Les vies s’étendent sur les cordes à linge de Patrick Chemali...
Patrick Chemali a remporté le premier prix du Lebanese Independent Film Festival, qui a eu lieu les 1er, 2 et 3 septembre au Station Beyrouth pour son édition 2022. Son court-métrage de neuf minutes, Clotheslined, écrit, dirigé et produit par lui, a gagné le cœur du jury. Le prix lui a été décerné par l’acteur renommé, membre du jury, Talal Jurdi, qui se retrouve pour la première fois, comme il l’atteste, de l’autre côté de la table.

Clotheslined est le premier film de Patrick Chemali, passionné de théâtre et de cinéma. Étant loin du domaine, il s’est acharné, voilà six ans déjà, à travailler son jeu d’acteur. Il a suivi des ateliers et joué dans des films d’étudiants, jusqu’à se frayer un passage vers la scène et le plateau de cinéma dans le milieu professionnel. Patrick Chemali voit la vie avec humour et humanité à la fois. Dans son film, se reflète une dimension humaine dans les détails de tous les jours, détails qui restent incrustés, à travers le jeu de couleurs, ombres, lumière, soleil, noir et pastel.



Clotheslined dessine des vies qui passent au gré du vent et des bougies que l’on souffle d’année en année en applaudissant les années irréversibles… alors que les ombres grandissent dans la lumière.

Autant essaie-t-on de resserrer les pinces du temps, de tenir les rênes du jeu, il demeure une seconde, une seule, qui divise le vécu en un avant et un après. Un instant T qui efface toutes les phrases entrecoupées, les pas d’enfants, les brises légères et les peluches, et les dés du sort jeté.

Les cordes à linge deviennent fil conducteur. Sur ce fil, au gré de neuf minutes, chacun voit défiler une partie de sa vie. Cette catharsis est essentielle et repose sur ces images ou ces quelques voix qui portent en elles une dimension humaine ou universelle. On a tous, un jour ou l’autre, eu un rapport particulier avec les personnes qui s’en vont… avec la vie ou les petits pains au lait, avec les départs subits ou la mort. Clotheslined est une histoire sur le toit où tout se passe, vit et meurt, mine de rien, pour revivre encore.



Comment vous êtes-vous présenté au festival?

Je me suis inscrit après avoir vu l’annonce, comme je le fais pour tous les festivals. J’ai reçu un mail m’annonçant que le film avait été sélectionné.

Vous attendiez-vous à remporter le prix?

Pas du tout. Vu que c’est mon premier film, je l'ai fait en fait pour l’exercice et pour les personnages du film. J’ai commencé à avoir un bon retour, initialement de la part des organisateurs, puis des intervieweurs, par la suite du jury et enfin des réalisateurs en compétition.

Parmi une quarantaine de films projetés, le meilleur scénario que je m’étais imaginé était qu’on allait m’attribuer une mention spéciale du jury parce que le film est loin d’être classique du point de vue storytelling. Lorsque la cérémonie a commencé, il y avait deux prix avant moi. J’étais assis de côté et ça me bloquait un peu la vue. Normalement, on passe un petit clip de 10 secondes du film gagnant. À ce moment-là, j’essayais de voir l’écran et les personnes qui m’accompagnaient ont crié «on a gagné!». Je me lève et je réalise que c’est vrai.




Est-ce que c’est l’envie de faire un film qui vous a pris ou bien le but de concrétiser votre idée?

Ce n’est pas un projet que j’avais en tête. Cela fait six ans que je suis davantage dans le domaine professionnel du théâtre en tant qu’acteur, je me concentrais surtout sur ma capacité à interpréter des rôles. En même temps, j’explorais la possibilité d’écrire les idées qui me venaient. Pour ce film, c’est une idée qui m’est venue au pif. Suite au décès de ma mère l’année dernière, je m’apprêtais à donner ses habits à une ONG. Je les ai lavés et les ai suspendus sur les cordes à linge, au balcon. Je me disais que c’était la dernière fois que ces habits allaient être suspendus là. Vues de l’extérieur, les cordes à linge peuvent en dire long sur la vie des gens; qui habite la maison et même quelles sont les activités de ces personnes-là, selon les vêtements: pour bébé, les tenues de sport, les serviettes de plage… Je me suis rendu compte très vite que l’on peut raconter la vie des gens à travers le linge qui est suspendu. C’est alors que m’est venue l’idée de raconter la vie des gens à travers le linge. J’ai écrit un drame qui n’est pas le mien, mais qui pourrait être celui de n’importe quelle famille libanaise qui a vécu la guerre ou même l’explosion du 4 août.

Qu’en est-il du choix de l’équipe?

L’équipe était avant tout ma priorité vu qu’on ne voit qu’une actrice à un moment. C’est Nadia Tabbara, ma prof de screenwriting – ou d’écriture de scénario – qui m’a conseillé de faire moi-même la mise en scène vu que c’est ma vision. J’ai choisi alors des gens non seulement compétents, mais avec qui le courant passe. La douzaine de films étudiants dans lesquels j’avais joué m’avait permis de rencontrer plein de personnes. Ainsi, de fil en aiguille, j’ai réussi à monter le film.



Est-ce que ce film était aussi cathartique pour vous?

Au début, c'était le but. Les dialogues sont des scènes qui se passaient souvent chez nous à la maison entre mon père, qui est décédé il y a treize ans, et un oncle, lui aussi décédé. La scène du début représente la voisine qui nous rendait visite et disait qu’il faisait frais chez nous. J’ai incrusté ces éléments de la vie de tous les jours dans le film, vu qu’on était une famille typique. De même en est-il, des habits de ma mère. Le film était très personnel, mais en même temps, on pourrait s’identifier avec les personnages.



Que vous reste-t-il de ce film?

Que de bons souvenirs! Des amitiés et un sens de confiance qu’il est possible de faire des films si l’on y croit. J’ai deux idées en compétition dans ma tête pour un nouveau film, mais je vais commencer par les mettre sur papier avant d’en adopter une. En tant qu’acteur, j’aimerais bien aussi donner moi-même aux acteurs leur espace pour jouer.
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