Un Samarcande à mille lieux de l’imagination d’Amin Maalouf
Si l’ère des guerres conventionnelles est restée inachevée après la fin de la guerre froide et la chute de l’Union soviétique dans les années 1990, la guerre russe contre l’Ukraine a réactivé ce type d’opérations militaires qui entraînent des répercussions politiques majeures au niveau international, d’autant qu’elles s’accompagnent de démarches de Moscou à l’échelle internationale dans le but de «détourner l’attention» de sa guerre contre Kiev et de se repositionner sur la scène internationale.

Aussi, parallèlement à la guerre «conventionnelle» qui fait rage entre Moscou et Kiev, ponctuée de stratégies d’attaque et de repli, de victoires et de pertes provisoires, l’axe obstructionniste au Moyen-Orient poursuit-il son action pour noyauter certains pays de la région en renforçant des factions locales au détriment des intérêts nationaux de ces pays. Au cours des dernières semaines, cet axe a récupéré le mouvement Hamas après une rupture intervenue en 2011, à la suite du déclenchement de la révolution syrienne et l’appui du groupe radical palestinien au peuple syrien. Mais, voilà que le Hamas retourne à Damas et que «l’axe» récupère un maillon essentiel, d’autant qu’il a constamment besoin de recourir à «la cause palestinienne» indispensable à sa rhétorique populiste.

Par conséquent, il semblerait que le monde se trouve à un nouveau tournant, mêlant les conflits entre les États à ceux provoqués par des acteurs extérieurs tels que des factions armées, des milices, etc. De ce fait, les conflits peuvent se déclencher sur deux niveaux aussi dangereux l’un que l’autre, exposant le monde à des risques majeurs qui affectent la paix internationale et les moyens de la renforcer dans plusieurs régions explosives à travers la planète.

Au niveau politique, il est clair que Moscou vise à reproduire des alliances semblables à celles qui prévalaient pendant la guerre froide, lorsque le monde était divisé en deux camps, l’Est et l’Ouest. Compte tenu de la forte polarisation qui se profile à l’horizon, les pays non-alignés réunis à Bandung en 1955 n’avaient pas réellement été en mesure d’atténuer le clivage international de l’époque.

Ainsi, toute lecture du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai qui s’est tenu à Samarcande, en Ouzbékistan, en dehors de cette approche multidimensionnelle, restera inachevée. De fait, l’adhésion de l’Iran comme membre à part entière de l’organisation, alors que sa candidature était en suspens depuis 2005, constitue un défi pour l’Occident, qui lui impose des sanctions économiques et politiques sévères. Il s’agit là d’un des aspects de la confrontation attendue avec l’Occident et qui prendra de multiples formes.

D’ailleurs, l’Iran est devenu le neuvième membre de cette organisation, qui comprend la Russie, la Chine, l’Inde, le Kazakhstan, le Pakistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizstan. L’Égypte et le Qatar sont quant à eux devenus des «partenaires de dialogue» et rejoignent de ce fait dix autres pays disposant du même statut.


Il est clair que Moscou organise son «arrière-cour» dans le Caucase et œuvre pour rétablir l’influence qu’il a perdue après la chute de l’Union soviétique. Est-ce un hasard que l’emploi du temps de Vladimir Poutine soit «chargé» le jour-même du dernier adieu au dernier président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev? Mais, l’ambition russe ne se limite pas à son «arrière-cour». Moscou renforce ses relations stratégiques avec la Chine, saluant sa «position équilibrée» concernant la guerre qu’il mène en Ukraine.

En réalité, Pékin fait un pas en direction de la Russie dans le conflit ukrainien et Moscou fait un pas en direction de Pékin dans l’affaire de Taïwan par son attitude ferme en faveur de «l’unité du territoire chinois». Dans la même foulée, un projet de construction d’un gazoduc pour acheminer le gaz de la Russie vers la Chine à travers la Mongolie a débuté. Certes, Moscou cherche à mettre l’Europe à genoux en coupant son approvisionnement en gaz à l’approche de l’hiver. Mais il est par ailleurs vrai que la Russie cherchera à écouler sa lourde production à long terme. Et, si cela pouvait se faire en «monnayant» un service commercial et politique à la Chine, alors pourquoi pas?

Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie ont fait un bond remarquable, atteignant environ 117 milliards de dollars au cours des huit premiers mois de l’année en cours. Le président russe espère que le volume des échanges bilatéraux atteindra bientôt 200 milliards de dollars, grâce aux projets d’investissement sur lesquels les deux pays planchent et dont la valeur atteint les 160 milliards de dollars.

Le conflit international prend donc de nouvelles formes. Ainsi, le Congrès américain a renforcé son soutien militaire et économique à Taïwan et la Commission taïwanaise des Affaires étrangères a consacré 4,5 milliards de dollars pour acquérir davantage d’armes américaines. De leur côté, des législateurs démocrates et républicains ont présenté un projet de loi visant à inscrire la Russie sur la liste des États qui soutiennent le terrorisme.

Il convient de noter par ailleurs que la flotte américaine connaît sa plus grande modernisation. Pour ce faire, Washington a alloué 27 milliards de dollars pour augmenter le nombre de ses navires à 350 dans un contexte de tension accrue dans les océans Pacifique et Indien. Ce budget considérable, jamais consenti auparavant, bénéficie du soutien du Congrès.

Le retour du monde multipolaire n’est donc pas loin. À tout le moins, il est devenu clair que l’unilatéralisme des États-Unis, et à travers lui celui de l’Occident, subit des transformations majeures et que de nouveaux pôles de pouvoir émergent, renforcés par le partenariat sino-russe, ainsi que par l’ascension spectaculaire de la Chine et l’alliance solide avec Moscou. Dans tous les cas, quelque chose laisse à penser que le nouveau monde sera meilleur que l’actuel. Il n'en reste pas moins que les grandes puissances s’affrontent et pays pauvres en font les frais!
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