Fin août 1982, Beyrouth… Comme conséquence de l’opération “Paix en Galilée” lancée le 6 juin 1982 par l’armée israélienne au Liban et à la suite du long siège de la capitale libanaise qui s’est ensuivi, près de 12.000 combattants palestiniens, avec à leur tête le leader de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, et les hauts responsables et cadres du Fateh évacuaient Beyrouth par voie de mer sous escorte multinationale. Quelques jours plus tard, deux des principaux dirigeants de l’OLP, Khalil el-Wazir et Salah Khalaf (Abou Ayad), ainsi que le chef du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Georges Habache, et le chef du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), Nayef Hawatmé, quittaient le Liban pour la Syrie en compagnie de 600 fedayins.
Le Liban tournait ainsi une page funeste de son histoire contemporaine, celle de plus de douze années de présence armée (anarchique) et d’hégémonie palestiniennes sur la scène locale. Ce retrait militaire et politique massif avait une portée fondamentale indéniable au niveau régional. Il était le fruit d’une décision pragmatique prise par la Centrale palestinienne, qui tenait compte de la situation créée par l’invasion de 1982. Les dirigeants de l’OLP se trouvaient, en effet, face à l’alternative suivante: poursuivre le combat en dépit du siège de Beyrouth, ce qui aurait eu pour conséquence d’accroître inutilement les pertes en vies humaines et les vastes destructions, sans aucun horizon politico-militaire envisageable; ou tourner la page du Liban et s’engager résolument sur une nouvelle voie dans leur long combat. Faisant preuve de réalisme, ils avaient opté pour le second cas de figure. Décision qui s’est avérée être la bonne puisqu’elle a abouti à la mise en place d’une autonomie en Cisjordanie et à Gaza et à une forte présence de l’OLP là où elle devrait se manifester, à savoir en territoire palestinien.
Plus près de nous, un autre exemple de pragmatisme politique, là aussi payant, a été mis en relief récemment par le député Antoine Habchi. Celui-ci a rappelé, fort à propos, qu’en 1990, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, avait réuni plus de 600 officiers, cadres supérieurs et chefs de département des FL pour leur annoncer, à leur grand dam, la décision de se départir de tout l’arsenal militaire du parti (et il était de poids !). La conjoncture locale, régionale et internationale de l’époque avait imposé de tourner la page des milices et d’avoir suffisamment d’audace politique pour faire le choix de l’édification d’un État rassembleur au lieu de s’accrocher à une carte, celle du combat milicien, qui paraissait alors inéluctablement perdante et sans horizon.
Les FL et Samir Geagea seront certes par la suite victimes à court terme d’une vaste chasse aux sorcières orchestrée par le régime syrien, mais en fin de compte, depuis la révolution du Cèdre de 2005, la solidité de leur engagement, contre vents et marées, leur permettra de remonter progressivement la pente et de s’imposer comme un acteur politique incontournable, reconnu même au-delà des frontières.
Ces deux cas de figure spécifiques nous amènent à soulever, à la lumière du contexte présent, un grave problème existentiel dont les Libanais payent quotidiennement le prix. Celui-ci s’est traduit pas plus tard que dimanche soir par une escalade militaire qui n’en finit pas de tendre vers la démesure. À l’ombre de la situation de guerre suicidaire dans laquelle il a entraîné le Liban le 8 octobre 2023, le Hezbollah se trouve dans l’incapacité objective de faire preuve d’un pragmatisme politique semblable à celui qu’avaient montré l’OLP et les Forces libanaises en 1982 et 1990. Et pour cause: conformément à sa charte politique élaborée lors de sa fondation en 1985, le parti pro-iranien n’est pas maître de sa décision de guerre et de paix, qui relève exclusivement du Guide suprême de la Révolution islamique; plus grave encore, face à la gigantesque machine de guerre d’Israël et à son écrasante suprématie technologique, combinée à un contrôle total des espaces aériens de la région, le Hezbollah oppose une combativité sans horizon, mue par une idéologie théocratique d’une autre ère… Deux facteurs qui empêchent la formation chiite liée aux pasdarans de prendre conscience du fait que l’option guerrière est en tous points stérile et chimérique, et que pragmatisme ne signifie nullement faiblesse; il permet, bien au contraire, de poursuivre le combat par d’autres moyens, en suivant d’autres voies non destructives.
Limiter les efforts actuels de médiation à l’instauration d’un simple cessez-le-feu bancal ne ferait que semer les germes d’un nouveau conflit armé dans quelques années. C’est au véritable problème de fond qu’il est devenu impératif de s’attaquer: trouver une parade radicale à cette stratégie de l’irrationnel dans laquelle est embourbé le Hezbollah et qui trouve ses racines dans les velléités hégémoniques des mollahs au pouvoir à Téhéran. C’est à ce niveau (régional) que la communauté internationale devrait trouver les moyens radicaux de venir réellement en aide au pays du Cèdre.
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