Vieille canaille
Beyrouth : Gainsbourg a bercé mon adolescence et Gainsbourg accompagne ma vie d’adulte. Plus que des mélodies, il jouait des mots comme du piano. Les mots et leurs nuances. Les mots et leur puissance. Les mots et leurs nuisances. Chez nous. Formules creuses, expressions répétées en boucle, rhétorique machiavélique pour hypnotiser tout un peuple. Ligne rouge khatt ahmar, compromis tasswiya, défense des droits ces fameux houqouq, résistance, la manipulation passe d’abord par les discours. Nos habiles orateurs savent très bien où appuyer. Mais malheur à nous si nous appelons un chat un chat. Si nous donnons des termes à nos malheurs, si nous employons les mots voleur, criminel, traitre ou fou. Si nous qualifions les acteurs du désastre, bref si nous utilisons les vrais mots pour les décrire. L’indignation sera à son comble et nous serons traînés devant moult tribunaux et censurés sur les réseaux sociaux. Et pourtant… ce ne sont pas les qualificatifs qui manquent pour dénoncer leurs crimes. Alors au nom de la « stabilité », de la « paix civile », de « l’équilibre confessionnel », ou tout simplement de la mégalomanie du zaïm et de sa suite, on doit se taire. Bien sûr. Faire abstraction des souffrances, abolir les exactions, oublier le sordide et surtout rester polis. Surtout rester polis.


Parce que dans leurs manœuvres cyniques et leurs discours manipulateurs, si nous osons nous attaquer à un leader, c’est toute sa communauté que l’on bafoue. Ah oui. Passons. La guerre du Liban depuis ses débuts a été une guerre de poudre, de sang et de massacres. Mais pas que. Si l’on remonte aux années 70, que l’on épluche les discours de l’époque, les formules étaient bien étudiées pour anesthésier tout un peuple. Foule sentimentale qui réagissait au quart de tour à certains mots. Ou comment appuyer là ou là et là et entrainer tout un pays dans le chaos. Aujourd’hui, ils emploient peut-être d’autres mots mais la mécanique reste la même. Les discours censés convaincre ou menacer diluent les actions criminelles. Et les moyens de distiller les mots creux mais efficaces, les mensonges éhontés mais impudiques sont légion entre réseaux sociaux, télés, radios, presse. Les formules destinées à abrutir trouvent toujours leur chemin. Tout le monde fait semblant d’y croire. Comme un engrenage très bien rôdé et depuis longtemps entre peuple victime et hypnotisé toujours prêt à pardonner et politiciens bourreaux et intouchables toujours prêts à recommencer. Vieilles canailles, aurait dit Gainsbourg. C’est peu décrire. C’est peu dire.
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