Le Liban a-t-il une chance?
©Ici Beyrouth

Nous ne sommes plus dans la conjecture, nous sommes dans la guerre. La donne stratégique a été entièrement bouleversée, la géopolitique libanaise est remise en cause, la mort clinique de l’État libanais est désormais un fait, les déplacements de masse et leurs effets entropiques remettent en question la paix civile. On assiste par ailleurs à l’effondrement brutal de ce qui reste de l’économie et des réserves monétaires, ainsi qu’aux effets délétères d’une guerre dévastatrice. Le prolongement de la guerre est compromettant à plus d’un titre si l’on n’arrive pas à dégager un consensus sur les possibilités de s’extraire de cette guerre qui a été décrétée de manière unilatérale par le Hezbollah, alors que sa ligne de conduite depuis 1990 visait délibérément la paix civile, la viabilité statutaire de l’État libanais, la souveraineté nationale, le pluralisme culturel et politique du pays, l’économie libanaise et les choix normatifs. Somme toute, le projet national libanais était remis en question au nom d’une politique de domination chiite pilotée par la dictature islamique en Iran. 

La guerre avec Israël est le leitmotiv principal de l’action politique et militaire du Hezbollah dans la mesure où l’État d’Israël est l’obstacle majeur à la mainmise iranienne sur le Moyen-Orient. Les Scotomes se ressourcent dans une vision idéologique et une démarche stratégique qui expliquent cette détermination. La stratégie iranienne s’articule sur un axe double, celui de la parité nucléaire et de la création d’un "cercle du feu" qui devrait ceinturer Israël et servir de plateforme à une guerre d’attrition ouverte. L’attaque du 7 octobre 2023 s’inscrit dans cette vision qui s’est construite sur des données fausses, une mésestimation du potentiel militaire israélien et des positionnements stratégiques aléatoires voire illusoires. Si on ne situe pas cette dynamique guerrière dans un contexte géostratégique complexe, on aurait du mal à comprendre ce déchaînement désordonné et touffu qui a fait éclater le peu d’équilibre qui restait dans cette région.

Le Liban a été intentionnellement entraîné dans la guerre en dehors de tous calculs stratégiques, caution institutionnelle et consensus national. Il s’agit d’une politique désinvolte qui correspond à tout un legs de politiques de subversion qui ont instrumentalisé la question palestinienne à des fins idéologiques et stratégiques qui ne lui étaient pas associées. Les intrications multiples et graves de la dynamique en cours gagneraient à être dissociées si l’on veut un épilogue raisonnable à ce conflit meurtrier. Il faudrait reconnaître, d’ores et déjà, que la guerre ne s’arrêtera qu’avec l’annihilation systématique de la machine de guerre du Hezbollah. Une guerre d’une telle ampleur et aux ramifications multiples ne peut se résorber que suite à la défaite du Hezbollah, ce qui veut dire qu’il n’y aurait de négociations qu’avec un cabinet de salut national encadré par les instances internationales. La fin des extraterritorialités politiques et juridiques et le recouvrement de la souveraineté nationale étant des conditions préjudicielles à toutes négociations. 

Le Hezbollah n’a aucun statut légal dûment reconnu en droit international. En fait, il s’agit d’un mouvement terroriste qui s’est emparé du pouvoir, qui a détruit toute notion de légalité et transformé le Liban en État-lige qui lui servait de couverture. L’approche diplomatique ne peut, sous aucun rapport, faire l’impasse sur ces enjeux de principe et leurs incidences sur l’avenir politique d’un pays décomposé. Le grand problème qui va se poser au lendemain de la guerre est celui de la représentation de la partie libanaise dans les négociations dans un pays qui était occupé par l’Iran et ses relais domestiques. La recherche de nouveaux consensus est impérative en vue de réintégrer la communauté internationale et de mettre fin au régime de séquestration imposé par le Hezbollah. 

Autrement, les dynamiques domestiques et transrégionales de la guerre sont liées aux évolutions politiques sur la scène iranienne, alors que les engrenages conflictuels autodestructeurs de l’Iran et la crise diffuse de légitimité du régime iranien sont rédhibitoires et de nature à entraver sa démarche discrétionnaire tant sur le plan militaire que diplomatique. Les objectifs de la guerre israélienne ont muté et le logiciel a évolué des impératifs de défense et de sanctuarisation des territoires à ceux de la restructuration des dynamiques stratégiques et sécuritaires dans une région en état de déliquescence aggravée. Nous ne sommes pas face à des données géostratégiques stables et aux contours précis, nous sommes face à des remaniements de grande envergure qui sont de nature à changer les dynamiques régionales. 

La guerre va se poursuivre à l’intersection d’une double dynamique locale et régionale qui mettrait fin à la politique expansionniste du régime iranien, à la politique des relais stratégiques et à la stratégie de militarisation du nucléaire. Cette dynamique finira par submerger le régime iranien et paver la voie à un changement radical conduit par les oppositions iraniennes. Le régime iranien est en voie de disparition, emportant avec lui les enjeux stratégiques, les credos idéologiques et les conflits qui s’y rattachent. Israël, dans son combat pour la survie et dans un acte de dépassement ahurissant, a réussi à remettre en question la donne stratégique régionale et internationale, à impulser de nouvelles dynamiques et à mettre fin aux verrouillages pérennes d’une région en quête de repères nouveaux. 

Les États du Proche-Orient seront désormais à même de lever les hypothèques qui ont entravé leurs dynamiques politiques endogènes et bloqué les changements politiques internes et de réinfléchir leurs priorités dans la direction du développement intégré et de la démocratisation. L’action politique et diplomatique change de registre et de récit, et il n’est plus question de réhabiliter des anachronismes idéologiques et stratégiques.

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