Les feux de forêts, un problème complexe au Liban
Depuis quelques semaines, les feux de forêts se multiplient au Liban. La crise économique et les démarches anarchiques de l’État sont l’une des nombreuses raisons derrière ces catastrophes...

Tannourine, Bisri, Baskinta, Roumieh, Deir el-Qamar… Cette année, les feux de forêts ont dévasté plusieurs kilomètres carrés d’espaces verts au Liban et à travers le monde. Incendies volontaires ou hasard malencontreux, l’heure est grave. Malgré le travail de sensibilisation et de mise en garde du Conseil national de la recherche scientifique libanais (CNRS-L), des ONG et des chercheurs, les incendies de forêts ont atteint un point critique et ravagé des régions éloignées au Liban.

En Méditerranée, «seuls 1 à 5% des feux de forêts seraient dus aux éclairs et autres catastrophes naturelles», explique Rana el-Zein, scientifique et spécialiste en écophysiologie et dynamique forestière. «Le reste est causé volontairement ou involontairement par les activités humaines, comme les installations de câbles électriques, la pyromanie, les lobbies industriels et la mauvaise gestion des espaces forestiers…», ajoute-t-elle.

De fait, la biomasse (organismes végétaux comme le bois et les herbes) s’accumule dans les forêts et les réserves, créant un stock de combustibles pouvant prendre feu à n’importe quel moment. D’où la nécessité de «la prélever pour garder un certain équilibre», insiste de son côté Jean Stéphan, enseignant-chercheur en écologie et biodiversité à l’Université libanaise. Cela est d’autant plus nécessaire que «les conditions abiotiques (qui relèvent du non vivant NDLR), comme la sécheresse, la chaleur et le vent chaud, sont propices à l’augmentation de l’ampleur de la catastrophe, précise Rana el-Zein. Ces facteurs permettent aux flammes de s’étendre à des kilomètres à la ronde et de persister pendant des jours.»

Des incendies… bénéfiques

Il existe trois types de feux de forêts: les feux de surface, qui en général sont bénéfiques puisqu’ils débarrassent les forêts des herbes sèches et des bactéries nocives; les feux de profondeur, qui détruisent les racines et les bulbes de plantes; et les feux dits de couronne, qui détruisent les arbres jusqu’aux branches les plus hautes.

Les incendies de surface causés naturellement peuvent, dans certains cas, s’avérer bénéfiques en créant un environnement stérile, riche et propice au renouvellement de la forêt. «C’est le cas, à titre d’exemple, des incendies en Amérique qui brûlent chaque dix ans les forêts de pins et de séquoias pour libérer les graines des cônes et leur assurer un environnement propice à leur développement», explique Rana el-Zein.

Les conséquences des feux de profondeur et de couronne vont bien au-delà de la perte des arbres centenaires. La forêt étant un habitat naturel pour beaucoup d’animaux, les populations (notamment celles autochtones) verront leur nombre diminuer, voire disparaître, d’autant que nombre d'animaux ne peuvent pas fuir les flammes comme les hérissons, les tortues, les escargots et les serpents; comme ce fut le cas, en 2019, lorsque les incendies qui se sont déclarés dans les forêts australiennes ont tué des dizaines de milliers de koalas. De plus, la flore bactérienne et microscopique de la forêt (ensemble de bactéries et autres microorganismes bénéfiques au bon développement de la forêt, NDLR) sera totalement détruite, du fait des températures élevées qui stérilisent le milieu.


Bien choisir ses espaces verts protégés

Pour M. Stéphan, l’une des façons de lutter contre les incendies consiste à bien choisir ses espaces verts protégés. «En effet, explique-t-il, ces espaces sont choisis dans leur majorité au hasard. Le ministère de l’Environnement ne prend aucun critère scientifique pour classer les réserves qui présentent, dans leur majorité, la même biodiversité à la même altitude et dans les mêmes conditions climatiques. Sur les 14 réserves naturelles classées au Liban, seules quatre ou cinq méritent cette classification.»

M. Stéphan souligne la nécessité de «se concentrer sur la préservation des zones humides du Liban, qui sont riches en biodiversité, au lieu de déployer des efforts considérables pour protéger des forêts qui ne le méritent pas».

Le scientifique explique qu’une réserve naturelle doit essentiellement être l’œuvre de la nature sans aucun ajout de l’être humain. Or, dans plusieurs réserves au Liban, des arbres ont été plantés ou même introduits de façon anarchique avec une concentration sur la plantation des conifères qui sont d’excellents combustibles. «Souvent, l’intervention humaine cause plus de bien que de mal, constate Jean Stéphan. Planter des arbres de la même espèce augmente le risque d’une extension des incendies et des attaques de maladies ou d’insectes.»

Il explique à cet égard que «les personnes dont les terrains sont délimités par les forêts, notamment les espaces verts protégés, auraient tendance à déclencher un départ de feu pour élargir leur territoire, surtout dans les régions qui connaissent des problèmes au niveau des plans du cadastre, d’autant que les terrains sont délimités en fonction de ce qui les entoure». «Si, à titre d’exemple, le terrain d’un agriculteur s’étend du cours d’eau jusqu’à la forêt, brûler la forêt lui permettra de repousser ses frontières et donc d’agrandir son terrain, fait remarquer M. Stéphan. Ces pratiques devraient se multiplier avec la crise actuelle. Si la population qui vit dans le périmètre de la forêt n’est pas convaincue de la nécessité de la protéger, rien ne peut être fait. Sensibiliser la population à l’importance des plantes et à leur utilisation au quotidien les poussera à protéger eux-mêmes ces habitats. Comme le cyclamen perse (Cyclamen persicum) qui peut être utilisé à la place des feuilles de vigne, ou la baie du berbéris qui est un très bon fruit aphrodisiaque, qu’on peut transformer en sirop ou en liqueur.»

Après les flammes, la vie

«Les incendies sont des épisodes certes traumatisants pour les forêts, mais il ne faut surtout pas se précipiter pour les reboiser rapidement», insiste Rana el-Zein. Comme la forêt a la capacité de se renouveler, il est conseillé de ne pas toucher aux graines dans le sol, aux restes d’arbres encore vivants, aux mycéliums (réseau de filaments blancs s’étendant sur plusieurs kilomètres sous terre, à l'origine de la formation des champignons) et de laisser le vent et les animaux faire leur travail de pollinisation, d’autant que les cendres sont un fertilisant important. L’intervention humaine doit se faire à un stade ultérieur. Elle doit être basée sur des données scientifiques et l’avis des experts. Généralement, il faut attendre cinq ans pour envisager un éventuel reboisement.»
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