Les maronites de Chypre : espoir et espérance
©Le souverain pontife portant l'icone maronite de Notre-Dame d'Ilige
Mgr Youssef Soueif, évêque maronite de Chypre entre 2008 et 2021, faisait partie de la délégation qui a accompagné le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, pour accueillir le pape François à Nicosie lors de la visite du Saint Père à Chypre, la semaine dernière. Dans un entretien avec Ici Beyrouth il nous expose les efforts déployés par son prédécesseur, l’évêque Boutros Gemayel, mais aussi par son successeur Mgr Selim Jean Sfeir, en vue de redresser la situation de sa communauté qui comptait 60 000 âmes au XVIe siècle (avant l'invasion ottomane) et qui est réduite aujourd’hui à environ 7000 personnes réparties sur dix paroisses. Ces efforts sont multiples et se traduisent par les visites dans les villages historiques, les messes d’exception dans leurs églises ancestrales, la construction de nouvelles églises maronites dans la partie grecque, l’enseignement de la langue maronite, et enfin la fondation de l’atelier d’iconographie.

L’atelier de Chypre est l’œuvre la plus illustre de Mgr Boutros Gemayel. Il forme, avec celui de Kaslik, les deux écoles actuelles d’iconographie maronite. Tandis que l’atelier de Kaslik opte pour les couleurs chaudes, orientales et pour l’écriture syriaque cursive (serto), celui de Chypre déploie une facture byzantine, des couleurs célestes et une écriture syriaque monumentale (estranguélo). Cette écriture noble est celle qui se trouve gravée au Liban, sur les entrées des monastères patriarcaux de Bkerké et Ilige. L’atelier de Chypre reprend donc la graphie, ainsi que les formes et les thèmes du plus prestigieux manuscrits de l’Eglise maronite, le Codex Rabulensis, composé en l’an 586.

L'unique salut envisageable

La devise de Mgr Gemayel fut toujours « l’espoir et l’espérance ». Et c’est sur elle que ses successeurs, les évêques Youssef Antoine Soueif et aujourd’hui Selim Jean Sfeir, ont fondé leur mission pastorale. Mgr Soueif fait du sauvetage des quatre villages le fer de lance du combat existentiel des Maronites de Chypre. Sans son patrimoine territorial cette communauté est condamnée à disparaître par assimilation. L’évêque déclare compter sur les pourparlers entre les autorités turques et grecques chypriotes, portant sur une réunification de l’île, ou l’établissement d’une éventuelle fédération qui permettrait au canton maronite de se fédérer avec les autres ou de se rattacher à la région grecque. C’est l’unique salut envisageable pour les fidèles de Saint Maron, car la terre est l’une des assises de l’identité, en même temps que la langue et la foi.

Mgr Soueif nous apprend, à juste titre, que c’est précisément grâce à leur liturgie syriaque que les Maronites ont survécu en tant que composante distincte sur cette île méditerranéenne orthodoxe. A part un millier de personnes qui continuent de parler la langue ancestrale, la majorité est aujourd’hui grécophone. La liturgie maronite continue cependant de faire usage d’un syriaque transcrit en lettres grecques. Des écoles de paroisse tentent de réenseigner actuellement la langue maronite vulgaire composée d’un mélange de syriaque, d’arabe et de grec. Elle est aussi dotée, depuis peu, d’un système d’écriture en alphabet latin.


Mgr Youssef Antoine Soueif insiste sur l’attachement des Maronites à leur terre. Depuis l’invasion turque ils n’ont jamais vendu la moindre propriété dans la partie occupée. Ils ont même procédé à l’achat de nombreuses parcelles dans la moitié méridionale. Avec une lueur de fierté, l’évêque décrit leur foi ardente ancrée dans l’histoire. « Ils sont pieux, pratiquants et très dévoués au Liban, au patriarcat et à la Qadisha. C’est la terre sainte pour les Maronites de Chypre mais aussi pour ceux du monde entier ». Il rajoute que leur attachement est tel que leurs pèlerinages sont spontanés et se font parfois en famille sans recours aux grandes formes artificielles d’excursions organisées.

La dimension oecuménique

Au-delà des grands titres de la visite du pape François, Mgr Soueif perçoit un message ciblé pour les Maronites et à travers eux, pour le Liban. Il y a certes les messages importants comme ceux concernant les problèmes douloureux des migrants ou de la division de l’île. Il y a la rencontre avec le primat orthodoxe de Chypre, Chrysostome II, et la dimension œcuménique fondamentale depuis le schisme de 1054 entre Rome et Constantinople. Il y a aussi l’ouverture d’une ambassade du Saint Siège à Chypre, car il y avait jusqu’ici un nonce apostolique mais pas de nonciature. Mais la première réunion du souverain pontife dans la cathédrale maronite Notre-Dame-de-Grâce à Nicosie dès son arrivée sur l’île est un signe manifeste. Il sera suivi d’une messe maronite célébrée par le pape.

De son côté, le patriarche Bechara Raï qui prononça le discours d’accueil, a effectué des visites pastorales auprès des communautés maronites de Nicosie et de Limassol. Il a célébré également des messes dans leurs églises historiques situées dans la partie nord de l’île, à Saint-Georges de Kormakitis comme à la Sainte-Croix de Karavas sur le littoral septentrional. Il a visité les associations, les organisations et les écoles. Tout est fait pour raviver cette communauté et lui maintenir ses traditions tout en projetant son avenir.

Conscients que le nombre de fidèles maronites est aujourd’hui dix fois inférieur à celui du 16° siècle, le pape, le patriarche et les deux évêques, armés de leur foi, lèvent le défi de la persévérance et de la vie. D’une voix fervente, comme en attitude de prière, l’évêque Soueif ajoute : « A partir de Chypre le pape regarde le Liban et porte l’espérance et l’espoir de lui rendre la vie ».
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