Les besoins médiatique et financier de l’athlétisme libanais (3/3)
Plusieurs aspects de l’athlétisme libanais sont à développer avant même d’arriver au professionnalisme. Si le changement du statut juridique des organisations sportives prendra du temps, d’autres axes comme le rapatriement de talents libanais de l’étranger et l’accélération de la mise en place de diffusions numériques peuvent être accélérés pour tirer ce sport vers le haut.

Plusieurs axes semblent à développer dans l’athlétisme libanais pour progressivement le mener au professionnalisme. Un premier frein important structurel à cette évolution est la réglementation libanaise qui oblige les clubs à avoir un statut légal d’association et non d’entreprise commerciale. Ce dernier statut faciliterait la gestion des clubs et leur permettrait de planifier plus facilement leurs budgets sur plusieurs années. Mais la couverture médiatique télévisuelle, ou même numérique, permettrait déjà à l’athlétisme de franchir un cap.

Roger Bejjani, président d’Inter-Lebanon, explique que même «le basket et le football sont encore des sports amateurs au Liban. Cependant, en pratique, certains joueurs sont professionnels en raison du montant de leurs salaires. Ces deux sports sont retransmis à la télévision, ce qui entraîne des recettes commerciales pour le club. En athlétisme, les compétitions ne sont pas encore diffusées, et nous ne bénéficions donc pas de ce type de recettes».

Marie-Thérèse Saba, présidente de Let’s Run, explique qu’en parallèle à la nécessité de la présence d’une couverture médiatique sur tous les supports (TV, Web, radio et presse écrite), «nous avons besoin d’une meilleure formation des entraîneurs, sachant que la quantité de coaches est déficiente. Nous devons développer plus de professionnalisme dans l'entraînement avec des formations en continu.»

L’équipe féminine de Let’s Run a remporté les championnats du Liban 2022 des clubs. Photo Lebanese Athletics Federation

Avant d’arriver au professionnalisme, Roger Bejjani explique que certaines choses simples peuvent être faites comme «la modification de la méthode de classification du championnat du Liban des clubs, qui sépare actuellement les hommes et les femmes». Bejjani explique que «dans aucun pays du monde ne sont décernés deux titres de champions des clubs distincts pour les hommes et les femmes. Aux Jeux Olympiques et aux championnats du monde, il y a un seul décompte de médailles, qui est mixte. Un décompte unique inciterait à une plus grande pratique de ce sport, notamment chez les femmes. Cela fait douze ans que je réclame ce classement unique.»

La survie de ce sport grâce à des passionnés

Si ce sport a tant bien que mal survécu au Liban, c’est en partie grâce aux investissements de passionnés de ce sport comme Mario Saradar et Roger Bejjani. Bejjani explique que «quand nous avons créé Inter-Lebanon en 2004, l’athlétisme au Liban était en train de mourir. Nous avons insufflé une nouvelle dynamique. Il n’y avait que des clubs historiques tels que Champville et Ansar. Notre arrivée a incité les gens à s’orienter davantage vers l’athlétisme et à s'entraîner. Depuis notre arrivée, il y a dix-huit ans, 50 records nationaux ont été battus, dont la moitié par Inter-Lebanon. Pia Nehme avait battu à elle seule 12 records nationaux en son temps.»

Bejjani souligne que son but à terme est «que le club arrive à un stade où il s’autofinance sans moi.» Mais la route semble encore longue avant que les différentes recettes (sponsors, droits TV et numériques…) permettent à ce sport de ne plus dépendre d’investissements individuels.


Mayssa Mouawad (dossard 281) et Haya Kobrosly (dossard 349) sont les deux jeunes athlètes les plus talentueuses sur 100 mètres et sont aujourd’hui les deux dauphines de Aziza Sbeity sur l’épreuve reine de l’athlétisme. Photo Lebanese Athletics Federation

Rivalité Let’s Run/Inter-Lebanon

La rivalité entre Let’s Run et Inter-Lebanon est une bonne chose pour l’athlétisme libanais. Bejjani explique que «Let’s run a fait un bond quantitatif en nombre d’athlètes en s’alliant avec l’Université des Antonins. Ils ont aussi pris une athlète de chez nous, Haya Kobrosly. Ils ont un bon système d'entraînement.»

D’autres athlètes ont fait le chemin inverse, comme Nada el-Kurdi, vice-championne du Liban du 800 mètres et du 1500 mètres, qui a rejoint Inter-Lebanon, après plusieurs saisons chez Let’s Run. Ces deux clubs semblent avoir des structures de qualité, et leur rivalité promet de beaux duels entre athlètes à l’avenir, à l’instar de celle entre Marc Anthony Ibrahim (Let’s Run) et Mohamad Mortada (InterLebanon) sur 400 mètres.

Libanais de l’étranger

Inter-Lebanon et Let’s Run ont aussi facilité la participation de plusieurs libanais de l’étranger aux championnats du Liban. Ces participations sont bonnes pour tirer l’athlétisme libanais vers le haut. Saba explique que «nous sommes fiers de cette pratique. Je suis pour le fait de ramener tout talent qui se trouve en dehors du pays pour qu’il participe aux épreuves au Liban. Aujourd’hui nos performances locales sont loin des standards internationaux. Pour progresser, nous avons besoin d’athlètes talentueux et de sang neuf pour tirer les athlètes locaux vers le haut. Les champions de l’étranger incitent les locaux à améliorer leurs performances et  à réaliser des «personal best». Cela nous aide à nous développer. Ainsi, si le fait d'avoir ramené Mounir Kabbara incite ses poursuivants à faire de meilleures performances sur le 9,8 kilomètres, je serai fier d’avoir été à l’origine de la participation de Mounir.»

L’athlétisme libanais est aujourd’hui encore loin du statut professionnel. Les clubs comme Inter-Lebanon et Let’s Run en ont bien conscience. Ainsi Saba explique que «nous incitons nos athlètes à continuer leurs études en parallèle.»

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