Ce que Naïm Qassem n’a pas encore compris
©Iranian Presidency / Handout / ANADOLU / AFP

C’est un fait: naïvetés, égocentrisme, sous-évaluations de toutes sortes figurent parmi les éléments impondérables qui influent sur le cours de l’histoire. Nous en avons un exemple dans le discours prononcé cette semaine par le nouveau secrétaire général du Hezbollah. Ce que Naïm Qassem n’a pas encore compris, c’est qu’il n’est pas seul au Liban, c’est qu’il existe d’autres Libanais qui ne pensent pas comme lui; c’est qu’il est dans un pays pluraliste où la décision se prend en commun et qu’à une très forte majorité, le peuple libanais ne veut pas de cette guerre et ne partage pas son idéologie.

L'histoire, c'est bien connu, est semée de massacres perpétrés par des nations ennemies qui croyaient toutes que Dieu est de leur côté. Naïm Qassem croit toujours que la "résistance islamique" est l'armée du Mahdi et qu'elle anéantira Israël. Il n’a pas encore admis que son parti a commis une erreur stratégique en voulant se mesurer à l’armée de l’État hébreu, au mépris de tous les avertissements reçus.

D’autres exemples d’erreurs stratégiques existent. Ainsi, celle de Michel Aoun plébiscité par une bonne partie de l'électorat chrétien, faisant alliance avec le groupe pro-iranien et pensant naïvement pouvoir “retourner” le Hezbollah en un tournemain, dans l’ignorance totale de la profondeur de l’idéologie politico-religieuse de cette formation. Ainsi, le simplisme de Benjamin Netanyahou souffrant de forclusion et rejetant la réalité fondamentale du nationalisme palestinien, persuadé naïvement que l’on peut tuer des idées en pilonnant des tentes et en tuant des civils. Il faut le dire, car quand la cruauté humaine atteint de tels sommets, il serait impardonnable de se taire.

J’habite dans un coin du Liban où les chacals rôdent dès que la nuit avance, voyageant en bandes et s’appelant d’un vallon à l’autre. Les chacals ont le ventre creux: c’est la seule cause que je trouve, pour m'expliquer leurs hurlements. Ils s’aventurent dans les rues probablement à la recherche de bennes à ordures – ou de poulaillers mal gardés –, d’autant plus que leur domaine de chasse, réduit par l’urbanisation de la région, doit avoir rétréci encore d’avantage, en raison des incendies de forêt qui se déclarent chaque année.

Ma perception des choses doit avoir été influencée sur ce point par un épisode de la vie de saint Charbel. On raconte, en effet, qu’une nuit d’été où il gardait les vignes de l’ermitage, il fut touché de compassion pour des chacals et leur permit de pénétrer dans la vigne. À son compagnon d’ermitage, le père Makarios, qui l’avait traité “d’âne” pour ce geste, il avait simplement répondu: “Ils avaient si faim.” Son empathie allait même aux bêtes.

Hélas, tout le monde n’a pas l’empathie de saint Charbel et les chacals ne sont pas les seules créatures qui ont faim au Moyen-Orient ces temps-ci. À quelques centaines de kilomètres de chez nous, un peuple entier a faim en ce moment. Comme lui, nombreux sont ceux qui sont sommés, de jour en jour, de se déplacer en masse d’une zone sûre à l’autre, pour échapper aux bombardements suivant une “banque de cibles” établie. Au train où vont les choses, risquerons-nous aussi, à terme, d’avoir faim, puisque l’aviation israélienne a commencé à couper nos voies commerciales vers l’hinterland, pour interdire au Hezbollah de se réarmer?

Heureusement, après le bombardement de Ras el-Nabeh et la tentative d’élimination du responsable de la coordination et des liaisons du Hezbollah, Wafic Safa, le 10 octobre, le département d’État américain a fait savoir à Israël qu’il ne souhaitait pas que Beyrouth soit “un nouveau Gaza”. Nous aurions bénéficié d’une intercession diplomatique qui aurait écarté les buissons épineux qui entourent notre enclos, nous permettant de continuer à manger à notre faim. Et de respirer… sous les décombres d’un Liban sur lequel on continue de s’acharner sélectivement, dans l’espoir insensé que les Libanais, grâce à l’aveuglement du Hezbollah, achèveront le travail commencé.

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