Accusés de trahison et qualifiés de “chiites des ambassades, ils ont été marginalisés et mis au ban de leur propre communauté. Aujourd'hui, ils se relèvent pour jouer un rôle stabilisateur en cette phase de transition. Ils plaident désormais pour un retour à l’État, qu’ils considèrent comme la seule voie pour sortir du cercle vicieux de l’autodestruction.
Alors que le Liban fait face à des crises politiques et sécuritaires de plus en plus aiguës, la question de l’avenir de l’État devient cruciale. La position de la communauté chiite vis-à-vis de l’État et de ses institutions est déterminante, surtout à un moment où les tensions régionales et locales s'intensifient, exacerbées par le conflit israélien. Dans ce climat, des voix chiites s'élèvent pour prôner une réconciliation avec le projet étatique et un engagement sincère au sein des institutions officielles, affirmant que la stabilité et la protection du Liban ne pourront être assurées que par un projet inclusif, fondé non pas sur les armes ou les divisions sectaires, mais sur l'unité nationale et la souveraineté du pays.
Ali el-Amine: “Les armes du Hezbollah ont causé des catastrophes au Liban”
Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, le journaliste Ali el-Amine a abordé plusieurs sujets essentiels concernant la situation actuelle du Liban. Selon lui, malgré la diversité des opinions, une idée centrale émerge de ces voix dissidentes: il est impératif que l’État recouvre son rôle et son autorité, afin que le Liban soit dirigé par une autorité véritablement libanaise. Il a insisté sur la nécessité de se rassembler autour des principes fondamentaux partagés par de nombreux Libanais, tout en soulignant que la révision de l’équilibre des forces ne relève pas d’une revendication sectaire, mais bien d’une responsabilité nationale. “Lorsque nous parlons de la position du Hezbollah, cela concerne l’ensemble du Liban”, a-t-il affirmé, rappelant que ceux qui réduisent ce défi à une question uniquement chiite se dérobent à leur devoir de traiter ce problème à l’échelle nationale. Il a conclu en insistant sur l’importance d’une coordination des efforts libanais pour changer cette réalité.
S’agissant de la situation chaotique du gouvernement libanais, Ali el-Amine a pointé du doigt l’inaction et la complicité des autorités avec le Hezbollah. “Le gouvernement, en tant qu’autorité légitime, doit assumer ses responsabilités”, a-t-il déclaré. Il a précisé la nécessité que ce dernier prenne une position ferme pour dénoncer la confiscation de la décision de l’État et la violation de sa souveraineté, qui se font au vu et au su de tous. La solution, selon lui, réside dans le renforcement du rôle des institutions officielles, en particulier le gouvernement, le Parlement et l’armée libanaise, afin de sortir du blocage politique actuel.
Quant aux accusations lancées par les partisans du tandem chiite (Amal-Hezbollah), qualifiant leurs opposants de “chiites des ambassades”, Ali el-Amine a réagi avec indignation: “Il est paradoxal que l’on nous accuse d’être des ‘chiites des ambassades’, alors que ce sont eux qui travaillent ouvertement pour les intérêts iraniens et entretiennent des relations étroites avec diverses ambassades. Si nous étions réellement des ‘chiites des ambassades’, notre situation matérielle et sécuritaire serait bien différente.”
Il a également précisé: “Nous ne sommes pas opposés aux relations avec l'Iran, mais nous rejetons cet alignement total sur la décision iranienne et ses intérêts, au détriment des nôtres. Parmi les chiites opposés à ce système, nous n’avons jamais observé de comportement suspect ni d’allégeance à un autre pays, au détriment du Liban et de ses institutions.”
Abordant la question des armes du Hezbollah, Ali el-Amine a rappelé avoir à maintes reprises évoqué l’intégration de ces armes dans une stratégie de défense nationale. “Mais en réalité, elles n’ont pu protéger ni les chiites, ni le Liban-Sud, ni la Békaa”, a-t-il ajouté, soulignant que l’idée selon laquelle ces armes sont nécessaires est une illusion. Selon lui, ces armes ont entraîné des catastrophes pour le Liban. “Si l’armée libanaise avait été déployée le long des frontières, nous n’en serions pas là, avec l’exode de près d’un million de chiites et la destruction sans précédent orchestrée par Israël.”
Il a conclu en estimant que l’appel au retour à l’État et à ses institutions gagne du terrain au sein de la communauté chiite. Cela nécessitera les efforts concertés de toutes les parties, notamment de l’État, qui doit pleinement assumer sa responsabilité en déclarant que “la décision lui revient”. Pour lui, seul un armement sous le contrôle de l’État peut véritablement protéger le Liban.
El-Jawhari: L'idée selon laquelle les forces de sécurité sont faibles est désormais dépassée
Dans cet entretien avec Ici Beyrouth, le cheikh Abbas el-Jawhari a souligné l’importance de renforcer l’idée de l’État au sein de la communauté chiite. Il a ainsi affirmé que l’État protège tous ses citoyens et qu’il est essentiel d’y adhérer. Selon lui, “l’État représente notre liberté et notre avenir, et c’est par lui que nous repoussons toute menace extérieure, ce qui nous rend plus forts”. Il a ajouté que certains ont tenté de se défendre en marge de l’État, ce qui a provoqué des divisions au sein de l’opinion publique libanaise, arabe et internationale, offrant ainsi à l’ennemi l’occasion d’attaquer. L’idée de l’État, selon lui, doit constituer le fondement de l’avenir de la communauté chiite, qui doit comprendre que la seule voie vers sa protection et celle du pays passe par l’État.
Dans cette perspective, il a insisté sur la nécessité d’adopter un discours apaisant, démontrant à la communauté chiite que sa sécurité réside dans l’État, sans compromettre sa dignité humaine, nationale et sociale. Un tel discours, a-t-il précisé, favoriserait l’inclusion de la communauté chiite dans le cadre de l’État. En revanche, la provoquer ou soutenir l’ennemi dans ses attaques risquerait de la détourner du dialogue et d’exacerber ses réticences. Face à ce dilemme, “soit nous les attirons, soit nous les laissons sombrer dans l’extrémisme”, a averti le cheikh, soulignant qu’un discours réfléchi et sage, conjugué à une vision à long terme, est la seule façon de capter l’attention de la communauté chiite.
Sur le plan de la sécurité intérieure, le cheikh El-Jawhari a affirmé que la perception de la faiblesse des forces de sécurité est désormais obsolète. “Aujourd’hui, nous faisons face à des attaques massives et systématiques, et la ‘résistance’ a prouvé sa capacité à repousser un ennemi sur son propre territoire”, a-t-il expliqué. Cependant, il a également noté que la logique des forces armées a échoué, car elle ne tenait pas compte de l’équilibre des pouvoirs. Ce déséquilibre a été compensé par un discours révolutionnaire mobilisateur, mais après l’épuisement de ce discours et l’absence de Hassan Nasrallah, il est devenu évident que cette approche était illusoire et irrationnelle.
Quant à la question des armes du Hezbollah, le cheikh El-Jawhari a insisté sur la nécessité d'intégrer ces armes au sein du système de défense national, sous l'autorité de l'armée libanaise. Selon lui, “ces armes sont devenues un fardeau et doivent être intégrées dans l’État, afin de faire partie de la décision politique”. Il a précisé qu’aucune faction ne doit pouvoir les utiliser en dehors du cadre gouvernemental. Il a ajouté que si les Libanais réussissent à se rassurer mutuellement et à intégrer ces armes dans le système de défense, cela permettrait d’éviter une guerre civile. Toutefois, il a mis en garde contre toute provocation, soulignant que l'exigence d'un désarmement perçu comme une capitulation pourrait nuire au pays. Le discours, a-t-il conclu, doit rester sage et réfléchi, et chercher à guérir un corps malade sans provoquer de réactions dangereuses.
Mourad: La communauté chiite doit adopter le projet d'appartenance à l'État
De son côté, l’activiste Hadi Mourad a exprimé sa volonté de dépasser la notion d’“opposition chiite”, en privilégiant celle de la modération et du soutien au projet d’État. Il a souligné que les divisions confessionnelles ne sont plus un moyen viable pour construire une nation. Selon lui, ces divisions étaient historiquement incarnées par des figures comme Bachir Gemayel, ancien président assassiné en 1982, au sein de la communauté chrétienne, ou Rafic Hariri, ancien Premier ministre tué en 2005, dans la communauté sunnite. Même au sein de la communauté chiite, des leaders de premier plan ont disparu sans laisser de véritable succession politique. Mourad a insisté sur le fait qu’il n’est plus question de revivre ces expériences du passé. “Nous ne voulons pas attendre qu'après la perte de nos leaders, quelqu'un ramène notre communauté vers un enfermement sectaire. La communauté chiite doit s’engager pleinement dans le projet d’appartenance à l’État, en adoptant la logique de l’armée libanaise et du peuple”, a-t-il déclaré. Pour lui, les autres choix ont échoué, et il est crucial de renforcer l'unité nationale en considérant la communauté chiite comme partie intégrante du tissu social libanais.
Il a également clarifié sa position en précisant: “Nous ne nous opposons pas au Hezbollah, car il bénéficie d’une légitimité politique au Liban. Cependant, nous souhaitons qu’il soit perçu comme un acteur parmi d’autres dans le paysage politique. Nous voulons que la communauté chiite s'ouvre, à l'instar des autres communautés, pour intégrer des partis indépendants. Lors des élections de 2022, la communauté chiite a été la seule à ne pas exprimer librement sa volonté politique, en raison de la pression exercée par la présence des armes. Aujourd’hui, cette situation a évolué. Nous ne cherchons pas à contester le rôle du Hezbollah, mais à encourager une dynamique permettant d’offrir une voix autre, une voix qui défend le rôle de l’État, un rôle que le parti a longtemps cherché à marginaliser.”
Enfin, Mourad a souligné l'importance d'un soutien international et arabe pour réussir ce projet. “La communauté chiite traverse une crise profonde, ayant subi de lourdes destructions à cause de la politique du Hezbollah et de son discours, qui l’ont plongée, ainsi que le Liban tout entier, dans une impasse. Lorsque le Hezbollah gagne, il en profite seul. Mais, après chaque défaite, c’est tout le pays qui en paie le prix. Cette approche totalitaire va à l’encontre de la doctrine chiite qui a toujours défendu la justice, comme en témoigne le soutien à l’imam Hussein à Karbala. Aujourd’hui, nous infligeons une injustice à notre peuple, comme si nous répétions Karbala contre lui. La communauté chiite a besoin d’un refuge sûr, et la seule solution viable est de revenir dans le giron arabe et national. Les chiites du Liban se sentent marginalisés et ont besoin d’une direction pour sortir de cet isolement. Le leader qui unifiait la communauté a été assassiné, et la solution ne réside pas dans la quête d’un nouveau leader, mais dans la foi en l’unité de l’État et de l’armée, ainsi qu’en un Liban arabe, comme l’a prôné Moussa Sadr. Les chiites du Liban sont des Arabes, et c’est sur cette base que nous voulons lancer notre projet de réintégration dans l’État.”
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