Depuis presque deux décennies, le Qatar brille sur la scène régionale et internationale par son rôle de médiateur dans plusieurs conflits. Comment cet État fragile et de constitution récente a-t-il fait son ascension à l’échelle de la politique internationale?

Le Qatar joue, depuis plus d’un an maintenant, le rôle de médiateur principal, aux côtés des États-Unis et de l’Égypte, dans les négociations pour un cessez-le-feu à Gaza. La guerre en cours entre Israël et le Hamas a été déclenchée le 7 octobre 2023. Mais ce n’est pas une première pour cet émirat qui s’est érigé sur la scène internationale il y a déjà presque deux décennies. Le Qatar s’est imposé en principal médiateur dans de nombreuses crises régionales, notamment celle du conflit israélo-palestinien. Pratiquement, il est le seul locuteur à pouvoir communiquer à la fois avec Israël, les groupes islamistes, l’Iran et les États-Unis!

Comment un si petit pays peut-il être aussi visible sur le plan international et aussi actif sur le plan de la diplomatie?

Transformer sa faiblesse en force

L’ascension fulgurante sur la scène internationale de ce jeune État, ayant pris son indépendance de la tutelle britannique en 1971, a intrigué le monde. Selon Karim Sader, politologue spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe, la prouesse du Qatar consiste à avoir transformé ses points de faiblesse, tels que la petitesse de son territoire et son environnement géographique hostile, en points de force.

“L'avantage du Qatar est très simple”, observe M. Sader. “Avec près de 11.000 km² de superficie et à peine 200.000 citoyens nationaux, il n’a, en quelque sorte, pas de comptes politiques à rendre.” De par son “système politique complètement verrouillé”, le processus décisionnel est personnalisé et limité à un groupe très restreint. La prise de décision ne passe donc pas par les circuits d’une bureaucratie ministérielle, ce qui la rend rapide et efficace. Ceci confère au Qatar “une flexibilité, une marge de manœuvre qui rend facile pour lui le rôle de médiation”, poursuit M. Sader. Il en vient même à avancer que “le Qatar offre l’exemple que la démocratie n’est pas toujours le meilleur système”.

Pour ce consultant et professeur à l'université Saint-Joseph de Beyrouth, "l’émirat sait que sa seule survie tient justement à la médiation et à cette fonction d'être utile. Il a compris que c’est par son utilité qu’il peut survivre". Mais qui dit flexibilité dit paradoxe.

Le territoire qatari a abrité à la fois la plus grande base américaine hors du territoire US (Al-Udeid), un bureau commercial israélien, et des responsables de groupes islamistes tels qu’Ismaïl Haniyé ou Khaled Machaal. Cette polyvalence inhérente à l’émirat le consolide dans son rôle “adoubé par l’Occident qui avait besoin de ce médiateur”. En effet, le Qatar a la capacité de traiter avec des mouvements, notamment islamistes, qui seraient "infréquentables" pour les États occidentaux, selon les termes de M. Sader. C’est ainsi que "les États-Unis ont réussi à négocier le retrait en Afghanistan avec les Talibans", avance-t-il à titre d’exemple. Il n’en reste pas moins que les principaux leviers stratégiques de la politique étrangère du Qatar reposent également sur ses moyens économiques considérables et sur le développement du soft power.

D’une part, le Qatar occupe le troisième rang mondial des réserves de gaz naturel et le deuxième parmi les exportateurs de gaz naturel liquéfié. D’autre part, grâce à une initiative menée par Hamad al-Thani, père de l’actuel émir Tamim, le Qatar a développé les multiples composantes du soft power, à savoir l’éducation, la culture, le sport et la communication. Il s’agit d’une stratégie d'influence créant des facteurs de puissance sur le plan international "par des moyens non-militaires, non-coercitifs", explique M. Sader.

Il rappelle, dans ce cadre, que la création de la chaîne Al-Jazeera “a révolutionné le champ médiatique dans la région, donnant un énorme boost à l’image du Qatar”. Il cite aussi un événement remarquable, le fait que le Qatar a été le premier pays musulman à accueillir la Coupe du monde de football en 2022, lui offrant une immense visibilité à l’international. “On raconte que l’émir Hamad disait qu’il était plus important de faire partie du Comité olympique international que de l'ONU!”, confie le politologue.

La crise 2017-2021, moment charnière pour le Qatar

Cette frénésie caractérisant la politique étrangère qatarie, décrite par certains chercheurs d’"hyperactivité", a conduit à une "hypervisibilité" mal vue par les autres puissances régionales. On n’a pas tardé à reprocher au Qatar d’être “la grenouille qui veut devenir plus grosse qu’un bœuf”, résume M. Sader.

La concurrence avec l’Arabie saoudite s’est vite fait sentir. Par exemple, poursuit le politologue, on a perçu que l’accord de Doha, tenu en 2008 pour débloquer le dossier de la présidentielle au Liban, "avait pour vocation de supplanter celui de Taëf", conclu en 1989 pour mettre fin à la guerre libanaise, sur une initiative saoudienne. On a aussi reproché à la diplomatie qatarie de "se faire parfois à la hâte sans vraiment résoudre les conflits de manière structurelle", démarche soutenue par une stratégie du "carnet de chèque", ajoute M. Sader.

Par ailleurs, la position que le Qatar a adoptée lors des révolutions du Printemps arabe, en poussant les Frères musulmans à la prise de pouvoir, lui a coûté très cher. L'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l'Égypte l'accusent de soutenir le terrorisme et décident de le "sanctionner en lui coupant les ailes", indique M. Sader. C’est ainsi qu’à partir de juin 2017, ces quatre États du Golfe imposent un embargo à l’émirat en le "coupant du monde". Ce n’est qu’en janvier 2021 que les médiations koweïtienne et américaine porteront leurs fruits: le Royaume saoudien et ses alliés rétablissent les relations diplomatiques avec le Qatar.

Du mode solo au travail d’équipe

Le Qatar a, certes, reçu un coup dur, mais il sort de l’épreuve du blocus “renforcé sur le plan interne”, souligne M. Sader. “Le but initial de l’Arabie saoudite et de ses alliés était d’opérer un renversement du régime qatari, afin de le contrôler et de mettre fin à ses ambitions”, explique-t-il.

Paradoxalement, “le Qatar a résisté à cette pression grâce à sa solidité économique d’un côté, et à son agilité diplomatique de l’autre”. poursuit-il. “Il se tourne vers d'autres alliés comme la Turquie et l'Iran, son voisin qu'il a toujours bien cherché à amadouer et avec lequel il partage un gisement gazier offshore". Cette expérience a finalement "renforcé un sentiment d’identité nationale à l'intérieur du Qatar, autour de son émir, Tamim ben Hamad al-Thani, qui s’est vu doté d’une nouvelle aura nationale", indique le politologue.

En revanche, le message des pays du Golfe est bien passé, et le Qatar n’est plus le cavalier débridé qu’il était auparavant. Tout en conservant son équilibrisme diplomatique qui fait sa particularité, faisant de lui un acteur incontournable sur la scène diplomatique régionale et internationale, il ne détient plus le monopole de l’action.

On le voit, actuellement, œuvrer au sein du groupe des Cinq ambassadeurs chargés de débloquer le dossier de la présidentielle au Liban, en concertation avec les autres États influents, arabes et occidentaux.

"Le Qatar est de plus en plus concurrencé et son terrain disputé par d’autres acteurs, comme l’Égypte et la Jordanie, à l’égard de l’avenir de Gaza. D’autres pays du Golfe veulent aussi avoir leur mot à dire sur le remodelage actuel du Moyen-Orient, qui semble se faire par la force des armes israéliennes et par la politique américaine", conclut M. Sader.

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