafic Safa, avait survécu à une frappe israélienne dont il était la cible en octobre 2024. Il n’a pas manqué de faire acte de présence lors de la cérémonie, jeudi, s’imposant comme le chef d’orchestre de tout le dispositif commémoratif. De la mobilisation des partisans à la mise en scène lumineuse défiant les interdictions officielles, chaque détail portait sa signature, confirmant qu’il n’est plus seulement le gardien des secrets du Hezbollah, mais le véritable pivot de son pouvoir opérationnel et politique dans l’après-Nasrallah.
Un défi clair aux institutions
À quelques jours de la cérémonie commémorative, le Premier ministre, Nawaf Salam, avait signé une circulaire rappelant l’interdiction d’utiliser tout site public ou monument national sans autorisation préalable. Il avait, certes, toléré le rassemblement en mémoire de Nasrallah et Safieddine, mais interdit toute projection lumineuse sur le rocher de Raouché. Le gouverneur, Marwan Abboud, avait relayé cette décision qui semblait tenir lieu de compromis. En pure perte.
Lorsque les images des deux dirigeants du Hezbollah ont jailli sur la paroi rocheuse, l’exécutif s’est retrouvé ridiculisé. Jeudi soir, M. Salam a annoncé avoir saisi les ministres de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice pour «poursuivre les responsables». Un geste perçu par beaucoup comme symbolique et sans effet réel, car il est loin d’inquiéter les organisateurs d’un événement piloté, de l’avis général, par Wafic Safa, l’homme des basses œuvres de la milice.
Fait plus marquant encore, Nawaf Salam aurait, selon des informations non confirmées, annulé ses rendez-vous et «suspendu ses travaux» jusqu’à nouvel ordre, manière d’exprimer son indignation. «Sentiment» partagé par bon nombre de ministres et de députés qui se sont rendus vendredi au palais Kraytem pour soutenir le Premier ministre. Les prises de position de M. Salam apparaissent moins comme un acte de puissance que comme un signal d’alarme. À 15h, il doit s’entretenir avec les ministres de la Défense, Michel Menassa, de la Justice, Adel Nassar, et de l’Intérieur, Ahmad Hajjar. À 16h, il devrait se prononcer publiquement sur la situation à l’issue d’une réunion ministérielle élargie.
Berry, l’allié bafoué
L’épisode du jeudi soir place surtout le chef du Parlement, Nabih Berry, dans une position de gêne extrême, d’autant qu’il demeure le seul véritable canal de communication entre le Hezbollah et l’État libanais, voire la communauté internationale. Chef du mouvement Amal et allié de toujours du Hezbollah, il avait assuré que Raouché ne serait pas illuminé.
Il avait également promis que la mobilisation serait limitée à 500 partisans et que la circulation ne serait pas perturbée. Cependant, aucun de ces engagements n’a été respecté. Sa parole a été publiquement désavouée, démontrant que la milice n’hésite plus à humilier même ses partenaires les plus proches. Son crédit, déjà entamé, en sort affaibli.
Pour les observateurs, la séquence de jeudi 25 septembre illustre l’impuissance de l’État face à une formation qui agit comme une milice autonome. Elle confirme aussi le transfert du centre de gravité du Hezbollah vers des cadres sécuritaires comme Wafic Safa, omniprésent lors de la cérémonie. La Grotte aux pigeons de Raouché n’a pas seulement servi de toile de projection: elle a symbolisé l’absence du pouvoir civil.
Dans une capitale qui se veut la vitrine du Liban, le message est clair: les interdictions officielles ne valent rien lorsqu’elles se heurtent à la volonté d’une milice armée. Le Hezbollah a fait de la Grotte aux pigeons une scène politique, reléguant la décision gouvernementale au rang de vœu pieux et rappelant, au passage, qui détient réellement le dernier mot.
L’échec à faire respecter des directives illustre ainsi l’impuissance persistante de l’État et son incapacité à faire exécuter ses décisions, qui vont d’une simple interdiction de projection d’images au contrôle exclusif des armes par l’État. Cela laisse le champ libre à un Hezbollah qui continue de dicter ses propres règles, au mépris de l’autorité publique, tout en offrant à un pays voisin, Israël, des prétextes supplémentaires pour maintenir ses troupes sur les cinq points stratégiques et poursuivre ses frappes au Liban.
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