Charles Malek (1/3)
Portrait de Charles Malek.

“À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage”- Luc, 12:48. Charles Malek, philosophe chrétien orthodoxe, prend la Divine Providence pour témoin et se demande si ses compatriotes maronites, qui ont reçu plus que tout autre peuple en Orient, seraient conscients de cette gravité. Et seront-ils surtout dignes de ce qui leur a été confié?

Né en 1906 dans le nord du Liban, à Bterram (en syriaque le village élevé), Charles Malek a mené un combat culturel pour le Liban et pour les droits de l’homme jusqu’à sa mort en 1987. Sa philosophie s’est construite sur les valeurs et principes du christianisme qui lui ont servi de base pour la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

La philosophie

Il a étudié la philosophie sous la direction de Martin Heidegger, avant de quitter l’Allemagne, déçu par la montée du nazisme. Il était parti alors poursuivre sa formation avec Alfred North Whitehead à Harvard, où il finira par enseigner, ainsi que dans d’autres établissements américains. Il a également fondé les départements de philosophie et d’anthropologie culturelle à l’Université américaine de Beyrouth.

Ce philosophe a beaucoup œuvré pour l’œcuménisme entre les trois courants du christianisme. Lui-même orthodoxe, il portait un grand intérêt pour l’Église catholique et, plus particulièrement, pour sa branche maronite. Et comme théologien, il s’était même fait adopter par les milieux évangéliques. En 1966, il a accédé au poste de vice-président de l’Alliance biblique universelle et en 1967, il a présidé le Conseil mondial pour l’éducation chrétienne. Son rapprochement du protestantisme, ainsi que son inclination pour le fond syriaque des maronites, l’ont porté à étendre son champ d’intérêt au judaïsme.

C’est en 1945 qu’il avait été nommé ambassadeur du Liban aux États-Unis et à la Conférence de San Francisco où allait naître l’Organisation des Nations unies. L’année suivante, il participait en tant que rapporteur à la Commission pour les droits de l’homme aux Nations unies, puis à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux côtés de la présidente Eleanor Roosevelt, à laquelle il succèdera en 1952.

Désigné comme la “force motrice” dans la rédaction du texte de cette charte, Charles Malek y a insufflé son fond chrétien, sa foi profonde et les valeurs de la Bible dans les différents aspects de la dignité humaine.  

Combat politique

Au Liban, alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale (1956-1957) et des Affaires étrangères (1956-1958), il a été élu député au Parlement. Mais c’est surtout avec l’éclatement de la guerre au Liban en 1975 qu’il s’était fait connaître comme pilier de la résistance au sein du Front libanais. Charles Malek était l’unique orthodoxe parmi les membres du front composé de leaders et de penseurs maronites. C’est lui pourtant qui allait sonder, déceler et expliciter la substance et le fond identitaire et spirituel maronite qu’il allait établir comme base pour la fondation de l’idée du Liban.

Pour s’adresser aux maronites, il s’était appuyé sur le verset 12:48 de l’évangile selon saint Luc. Par ce verset, il les rendait responsables du Liban, de ses différentes confessions chrétiennes, de chacune de ses quatre communautés, de la liberté individuelle et collective, et de la dignité humaine.

Il vous est exigé d’avantage

“À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage, lit-on alors dans l’évangile de saint Luc, 12:48. Et Charles Malek de préciser que les dix dons généreusement offerts aux maronites ne pourraient en aucun cas se traduire en orgueil, mais bien au contraire, ils ne peuvent qu’imposer l’humilité et la conscience d’un devoir ardu, d’une lourde responsabilité et d’un immense dû. C’est ainsi qu’il a intitulé sa lettre composée de onze articles: Il vous est exigé davantage.

Dans dix articles, Charles Malek a dénombré et développé chacun des dix dons permettant aux maronites d’exister en tant que peuple, culture, histoire et nation. Dans le onzième article, il leur a fait porter la responsabilité de ce privilège unique au Levant et l’importance de ce qui leur a été confié. Cependant, loin de vouloir présenter ces dons de manière apologique, le philosophe a rédigé sa lettre sous forme d’avertissement.

Premier et second dons: le Mont-Liban

Comme premier don, les maronites ont reçu cette grande montagne, a-t-il d’abord écrit. “Son nom est l’un des plus parfumés de la Bible et de l’histoire”. Il s’agit d’une forteresse inexpugnable et du lieu le plus sûr de l’Orient. Aucun peuple n’a eu droit à un tel avantage naturel. Négliger ce don dans sa perfection, dans sa beauté naturelle, dans sa topographie face à la mer et dans son parfait équilibre, serait un crime qu’il a qualifié d’impardonnable.

Leur second don est le Liban, poursuivait-il. Il leur a été donné, mais avec ses populations, leurs patrimoines et leurs valeurs. Ils sont donc responsables des libertés individuelles, autant que de celle des groupes et de leurs patrimoines respectifs. Ils se doivent, de ce fait, d’être garants du principe de pluralisme et d’œuvrer pour défendre ces valeurs. Sans les libertés individuelles, a-t-il avisé, l'existence du Liban, comme la leur, n'aurait plus aucun sens.

Troisième don: un christianisme libre

Les maronites ont aussi reçu un pays pluraliste dans lequel le christianisme connaît une liberté de culte qui lui est refusée dans tout l’Orient. Ils se doivent donc de faire fructifier cette liberté, de l’affermir et de la rendre plus consciente et plus active. Elle ne peut être formelle et illusoire. Elle ne peut être inférieure à ou différente de ce qu’elle est en Europe et en Amérique.

Pour Charles Malek, le Liban ne peut et ne doit pas se différencier des autres pays de la région seulement par les apparences de la modernité, du faste et de la prospérité matérielle. C’est dans les questions cruciales et existentielles qu’il trouve sa réelle spécificité et sa raison d’être.

Les maronites sont responsables de ce christianisme non seulement pour le Liban, mais bien au-delà, a-t-il averti. Car si le Liban venait à tomber, il entraînerait la fin de cette liberté, de l’extrémité de l’Afrique jusqu’au fin fond de l’Asie. Et c’est là que le philosophe orthodoxe prend la Divine Providence pour témoin et se demande si ses compatriotes maronites seraient conscients de cette gravité, et s’ils seront capables de relever un tel défi.

Cette interrogation reviendra à plusieurs reprises lors de l’énumération des quatrième au dixième don (dans l’article suivant). Charles Malek abordera alors la question de Bkerké et de Rome, la liturgie, l’histoire, le patrimoine, la production littéraire et le rôle politique des maronites. Seront-ils dignes de ce qui leur a été confié? 

Commentaires
  • Aucun commentaire