«Ce que l’on appelle mondialisation, qui est l’uniformisation par le bas, le règne des multinationales, la standardisation, l’ultra libéralisme sauvage sur les marchés mondiaux, pour moi, c'est le revers négatif d’une réalité prodigieuse, que j’appelle la mondialité. La mondialité, c’est l’aventure sans précédent qu’il nous est donné à tous aujourd’hui de vivre, dans un monde qui pour la première fois, réellement et de manière immédiate, foudroyante, se conçoit à la fois multiple et unique, et inextricable. C’est aussi la nécessité pour chacun d’avoir à changer ses manières de concevoir, de vivre et de réagir, dans ce monde-là.» (Édouard Glissant, entretien avec la rédaction de la revue Les Périphériques vous parlent, numéro 14, 1999)
Nous sommes à l’aube des années 2000. Si la mondialisation est bien cet état de fait de l'évolution de l'économie et de l'Histoire, la mondialité, concept élaboré par Edouard Glissant, essayiste, poète et écrivain martiniquais, désigne la multiplicité du divers et des situations particulières qui est un enrichissement intellectuel et humain, plutôt qu'un appauvrissement dû à l'uniformisation.
Comment résister à la mondialisation et l’uniformisation des modes d’être? Comment accueillir la mondialité? La grande difficulté, d’après lui, est que nous avons une idée de la connaissance qui serait quelque chose de stable, et grâce à laquelle on peut prévoir le monde, car il est difficile de renoncer à l’idée qu’on va planifier et changer le monde. Autrement, l’idée même de notre vie paraît vaine: pourquoi vivre? comment vivre? Il nous faut cesser pourtant, dit-il, de concevoir le monde comme un objet qu’on peut planifier et changer. Le monde est imprévisible, il n’est pas planifiable. Et si l’on admet l’idée d’un savoir qui serait instable, nous sommes introduits au cœur d’une dimension nouvelle où l’apprendre a quelque chose à voir avec l’inconnu, les variables et les incertitudes et où il est à même de composer avec l’imprévisibilité du monde.
Dans un contexte de crise mondiale, à la fois géopolitique, économique, environnementale, écologique et sanitaire, que nous apprend la mondialité? Face à quoi nous met-elle? Comment vivre une mondialité sereine et pacifiée quand il est trop tard? Est-il trop tard? Dans ce qui s’accompagne d’une crise dans la représentation et les instances du pouvoir, quelles décisions prendre? Comment diriger? Qu’est-ce qu’être un politique aujourd’hui? Qu’est-ce qu’un parti politique aujourd’hui? Que défendent-ils? C’est là qu’intervient l’utopie, non comme le rêve d’un monde meilleur, mais comme une pensée qui peut nous amener à réaliser des impossibles. Une pensée du changement.
Certes, il y eut, en Occident, des moments favorables à l’apparition des utopies. Celles-ci imaginent généralement un régime politique égalitaire et une société vivable pour tous. Ainsi, pour les penseurs comme Platon, Thomas More ou Saint Augustin, l’utopie consiste essentiellement en la recherche d’une norme car il fallait, à ce moment-là de l’histoire des humanités en Occident, essayer de comprendre comment des communautés se forment et s’opposent les unes aux autres mais également comment elles perdurent et se maintiennent.
Chez Glissant, l’utopie, ou la pensée du changement, c’est la pensée de tout ce qui change et de tout ce qui peut nous changer en changeant autour de nous. C’est lorsque nous n’avons plus la possibilité d’influer sur le monde selon des plans préétablis. Même les plus grandes puissances du monde, note-t-il, s’aperçoivent que cela ne fonctionne pas. Nous sommes maintenant dans cet énorme Tout-monde dont l’une des rationalités est d’être complètement irrationnel, parce qu’inextricable, et donc, on ne peut plus croire que ce que l’on fait est absolu ou valable pour tous. Ainsi, toute utopie passe par ce que Glissant appelle «la pensée du tremblement», c’est-à-dire le sentiment instinctif qu’il nous faut refuser toutes les catégories de pensées figées, toutes les catégories de pensées impériales, la pensée qui s’organise en système et qui essaie de mettre de l’ordre, son ordre, dans le monde.
«Dans le Tout-monde, tout tremble», nous dit enfin Glissant. Le Tout-monde tremble physiquement, géologiquement, mentalement, spirituellement, parce que le Tout-monde cherche ce point utopique dans lequel toutes les cultures du monde, tous les imaginaires du monde peuvent se rencontrer et s’entendre sans se disperser ni se perdre.
Ces pensées, d’une extrême actualité, sont à même de constituer aujourd’hui des réponses au tremblement de nos mondes respectifs, à nos pertes des repères, à la faillibilité de nos certitudes, à nos doutes et à l’imprévisibilité de nos quotidiens. Comment créer des modes d’être qui permettent de comprendre cette mondialité et de la vivre? Des réponses qui ressemblent davantage à des questions, parce qu’elles se déploient dans l’instable et l’inconnu, là où, aussi, il devient possible de s’inventer.
Nous sommes à l’aube des années 2000. Si la mondialisation est bien cet état de fait de l'évolution de l'économie et de l'Histoire, la mondialité, concept élaboré par Edouard Glissant, essayiste, poète et écrivain martiniquais, désigne la multiplicité du divers et des situations particulières qui est un enrichissement intellectuel et humain, plutôt qu'un appauvrissement dû à l'uniformisation.
Comment résister à la mondialisation et l’uniformisation des modes d’être? Comment accueillir la mondialité? La grande difficulté, d’après lui, est que nous avons une idée de la connaissance qui serait quelque chose de stable, et grâce à laquelle on peut prévoir le monde, car il est difficile de renoncer à l’idée qu’on va planifier et changer le monde. Autrement, l’idée même de notre vie paraît vaine: pourquoi vivre? comment vivre? Il nous faut cesser pourtant, dit-il, de concevoir le monde comme un objet qu’on peut planifier et changer. Le monde est imprévisible, il n’est pas planifiable. Et si l’on admet l’idée d’un savoir qui serait instable, nous sommes introduits au cœur d’une dimension nouvelle où l’apprendre a quelque chose à voir avec l’inconnu, les variables et les incertitudes et où il est à même de composer avec l’imprévisibilité du monde.
Dans un contexte de crise mondiale, à la fois géopolitique, économique, environnementale, écologique et sanitaire, que nous apprend la mondialité? Face à quoi nous met-elle? Comment vivre une mondialité sereine et pacifiée quand il est trop tard? Est-il trop tard? Dans ce qui s’accompagne d’une crise dans la représentation et les instances du pouvoir, quelles décisions prendre? Comment diriger? Qu’est-ce qu’être un politique aujourd’hui? Qu’est-ce qu’un parti politique aujourd’hui? Que défendent-ils? C’est là qu’intervient l’utopie, non comme le rêve d’un monde meilleur, mais comme une pensée qui peut nous amener à réaliser des impossibles. Une pensée du changement.
Certes, il y eut, en Occident, des moments favorables à l’apparition des utopies. Celles-ci imaginent généralement un régime politique égalitaire et une société vivable pour tous. Ainsi, pour les penseurs comme Platon, Thomas More ou Saint Augustin, l’utopie consiste essentiellement en la recherche d’une norme car il fallait, à ce moment-là de l’histoire des humanités en Occident, essayer de comprendre comment des communautés se forment et s’opposent les unes aux autres mais également comment elles perdurent et se maintiennent.
Chez Glissant, l’utopie, ou la pensée du changement, c’est la pensée de tout ce qui change et de tout ce qui peut nous changer en changeant autour de nous. C’est lorsque nous n’avons plus la possibilité d’influer sur le monde selon des plans préétablis. Même les plus grandes puissances du monde, note-t-il, s’aperçoivent que cela ne fonctionne pas. Nous sommes maintenant dans cet énorme Tout-monde dont l’une des rationalités est d’être complètement irrationnel, parce qu’inextricable, et donc, on ne peut plus croire que ce que l’on fait est absolu ou valable pour tous. Ainsi, toute utopie passe par ce que Glissant appelle «la pensée du tremblement», c’est-à-dire le sentiment instinctif qu’il nous faut refuser toutes les catégories de pensées figées, toutes les catégories de pensées impériales, la pensée qui s’organise en système et qui essaie de mettre de l’ordre, son ordre, dans le monde.
«Dans le Tout-monde, tout tremble», nous dit enfin Glissant. Le Tout-monde tremble physiquement, géologiquement, mentalement, spirituellement, parce que le Tout-monde cherche ce point utopique dans lequel toutes les cultures du monde, tous les imaginaires du monde peuvent se rencontrer et s’entendre sans se disperser ni se perdre.
Ces pensées, d’une extrême actualité, sont à même de constituer aujourd’hui des réponses au tremblement de nos mondes respectifs, à nos pertes des repères, à la faillibilité de nos certitudes, à nos doutes et à l’imprévisibilité de nos quotidiens. Comment créer des modes d’être qui permettent de comprendre cette mondialité et de la vivre? Des réponses qui ressemblent davantage à des questions, parce qu’elles se déploient dans l’instable et l’inconnu, là où, aussi, il devient possible de s’inventer.
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