Le choléra: pourriture de certains esprits (in)humains
En guise de rappel

Choléra: nom masculin, désignant une maladie épidémique infectieuse, fort contagieuse, due à la bactérie, Vibrio choleræ, qui se transmet par voie fécale-orale, ou par l’ingestion d’eaux insalubres et d’aliments contaminés. Le choléra est limité à l’espèce humaine; ses symptômes se caractérisent essentiellement par des crampes musculaires très douloureuses, des diarrhées aqueuses brutales et très abondantes, ainsi que par des vomissements continus provoquant une déshydratation létale en l’absence de traitement.

« Le Choléra », Le Petit Journal, Bibliothèque nationale de France

Brève visite en étymologie

Une dispute étymologique oppose les linguistes autour du mot «choléra». En effet, pour certains, le mot dériverait du grec ancien kholéra qui désigne une évacuation ininterrompue, voire constante, sans doute renvoyant, dans le sillage de la maladie en question, aux diarrhées et aux vomissements dont souffre la personne qui en est atteinte jusqu’à la déshydratation mortelle. Pour d’autres, le mot dériverait du grec ancien kholê qui, lui, désigne la bile et qui serait, dans la langue latine, à l'origine de l'adjectif cholérique (dans son ancienne orthographe), le caractère «cholérique» ou bilieux étant considéré comme impulsif, enclin à la colère, violent et dangereux, selon la théorie des humeurs, l’une des bases de la médecine antique, aujourd’hui invalidée. En tout cas, cette analyse serait liée au fait que l’on a longtemps cru que la maladie en question venait de la bile. On n’oubliera pas que le conduit reliant la vésicule biliaire à l’ampoule de Vater, siège de la sécrétion de la bile et des enzymes pancréatiques dans le duodénum, est nommé «canal cholédoque». On n’oubliera pas, non plus, que les vomissements induits par l’infection en tant que telle, sont de nature bilieuse.

Quoi qu’il en soit, que l’étymologie grecque du mot le place du côté des symptômes, ou bien du côté du point d’origine organique et de la couleur (la bile jaune, le teint blafard, livide de la mort), j’aimerais, dans le cadre de cet article, retenir plus particulièrement le rapprochement entre le choléra et la colère pour y revenir ultérieurement.

https://www.docteurclic.com/encyclopedie/canal-choledoque.aspx

Brève visite en histoire

Du côté historique, une autre dispute semble elle aussi avoir eu lieu. En effet, Pour certains historiens, le choléra serait apparu la première fois en Inde et remonterait au XVIe siècle, le premier cas enregistré l’ayant été en 1563, dans le cadre d’un rapport médical indien, dans le Delta du Gange. Cependant, nombre d’historiens affirment, pour leur part, que des origines bien plus lointaines seraient décelables, la maladie ayant existé sous diverses formes, sans être vraiment appréhendée ni comprise, depuis l’époque du père de la médecine, Hippocrate, c’est-à-dire environ 450 ans avant J.-C. Ce n’est, en fait, qu’en 1854 que la bactérie Vibrio cholerae sera isolée pour la première fois, par l’anatomiste italien, Filippo Pacini, comme cause du choléra. Au cours de cette même année, le médecin anglais, John Snow, réussit à déceler le lien entre le choléra et les eaux contaminées et consommées. On devra, néanmoins, attendre trente années encore pour que le médecin allemand Robert Koch – qui a également découvert la bactérie responsable de la tuberculose, qui porte aujourd’hui son nom, en l’occurrence le « bacille de Koch » – rende public le traitement permettant de lutter contre l’infection.

Toujours est-il qu’à l’époque moderne, on recense sept pandémies de choléra; la première s’étant produite dans la région indienne du Bengale, près de Calcutta, de 1817 à 1824, probablement à cause des navires britanniques transportant des personnes atteintes sur les rives de l’océan Indien; la deuxième en Amérique du Nord et en Europe, de 1826 à 1837, à cause de la migration humaine devenue massive; la troisième en Afrique du Nord et en Amérique du Sud, de 1846 à 1860, la quatrième en Inde et en Espagne, de 1863 à 1875; la cinquième toujours en Inde, mais s’étendant tout autant à l’Europe, à l’Asie et à l’Amérique du Sud, de 1881 et 1896; la sixième touchant l’Égypte, la péninsule Arabique, l’Iran, l’Inde et les Philippines, de1899 à 1923; enfin, la septième, apparue en Indonésie en 1961, génère une nouvelle souche de la maladie, en l’occurrence la souche qui peut à tout moment réapparaître dans quelque coin du monde, plus particulièrement le tiers-monde. Après quoi, il y eut des épidémies de choléra, notamment en 2005, en Afghanistan, en 2015, en Irak, en 2016, à Haïti, en 2017, au Yémen.


Robert Koch, www.britannica.com

À l’heure actuelle

Aujourd’hui, le choléra fait sa réapparition en Syrie, depuis le nord du pays jusqu’à sa capitale, Damas, sous forme épidémique. Plus d’une cinquantaine de personnes en sont atteintes et environ une dizaine de personnes en sont mortes jusque-là. La dernière épidémie de choléra ayant atteint les Syriens date de 2009. Les raisons en sont-elles les mêmes? Je ne saurais trancher. Toutefois, selon l’OMS, qui appelle à la mise en garde contre le très haut risque de propagation du choléra dans le pays, ce sont les onze années de guerre qui ont détruit toutes les infrastructures qui en sont responsables, les eaux, en l’occurrence, ayant cessé complètement d’être traitées par l’État. Les eaux insalubres sont non seulement consommées comme étant potables, mais pis encore, elles continuent d’être utilisées pour irriguer les terres, entraînant conséquemment la contamination massive des aliments ingérés.

On aura noté qu’à l’ère moderne, le choléra ne réapparaît que dans les pays du tiers-monde, les pays pauvres, les pays en guerre, dans lesquels les injustices et les tyrannies sévissent et où les populations croulent sous le joug de la misère tant physique que morale, tout à la fois sécuritaire, économique, financière et sociale aussi. Des pays dans lesquels les populations sont des laissés-pour-compte, des moins que rien, des children of a lesser God, si l’on veut bien pasticher le titre du film de Randa Haines, des oubliés, des bannis, des morts avant la lettre et avant le choléra.

Or, pour revenir quelque peu en linguistique comme en supra, je dirais qu’il y a sans doute là à voir un glissement métonymique à l’œuvre, autrement dit un remplacement de la cause par la conséquence. Car, si la conséquence s’illustre par la contamination, la souffrance et la mort du peuple, qui est vraiment la cause, le responsable de la propagation du choléra? Qui est-il le choléra même, sinon le tyran, colérique et bilieux, qui vampirise son pays et s’accroche avec ses crocs et ses griffes, encore et encore, aux lambeaux de son peuple? Qui sont ceux qui incarnent le choléra même, sinon ceux qui, à l’instar de la Faucheuse universelle, avancent le teint livide et blafard, avec toute la violence qu’ils portent en eux pour mieux se jeter sur les derniers morceaux qui leur restent? Qui sont ceux qui incarnent le choléra même, sinon les grands politiques du monde qui planifient, organisent, provoquent les guerres et qui, mine de rien, s’en lavent les mains, pourtant de loin bien plus souillées que celles de Ponce Pilate, en allant à de grandes tablées boire et manger le sang et le corps des misérables victimes? Qui sont ceux qui incarnent le choléra même, sinon les puissants voraces qui siègent aux Nations unies, jamais assez repus de leurs conquêtes et butins, fermant l’œil sur les désastres de leurs agissements, comme sur ceux de leur non-agissement, se félicitant les uns les autres d’être au sommet du monde, tout en éructant leurs gaz fétides et bilieux?

Comment ne pas nous rappeler, dans ce sillage bien tragique, ce que dit l’orientaliste Alexandra David-Néel dans son ouvrage The Power of Nothingness (1954): «Nul médecin ne fera du choléra un état agréable et nul politicien ne bannira les guerres ni la souffrance du monde »?

http://toursdelaliberte.blogspot.com/2016/09/caricature-conseil-de-securite-de-lonu.html

En guise de conclusion

Dans un ouvrage joliment intitulé, L’Homme qui marchait devant moi, paru en 1948, l’essayiste et historien français, André Chamson, affirme, avec force conviction, que «l'esprit de l'homme est quelque chose qui peut pourrir aussi bien que son foie ou ses reins. [Et qu’] il y a sans doute de grandes épidémies morales, comme il y a des épidémies de peste ou de choléra».
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