Charles Malek (2/3)
Charles Malek ©Ici Beyrouth

La grandeur du rite maronite réside dans son extrême austérité, spontanéité et simplicité, selon Charles Malek. Sa popularité implique une notion de subsidiarité et de démocratie qui sont à la source de ce perpétuel désir d’indépendance et de liberté, d’abord spirituelle et liturgique, puis par extension, culturelle et politique.

Après avoir développé les trois premiers dons que sont le Mont-Liban, le Liban et la liberté de culte chrétien (article précédent), Charles Malek a poursuivi son énumération de ce qui a été confié aux maronites. Il a alors abordé les sujets de Bkerké, de Rome, de la liturgie et du patrimoine.

- Quatrième don: Bkerké                 

Les maronites ont reçu Bkerké, dit-il, «un centre spirituel unique en Orient» et qui rassemble bien au-delà des maronites, et parfois même au-delà des chrétiens. Bkerké, à qui a été confiée «la gloire du Liban», se fait ressentir dans le moindre de ses mouvements, et on la ressent encore plus, précisait-il, si elle demeure inerte. Elle a émergé de l’histoire tumultueuse et tragique des chrétiens d’Orient. Elle est le fruit de cette héroïcité qu’elle est appelée à accompagner dans le présent et dans l’avenir, comme elle l’a constamment fait par le passé.

Car ce patriarcat ne pourrait en aucun cas se limiter à être un gardien de l’héritage et du patrimoine. Son devoir est plus actif, visionnaire, innovateur et responsable. Il se doit de comprendre et d’intégrer les changements qui s’opèrent à travers le monde, ainsi que l’évolution de l’humanité et des enjeux sociaux et géopolitiques, afin de projeter l’avenir et d’assurer la survie.

Bkerké est si importante, écrivait encore Charles Malek, que «si le Liban venait à être détruit, et qu'elle restait saine et forte, alors elle seule pourra reconstruire le Liban. Mais si, à Dieu ne plaise, Bkerké venait à tomber en ruine, ou à chavirer, le Liban seul ne pourra pas l'aider à retrouver sa vigueur et à se reconstruire». Ainsi donc aujourd’hui, face à l’épreuve existentielle que nous traversons, le Liban ne pourra pas se redresser avant l’indispensable redressement salutaire de Bkerké.

Cinquième don: Rome                               

Outre leur héritage syriaque, les maronites sont ouverts, grâce à Rome, à l'héritage chrétien romain occidental et au christianisme universel. Cette dimension romaine a évité aux maronites toute forme d’isolationnisme ou de traditionalisme oriental. Elle les situe à la jonction de l’Orient syriaque et de l’Occident universaliste.

Cette chance inestimable depuis le Moyen Âge a ouvert le milieu maronite sur le monde, à la fois temporellement et spirituellement, dans l’espace et dans le temps, à la recherche de Dieu et de la Vérité.

Sixième don: La liturgie maronite                       

Le philosophe orthodoxe était subjugué par le caractère et l’esprit démocratique de la liturgie maronite. Il y a décelé l’origine des valeurs de démocratie et donc de liberté si caractéristiques du Liban. Il ne manquait pas de comparer ce rite simple et austère, au faste de la liturgie impériale orthodoxe. La tradition syriaque est poétique et elle ignore toute forme de controverses philosophiques à la manière des Grecs. Pour lui, le génie de ce rite et de cette spiritualité réside dans son caractère populaire et spontané. Ils émanent du peuple et non d’une autorité élevée. Ils ignorent le faste, la richesse et la virtuosité, pour se concentrer sur Marie et sur le Christ dont ils cherchent à palper le visage dans l’Ostie.

«C'est là la grandeur du rite maronite, a-t-il écrit, sa popularité, sa démocratie, sa spontanéité, sa simplicité… c’est un cri d’indépendance totale vis-à-vis de toute influence culturelle qui lui est imposée de l’extérieur.» C’est là que ce rite rejoint dans son esprit, l’attachement intrinsèque à l’indépendance politique et au principe de liberté. Ce principe fondamental a été repris par le pape saint Jean-Paul II en 1989, lorsqu’il était question de placer le Liban sous mandat (syrien) remettant en cause toutes les valeurs inhérentes à ce pays. C’est là que le pape avait lancé le concept du Liban pays message de liberté. Devenu slogan, et amputé du mot liberté, il a été déformé par la suite pour être récupéré par les tenants de l’idéologie du Grand Liban et de la fusion, donc de l’effacement, des identités culturelles et humaines.

Septième don: Une histoire unifiée                             

Pour Charles Malek, aucune autre composante levantine n’a reçu une histoire aussi unifiée et spécifique que celle des maronites. La continuité dont elle fait preuve est unique et sa concrétisation dans l’écriture ne peut être une simple coïncidence.

Ce philosophe chrétien refuse le néant; il rejette le nihilisme. Pour lui, tout a un sens et une raison d’être dans le cycle progressif de l’humanité. Il croit en l’existence d’un mystère qui implique un devoir, un défi et une épreuve d’héroïcité.

Huitième don: La capacité de donner              

Ami du grand historien Fouad Ephrem Boustany, auprès duquel il siégeait lors des réunions du Front libanais, Charles Malek revenait sur tout ce que les maronites ont donné à l’humanité et notamment à leurs voisins arabes en termes de littératures.

Il citait donc l’encyclopédie de Fouad Ephrem Boustany, les traductions des nombreux chefs-d’œuvre des classiques universels, la littérature mondiale de Gebran Khalil Gebran, sa peinture, ainsi que celles de Saliba Douaihy et de César Gemayel.

Le trésor des Commandements

Le neuvième don consiste en l’héritage syriaque qui confère aux maronites une identité bien spécifique et particulière. Cette dernière nous conduit alors au dixième don qui détermine le rôle que les maronites, en tant que composante à part entière, sont appelés à assumer dans cette région du monde, et plus précisément, entre les juifs et les Arabes.

Cependant, dans le onzième et dernier article de sa lettre, intitulé «le trésor des Commandements», Charles Malek renouvelait sa mise en garde aux maronites, en les avertissant de ne jamais tomber dans l’arrogance. Ces dons ne peuvent en aucun cas susciter l’orgueil et la vanité. L’immense responsabilité qu’ils imposent ne peut que commander l’humilité.

À plusieurs reprises, le philosophe reposait sa question en fin de chaque article: «Les maronites comprennent-ils vraiment cette responsabilité? Sont-ils conscients de son extrême dangerosité? Comprennent-ils l’importance du fait que ceci leur ait été donné?» En d’autres termes, seront-ils à la hauteur de tout ce qui leur a été confié?

Aujourd’hui et après 30 années, nous sommes en droit de reformuler cette question au temps passé: ont-ils été à la hauteur de tout ce qui leur a été confié?

Les neuvième et dixième dons, développés par Charles Malek (dans le prochain article), aborderont la problématique de la raison d’être des maronites et du Liban. Cette dimension existentielle vient rajouter des difficultés au grand défi et de la complexité quant au rôle que ce philosophe aurait aimé les voir assumer.

 

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