Revenir de la Biennale de Lyon, c'est avoir le cœur encore tout plein d’émotions, la tête toute pleine de poésie et l’âme toute pleine de Beyrouth. Beyrouth qui sait, plus qu’aucune autre ville peut-être, être omniprésente, obsédante et quelque part éternelle. Voilà pour le lyrisme d’une Beyrouthine amoureuse. Retour sur ces artistes libanais qui ont su occuper chacun une place privilégiée dans ce rendez-vous lyonnais sensible et talentueux.
D’abord Studio Safar qui a réalisé l’identité graphique de la 16e édition de la Biennale de Lyon. Cofondé par les graphistes Maya Moumné et Hatem Imam, basé à Beyrouth et Montréal, ce collectif a choisi le motif de la fleur comme point de départ à la création de cette identité. D’abord en hommage au fameux herbier qui a fait la renommée de Lyon, mais également aux motifs imprimés des textiles soyeux de la ville. Studio Safar présente dans cette Biennale six petits films produits en anglais, allemand, arabe, espagnol, français et mandarin.
Dans Beyrouth et les Golden Sixties, sur des reproductions géantes des photos noir et blanc et nostalgie dont la plupart venaient de la collection Georges Boustany, entre les documentaires d’archives fournies par la LBC et les divers documents délicats et émouvants des diverses galeries et centres d’art de l’époque, se laissaient admirer les œuvres de Shafic Abboud, Etel Adnan, Farid Aouad, Dia Al-Azzawi, Alfred Basbous, Joseph Basbous, Michel Basbous, Assadour Bezdikian, Huguette Caland, Rafic Charaf, Saloua Raouda Choucair, Georges Doche, Simone Fattal, Laure Ghorayeb, Paul Guiragossian, Farid Haddad, John Hadidian, Jumana Bayazid el-Husseini, Dorothy Salhab Kazemi, Helen el-Khal, Simone Baltaxé Martayan, Jamil Molaeb, Fateh al-Moudarres, Nicolas Moufarrege, Mehdi Moutashar, Aref el-Rayess, Adel al-Saghir, Mahmoud Said, Nadia Saikali, Hashim Samarchi, Mona Saudi, Juliana Seraphim, Cici Sursock, Khalil Zgaib. Ils étaient très présents nos peintres et sculpteurs qui ont su briller et faire briller les années 60. Jusqu’aux événements tragiques et souvent en passant à travers avec talent, ils ont su traduire d’une façon exacerbée les agitations d’une ville capitale qui, entre faste et dorure, entre bruits de bottes et insouciance, entre âge d’or et années de cendre, a toujours nourri ses artistes.
Créée spécialement pour cette exposition, une double installation du duo Joana Hadjithomas et Khalil Joreige clôture le parcours. 14 écrans disposés en cercle montrent les images tirées des caméras de surveillance du Musée Sursock quelques secondes avant, pendant et après l’impact de l’explosion du 4 août ou comment la violence pourrait pulvériser l’art et l’activité artistique. Secoué, le spectateur découvre ensuite leur installation suivante But my head is still singing qui retranscrit sur un écran éclaté le chant d’Orphée, le musicien au destin tragique dont la tête décapitée et jetée à la mer continue de chanter… On les retrouvera également aux Usines Fagor avec une autre installation vidéo Where is my mind? composée à partir d’images prises dans divers musées et représentant des statues antiques ayant perdu leur tête et qui, dans un mouvement de va-et-vient, semblent hantées par des vers murmurés du poète grec Georges Seféris.
Aux usines Fagor également et au gré des immenses halls que l’on traverse pourtant très lentement tant il y a des œuvres à découvrir, Mia Habis et Omar Rajeh, le célèbre duo de danseurs et chorégraphes, présentent une installation d’images en mouvement explorant la fragilité du corps vieillissant du danseur centenaire George Mac Briar. On suit les zoom in et zoom out sur une plateforme parcourue par une machine dotée de détecteurs de mouvement et qui nous oblige… à danser aussi.
C’est un film surprenant qu’ont choisi de montrer les deux sœurs Keserwany, Michelle et Noëlle. Connue pour leurs critiques pleines d’humour des dysfonctionnements de notre pays, elles choisiront de parler d’exil dans ce premier film tourné en France qui met en scène Asma et Sarah, deux émigrées arabes venant de Syrie et du Liban. Le chassé-croisé émotionnel entre les deux femmes face aux difficultés de leur vie actuelle mais également aux traumatismes de leur vie passée résonne étrangement dans ces rues de Lyon où, un jour, des hommes et des femmes travaillant dans la soie se sont rebellés. Sur une musique de Zeid Hamdan et Lynn Adib.
Performeuse, poète, actrice et chanteuse, Rémie Akl se met crument en scène pour montrer les difficultés que traverse actuellement le Liban. On la suivra dans sa quête de la normalité dans un pays où tout devient périple. Avec en toile de fond la femme dans ses tentatives d’émancipation, Rémie nous touche dans sa démarche très personnelle, les risques qu’elle prend et les croisements entre histoire personnelle et histoire collective.
Dans Lyon qui se dévoile, Raed Yassine met en avant sa propre histoire d’un père créateur de mode disparu trop tôt. Dans un jeu de lumière et de couleurs, il reproduit dans trois œuvres le parcours et les créations de son papa. Il recrée en néons flashy l’enseigne de la maison de couture Azya’ Yassine, brode sur des photos d’archives les robes qu’auraient pu porter les mariées et fiancées de l’époque. Une autre installation montre les photos de la mannequin Fadwa Harb portant des ensembles que son père avait confectionnés pour une princesse saoudienne tragiquement disparue.
Nadine Labaki et Khaled Mouzanar, en collaboration avec l’illustrateur Jorj Abou Mhaya, présentent un film d’animation au titre évocateur Le monde va à la guerre et moi j’en reviens. Basé sur une chanson écrite par Khaled, les images sont poignantes comme un éternel recommencement des tragédies vécues par les peuples. La guerre comme inéluctable, comme si on y entrait et sortait sans cesse, comme si aussi, nés dans la guerre et la violence, une envie nous taraude de crier de ne pas y aller.
Dans l’installation photographique Feel Only Fear, Mohammad Abdouni travaille à transformer souvenirs personnels en mémoire collective. Archiver des instants et surtout des identités queer et trans arabes comme témoignages de ce que vivent les différentes générations LGBTQIA+ dans la région SWANA (Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord) ou la force/fragilité des images.
Avec ces fresques disposées dans plusieurs lieux de la Biennale, Chafa Ghaddar montre sa maîtrise des matériaux naturels et traditionnels. Plier ses toiles, les disposer autour de monuments antiques ou les placer tels des étendards interpelle sur les relations entre les divers médiums et les façons de les appréhender, et révèle une exploration de l’artiste dans les espaces et sa façon toute personnelle de s’en imprégner.
Ailleurs encore, ces surprenantes archives de Chekri Ganem, écrivain libanais et surtout activiste de la première heure pour l’indépendance du Liban. Auteur du fameux Antar, il s’invite dans cette biennale pour son esprit rebelle, son courage et ses idées avant-gardistes. Avec un fabuleux portrait de lui prêté par le fond Philippe & Zaza Jabre.
En ce mois de septembre, mois des récoltes, il nous a été donné la permission de rêver.
D’abord Studio Safar qui a réalisé l’identité graphique de la 16e édition de la Biennale de Lyon. Cofondé par les graphistes Maya Moumné et Hatem Imam, basé à Beyrouth et Montréal, ce collectif a choisi le motif de la fleur comme point de départ à la création de cette identité. D’abord en hommage au fameux herbier qui a fait la renommée de Lyon, mais également aux motifs imprimés des textiles soyeux de la ville. Studio Safar présente dans cette Biennale six petits films produits en anglais, allemand, arabe, espagnol, français et mandarin.
Dans Beyrouth et les Golden Sixties, sur des reproductions géantes des photos noir et blanc et nostalgie dont la plupart venaient de la collection Georges Boustany, entre les documentaires d’archives fournies par la LBC et les divers documents délicats et émouvants des diverses galeries et centres d’art de l’époque, se laissaient admirer les œuvres de Shafic Abboud, Etel Adnan, Farid Aouad, Dia Al-Azzawi, Alfred Basbous, Joseph Basbous, Michel Basbous, Assadour Bezdikian, Huguette Caland, Rafic Charaf, Saloua Raouda Choucair, Georges Doche, Simone Fattal, Laure Ghorayeb, Paul Guiragossian, Farid Haddad, John Hadidian, Jumana Bayazid el-Husseini, Dorothy Salhab Kazemi, Helen el-Khal, Simone Baltaxé Martayan, Jamil Molaeb, Fateh al-Moudarres, Nicolas Moufarrege, Mehdi Moutashar, Aref el-Rayess, Adel al-Saghir, Mahmoud Said, Nadia Saikali, Hashim Samarchi, Mona Saudi, Juliana Seraphim, Cici Sursock, Khalil Zgaib. Ils étaient très présents nos peintres et sculpteurs qui ont su briller et faire briller les années 60. Jusqu’aux événements tragiques et souvent en passant à travers avec talent, ils ont su traduire d’une façon exacerbée les agitations d’une ville capitale qui, entre faste et dorure, entre bruits de bottes et insouciance, entre âge d’or et années de cendre, a toujours nourri ses artistes.
Créée spécialement pour cette exposition, une double installation du duo Joana Hadjithomas et Khalil Joreige clôture le parcours. 14 écrans disposés en cercle montrent les images tirées des caméras de surveillance du Musée Sursock quelques secondes avant, pendant et après l’impact de l’explosion du 4 août ou comment la violence pourrait pulvériser l’art et l’activité artistique. Secoué, le spectateur découvre ensuite leur installation suivante But my head is still singing qui retranscrit sur un écran éclaté le chant d’Orphée, le musicien au destin tragique dont la tête décapitée et jetée à la mer continue de chanter… On les retrouvera également aux Usines Fagor avec une autre installation vidéo Where is my mind? composée à partir d’images prises dans divers musées et représentant des statues antiques ayant perdu leur tête et qui, dans un mouvement de va-et-vient, semblent hantées par des vers murmurés du poète grec Georges Seféris.
Aux usines Fagor également et au gré des immenses halls que l’on traverse pourtant très lentement tant il y a des œuvres à découvrir, Mia Habis et Omar Rajeh, le célèbre duo de danseurs et chorégraphes, présentent une installation d’images en mouvement explorant la fragilité du corps vieillissant du danseur centenaire George Mac Briar. On suit les zoom in et zoom out sur une plateforme parcourue par une machine dotée de détecteurs de mouvement et qui nous oblige… à danser aussi.
C’est un film surprenant qu’ont choisi de montrer les deux sœurs Keserwany, Michelle et Noëlle. Connue pour leurs critiques pleines d’humour des dysfonctionnements de notre pays, elles choisiront de parler d’exil dans ce premier film tourné en France qui met en scène Asma et Sarah, deux émigrées arabes venant de Syrie et du Liban. Le chassé-croisé émotionnel entre les deux femmes face aux difficultés de leur vie actuelle mais également aux traumatismes de leur vie passée résonne étrangement dans ces rues de Lyon où, un jour, des hommes et des femmes travaillant dans la soie se sont rebellés. Sur une musique de Zeid Hamdan et Lynn Adib.
Performeuse, poète, actrice et chanteuse, Rémie Akl se met crument en scène pour montrer les difficultés que traverse actuellement le Liban. On la suivra dans sa quête de la normalité dans un pays où tout devient périple. Avec en toile de fond la femme dans ses tentatives d’émancipation, Rémie nous touche dans sa démarche très personnelle, les risques qu’elle prend et les croisements entre histoire personnelle et histoire collective.
Dans Lyon qui se dévoile, Raed Yassine met en avant sa propre histoire d’un père créateur de mode disparu trop tôt. Dans un jeu de lumière et de couleurs, il reproduit dans trois œuvres le parcours et les créations de son papa. Il recrée en néons flashy l’enseigne de la maison de couture Azya’ Yassine, brode sur des photos d’archives les robes qu’auraient pu porter les mariées et fiancées de l’époque. Une autre installation montre les photos de la mannequin Fadwa Harb portant des ensembles que son père avait confectionnés pour une princesse saoudienne tragiquement disparue.
Nadine Labaki et Khaled Mouzanar, en collaboration avec l’illustrateur Jorj Abou Mhaya, présentent un film d’animation au titre évocateur Le monde va à la guerre et moi j’en reviens. Basé sur une chanson écrite par Khaled, les images sont poignantes comme un éternel recommencement des tragédies vécues par les peuples. La guerre comme inéluctable, comme si on y entrait et sortait sans cesse, comme si aussi, nés dans la guerre et la violence, une envie nous taraude de crier de ne pas y aller.
Dans l’installation photographique Feel Only Fear, Mohammad Abdouni travaille à transformer souvenirs personnels en mémoire collective. Archiver des instants et surtout des identités queer et trans arabes comme témoignages de ce que vivent les différentes générations LGBTQIA+ dans la région SWANA (Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord) ou la force/fragilité des images.
Avec ces fresques disposées dans plusieurs lieux de la Biennale, Chafa Ghaddar montre sa maîtrise des matériaux naturels et traditionnels. Plier ses toiles, les disposer autour de monuments antiques ou les placer tels des étendards interpelle sur les relations entre les divers médiums et les façons de les appréhender, et révèle une exploration de l’artiste dans les espaces et sa façon toute personnelle de s’en imprégner.
Ailleurs encore, ces surprenantes archives de Chekri Ganem, écrivain libanais et surtout activiste de la première heure pour l’indépendance du Liban. Auteur du fameux Antar, il s’invite dans cette biennale pour son esprit rebelle, son courage et ses idées avant-gardistes. Avec un fabuleux portrait de lui prêté par le fond Philippe & Zaza Jabre.
En ce mois de septembre, mois des récoltes, il nous a été donné la permission de rêver.
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