«Liban, connais-toi toi-même!»

«Connais-toi toi-même.» Ce précepte socratique, valable pour tout homme aspirant à la sagesse, l'est aussi pour les nations. En l'ayant ignoré, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a perdu la vie. Pour avoir cru qu’il avait désormais la mainmise sur l’État libanais et avoir engagé le Liban, le 8 octobre 2023, dans une guerre de soutien au Hamas, contre l’avis des autres composantes de la nation, le Hezbollah a fini par s'attirer une riposte foudroyante d’Israël, face à laquelle ses atouts militaires présumés, notamment la dissuasion par ses fusées de longue portée et les menaces d’un soutien iranien, n’ont pas fonctionné.

La riposte israélienne, que le monde entier avait anticipée, lui a coûté la vie. Le retentissement de cette opération dans le monde arabe et islamique se transmettra certainement à travers les générations, et cela pourrait coûter cher à Israël. En effet, Hassan Nasrallah avait un côté messianique, dû essentiellement à son charisme naturel, assorti d’une parfaite conformité entre ses paroles et ses actes. Israël a exulté en l’abattant. Mais il n’est pas certain qu’il ne lui ait pas rendu service, en auréolant du martyre une figure déjà mythique. Il rejoint ainsi, dans la mort et l’imaginaire populaire, des figures de grands leaders de la lutte pour l'indépendance du siècle dernier, comme le Mahatma Gandhi ou Che Guevara.

Sur le plan interne également, sa mort est une grande leçon, rappelant celles de trois grands leaders assassinés durant la guerre civile libanaise ou à cause d’elle: Kamal Joumblatt (1977), Bachir Gemayel (1982) et Rafic Hariri (2005), tous trois érigés, après leur mort, en référence absolue d’orthodoxie idéologique par leurs partisans.

Michel Mouawad a eu la présence d’esprit, hier, de rappeler dans son point de presse que tous ceux qui, au Liban, ont cédé à la tentation de se croire les seuls décideurs, se considérant comme le tout et non une partie, ont mal fini. Et pour l’histoire, rappelons que les quatre martyrs dont nous parlons appartiennent aux quatre grandes communautés du Liban: druze, chrétienne (maronite), sunnite et chiite.

L’élan de solidarité nationale que nous a valu notre malheur est réel et admirable. Il n'efface toutefois pas le profond désaccord qui oppose le front souverainiste, représenté par M. Mouawad, au Hezbollah. Qu'il soit affaibli ou non, ce parti doit revoir sa doctrine politique et accepter de limiter ses ambitions aux frontières que l'accord Sykes-Picot a tracées pour le Grand Liban. Le Liban a trop souffert pour ne pas demander – dès maintenant – des comptes au Hezbollah pour la catastrophe à laquelle sa guerre d’attrition a conduit le pays.

Nous avons été entraînés dans la guerre, désunis. Il n’est pas permis que nous en ressortions encore désunis, d’autant plus qu'il ne fait aucun doute qu’Israël procède en ce moment, à coups de bombes, à un remodelage démographique du pays en éloignant les chiites du Liban-Sud de ses frontières, un «transfert» qu’il faudra revisiter.

Nous sommes libres de penser, comme l’ayatollah Ali Khamenei prononçant l’éloge funèbre de Hassan Nasrallah lors de la prière du vendredi à Téhéran, qu’Israël est une «entité artificielle» et que son anéantissement est «un devoir religieux et légal». Mais nous ne sommes pas libres d'agir en conséquence. Certes, la cause palestinienne demeure sacrée, mais il n’est plus permis d’utiliser le Liban comme un front, et non comme une patrie. Et pas n'importe quelle patrie. Une fois pour toutes: le Liban est plus qu’un pays, c’est un message de pluralisme pour l’Orient et l’Occident. Le pluralisme est le mot-clé que tout le monde au Liban doit intérioriser. Comme le dit le précepte socratique: «Connais-toi toi-même.»

Fady Noun
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