Suite au décès de la reine Élisabeth II, monarque au règne le plus long du Royaume-Uni, le jeudi 8 septembre, à l'âge de 96 ans, Ici Beyrouth vous propose un voyage dans le temps à la découverte des cérémonies funéraires royales qui ont marqué l’histoire du Royaume-Uni, depuis feu la reine Élisabeth Ire, en 1603, jusqu’à feu la reine Élisabeth II, en 2022.
"Vanitas vanitatum et omnia vanitas" ("Vanité des vanités et tout est vanité"). C’est par cette locution latine, tirée du Livre de l'Ecclésiaste, que Salomon convainc les fidèles de la futilité de la condition humaine, illustrant manifestement l’inéluctable trépas ou la pensée du Memento mori ("Souviens-toi que tu vas mourir"). Les Hiéroglyphes des Fins dernières du peintre sévillan Juan de Valdés Leal, mettant en exergue deux toiles macabres, intitulées Finis Gloriae Mundi (Fin de la Gloire terrestre) et In ictu oculi (En un clin d’œil), concrétisent, par leurs allégories funèbres, cette Mort qui se faufile à cloche pied dans le dédale d’une nature humaine lacunaire. Cette fin ultime cristallise à son tour la justice ultime, selon laquelle tous les Hommes, rois soient-ils ou mendiants, nobles ou paysans, riches ou pauvres, sont mis à un pied d’égalité. Et pourtant, à l’aune des siècles passés, le décès d’un monarque n'était ni intellectuellement ni socialement perçu comme la mort d'un être humain ordinaire. Imprégné de sacralité, le roi (ou la reine) se muait en un véritable souverain dont l’autorité et la personne étaient inviolables ; sa mort devenait, de ce fait, synonyme de faste et d’apparat, visant à tracer un ars moriendi (ou l'art de bien mourir) royal.
Ainsi, les funérailles des monarques, au Royaume-Uni comme ailleurs, laissaient entrevoir une contradiction entre l'austérité propre au deuil d'une part, et la pompe cérémonielle "digne" de leur royauté, alors assimilée à la divinité d’autre part. La musique, ainsi que d'autres éléments qui composent le paysage sonore de ces cérémonies funéraires, contribuaient à la création de ce spectacle lugubre. D’ailleurs, le rôle de l’art symphonique était fondamental dans ces cérémonies, sa fonction étant tout d’abord cathartique, dans la mesure où la musique aide à évacuer les émotions des participants au rituel, ici, à pleurer, comme dans le cadre des lamentations antiques. La musique devait représenter la gravité et la solennité de l'instant, mais aussi la majesté du défunt, contribuant à renforcer l’espoir dans la vie après la mort pour ce dernier. C’est le cas d'ailleurs des musiques funéraires chrétiennes dans les différentes traditions liturgiques ecclésiastiques. Ces traditions se basent sur le très fort contenu émotionnel, ou éthos, véhiculé par la musique, selon une palette de nuances très affinée, qui fait de celle-ci le principal composant des rituels aux côtés de la parole proférée (du reste majoritairement musicalisée). Majesté, deuil et espérance devaient être réunis dans ce théâtre de la mort royale. Tout au long de cette semaine, Ici Beyrouth arpentera les siècles passés et remontera les aiguilles du temps jusqu’à l’époque de la reine Élisabeth Ire (1533-1603), afin de reconstituer, au travers d’une pléthore de sources discographiques et documentaires, certains aspects musicaux des cérémonies funéraires royales au Royaume-Uni, entre 1603 et 2022.
Propulsée sur le trône d’Angleterre, par accident en 1952, à la suite de la mort prématurée de son père, le roi George VI (1895-1952), la défunte reine Élisabeth II (1926-2022) a réussi, tout au long de sept décennies de règne marqué par un inébranlable sens du devoir, à surmonter les aléas d’un siècle clair-obscur. Elle est ainsi parvenue à asseoir et à sanctifier l’une des monarchies les plus anachroniques au monde, et à hisser son pays au rang des grandes puissances. Avec la mort de la reine Élisabeth II, le 8 septembre dernier, une page glorieuse de l’histoire britannique et européenne se tourne, la monarque ayant elle-même traversé et fait l’Histoire. Ainsi, comme l’exige le protocole "London Bridge", encadrant les funérailles de la défunte reine, les obsèques royales doivent avoir lieu dix jours après la mort de la souveraine, soit le 18 septembre. Toutefois, étant donné que ce dernier tombe un dimanche, jour sacré dans l’Église d’Angleterre, le palais de Buckingham a reporté la cérémonie d’hommage à Sa Majesté au lundi 19 septembre. Le service funéraire aura lieu à l’abbaye de Westminster, lieu où la reine s’est mariée en 1947 et a été couronnée en 1953. Elle sera par la suite inhumée dans la chapelle Saint-George du château de Windsor, où reposent notamment son père le roi George VI, sa sœur cadette Margaret, décédée en 2002, et son époux le prince Philip, mort le 9 avril 2021.
Contacté par Ici Beyrouth, Matthias Range, historien musical et auteur d’un ouvrage intitulé "Funérailles royales et nationales britanniques: musique et cérémonie depuis Elizabeth I", indique que toutes les obsèques royales depuis la Réforme ont été des funérailles anglicanes, suivant la liturgie de l'Église d'Angleterre. "Le Livre de la prière commune prescrit l'ordre du service funèbre ("Enterrement des morts"), avec les pièces à chanter (ou à réciter). Ceci est plus ou moins suivi, avec l'ajout de musique instrumentale et d'une ou plusieurs pièces d'actualité, à l’instar d’hymnes ou de motets, et plus récemment aussi des hymnes de congrégation", explique l’expert anglais en soulignant que depuis le XIXe siècle, l'ordre respectif du service a été ajusté pour chaque souverain. Par ailleurs, Matthias Range précise que l’organisation de la cérémonie funéraire royale relève de la responsabilité du duc de Norfolk, et donc du comte-maréchal Edward Fitzalan-Howard, l'un des plus importants hauts fonctionnaires honorifiques du Royaume-Uni, et le membre laïc le plus haut placé de l'Église catholique romaine en Grande-Bretagne. Des hérauts du Collège d’armes y participeront également, notamment le roi d'armes de l'ordre de la Jarretière, David White, qui "proclamera les titres de la défunte monarque à la fin".
Depuis le début du XVIIIe siècle, les parties liturgiques du service funéraire sont chantées selon les arrangements musicaux de William Croft (1678–1727), organiste de la chapelle royale et de l'abbaye de Westminster, entre 1708 et 1727. Ces partitions remonteraient probablement à l’année 1722 lorsque lesdits arrangements ont été interprétés pour la première fois dans les funérailles du général John Churchill, premier duc de Marlborough. Depuis, ils sont chantés dans presque toutes les funérailles d'État au Royaume-Uni. "Il est presque certain qu'on entendra du Croft, comme cela a été le cas durant les obsèques du prince Philip, affirme M. Range. D'une manière générale, la partie musicale pendant le service n'a cessé d'augmenter, à travers les siècles, pour en inclure récemment des hymnes de congrégation." Il n’y aura donc pas de messe, confirme l’expert: "Une messe serait plutôt spécifique au rite catholique romain ou au service de la communion, or le service funèbre royal devrait globalement suivre la liturgie du Livre anglican de la prière commune". Cela dit, la cérémonie religieuse inclura très probablement, selon l’historien musical: le service funéraire de Croft (ou au moins des parties de celui-ci), l'hymne national du Royaume-Uni ("God save the King"); quelques hymnes (qu’on ne peut pas prédire) qui pourraient inclure "The Lord's my Shepherd", qui a été chantée lors du mariage de la princesse Elizabeth et du prince Philip en 1947 ; et « Nimrod », la neuvième des variations Enigma d’Edward Elgar, jouée à l'orgue ou par un ensemble à cordes. "Les obsèques incluront certainement aussi le « Dernier appel » et le « Réveil », des sonneries de clairon militaires traditionnelles en relation avec la proclamation du héraut, comme ce fut le cas lors des funérailles de la reine mère et celles du prince Philip, et bien d'autres plus tôt", conclut Matthias Range.
"Vanitas vanitatum et omnia vanitas" ("Vanité des vanités et tout est vanité"). C’est par cette locution latine, tirée du Livre de l'Ecclésiaste, que Salomon convainc les fidèles de la futilité de la condition humaine, illustrant manifestement l’inéluctable trépas ou la pensée du Memento mori ("Souviens-toi que tu vas mourir"). Les Hiéroglyphes des Fins dernières du peintre sévillan Juan de Valdés Leal, mettant en exergue deux toiles macabres, intitulées Finis Gloriae Mundi (Fin de la Gloire terrestre) et In ictu oculi (En un clin d’œil), concrétisent, par leurs allégories funèbres, cette Mort qui se faufile à cloche pied dans le dédale d’une nature humaine lacunaire. Cette fin ultime cristallise à son tour la justice ultime, selon laquelle tous les Hommes, rois soient-ils ou mendiants, nobles ou paysans, riches ou pauvres, sont mis à un pied d’égalité. Et pourtant, à l’aune des siècles passés, le décès d’un monarque n'était ni intellectuellement ni socialement perçu comme la mort d'un être humain ordinaire. Imprégné de sacralité, le roi (ou la reine) se muait en un véritable souverain dont l’autorité et la personne étaient inviolables ; sa mort devenait, de ce fait, synonyme de faste et d’apparat, visant à tracer un ars moriendi (ou l'art de bien mourir) royal.
Théâtre de la mort royale
Ainsi, les funérailles des monarques, au Royaume-Uni comme ailleurs, laissaient entrevoir une contradiction entre l'austérité propre au deuil d'une part, et la pompe cérémonielle "digne" de leur royauté, alors assimilée à la divinité d’autre part. La musique, ainsi que d'autres éléments qui composent le paysage sonore de ces cérémonies funéraires, contribuaient à la création de ce spectacle lugubre. D’ailleurs, le rôle de l’art symphonique était fondamental dans ces cérémonies, sa fonction étant tout d’abord cathartique, dans la mesure où la musique aide à évacuer les émotions des participants au rituel, ici, à pleurer, comme dans le cadre des lamentations antiques. La musique devait représenter la gravité et la solennité de l'instant, mais aussi la majesté du défunt, contribuant à renforcer l’espoir dans la vie après la mort pour ce dernier. C’est le cas d'ailleurs des musiques funéraires chrétiennes dans les différentes traditions liturgiques ecclésiastiques. Ces traditions se basent sur le très fort contenu émotionnel, ou éthos, véhiculé par la musique, selon une palette de nuances très affinée, qui fait de celle-ci le principal composant des rituels aux côtés de la parole proférée (du reste majoritairement musicalisée). Majesté, deuil et espérance devaient être réunis dans ce théâtre de la mort royale. Tout au long de cette semaine, Ici Beyrouth arpentera les siècles passés et remontera les aiguilles du temps jusqu’à l’époque de la reine Élisabeth Ire (1533-1603), afin de reconstituer, au travers d’une pléthore de sources discographiques et documentaires, certains aspects musicaux des cérémonies funéraires royales au Royaume-Uni, entre 1603 et 2022.
Monarchie anachronique
Propulsée sur le trône d’Angleterre, par accident en 1952, à la suite de la mort prématurée de son père, le roi George VI (1895-1952), la défunte reine Élisabeth II (1926-2022) a réussi, tout au long de sept décennies de règne marqué par un inébranlable sens du devoir, à surmonter les aléas d’un siècle clair-obscur. Elle est ainsi parvenue à asseoir et à sanctifier l’une des monarchies les plus anachroniques au monde, et à hisser son pays au rang des grandes puissances. Avec la mort de la reine Élisabeth II, le 8 septembre dernier, une page glorieuse de l’histoire britannique et européenne se tourne, la monarque ayant elle-même traversé et fait l’Histoire. Ainsi, comme l’exige le protocole "London Bridge", encadrant les funérailles de la défunte reine, les obsèques royales doivent avoir lieu dix jours après la mort de la souveraine, soit le 18 septembre. Toutefois, étant donné que ce dernier tombe un dimanche, jour sacré dans l’Église d’Angleterre, le palais de Buckingham a reporté la cérémonie d’hommage à Sa Majesté au lundi 19 septembre. Le service funéraire aura lieu à l’abbaye de Westminster, lieu où la reine s’est mariée en 1947 et a été couronnée en 1953. Elle sera par la suite inhumée dans la chapelle Saint-George du château de Windsor, où reposent notamment son père le roi George VI, sa sœur cadette Margaret, décédée en 2002, et son époux le prince Philip, mort le 9 avril 2021.
Funérailles anglicanes
Contacté par Ici Beyrouth, Matthias Range, historien musical et auteur d’un ouvrage intitulé "Funérailles royales et nationales britanniques: musique et cérémonie depuis Elizabeth I", indique que toutes les obsèques royales depuis la Réforme ont été des funérailles anglicanes, suivant la liturgie de l'Église d'Angleterre. "Le Livre de la prière commune prescrit l'ordre du service funèbre ("Enterrement des morts"), avec les pièces à chanter (ou à réciter). Ceci est plus ou moins suivi, avec l'ajout de musique instrumentale et d'une ou plusieurs pièces d'actualité, à l’instar d’hymnes ou de motets, et plus récemment aussi des hymnes de congrégation", explique l’expert anglais en soulignant que depuis le XIXe siècle, l'ordre respectif du service a été ajusté pour chaque souverain. Par ailleurs, Matthias Range précise que l’organisation de la cérémonie funéraire royale relève de la responsabilité du duc de Norfolk, et donc du comte-maréchal Edward Fitzalan-Howard, l'un des plus importants hauts fonctionnaires honorifiques du Royaume-Uni, et le membre laïc le plus haut placé de l'Église catholique romaine en Grande-Bretagne. Des hérauts du Collège d’armes y participeront également, notamment le roi d'armes de l'ordre de la Jarretière, David White, qui "proclamera les titres de la défunte monarque à la fin".
Arrangements de Croft
Depuis le début du XVIIIe siècle, les parties liturgiques du service funéraire sont chantées selon les arrangements musicaux de William Croft (1678–1727), organiste de la chapelle royale et de l'abbaye de Westminster, entre 1708 et 1727. Ces partitions remonteraient probablement à l’année 1722 lorsque lesdits arrangements ont été interprétés pour la première fois dans les funérailles du général John Churchill, premier duc de Marlborough. Depuis, ils sont chantés dans presque toutes les funérailles d'État au Royaume-Uni. "Il est presque certain qu'on entendra du Croft, comme cela a été le cas durant les obsèques du prince Philip, affirme M. Range. D'une manière générale, la partie musicale pendant le service n'a cessé d'augmenter, à travers les siècles, pour en inclure récemment des hymnes de congrégation." Il n’y aura donc pas de messe, confirme l’expert: "Une messe serait plutôt spécifique au rite catholique romain ou au service de la communion, or le service funèbre royal devrait globalement suivre la liturgie du Livre anglican de la prière commune". Cela dit, la cérémonie religieuse inclura très probablement, selon l’historien musical: le service funéraire de Croft (ou au moins des parties de celui-ci), l'hymne national du Royaume-Uni ("God save the King"); quelques hymnes (qu’on ne peut pas prédire) qui pourraient inclure "The Lord's my Shepherd", qui a été chantée lors du mariage de la princesse Elizabeth et du prince Philip en 1947 ; et « Nimrod », la neuvième des variations Enigma d’Edward Elgar, jouée à l'orgue ou par un ensemble à cordes. "Les obsèques incluront certainement aussi le « Dernier appel » et le « Réveil », des sonneries de clairon militaires traditionnelles en relation avec la proclamation du héraut, comme ce fut le cas lors des funérailles de la reine mère et celles du prince Philip, et bien d'autres plus tôt", conclut Matthias Range.
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