Il est 9h 30 ce mercredi matin à Beyrouth. Le ciel est gris en ce mois de novembre mais le sourire de Madeleine rencontrée à la Place Sassine, au coeur d’Achrafieh est contagieux. Dans sa voiture, cette septuagénaire demandait des indications pour se rendre au ministère des Affaires étrangères. J’en profite pour lui demander de commenter le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, entré officiellement en vigueur à 4h. “Je suis heureuse et très optimiste”, répond-elle avant de reprendre sa route.
Nombreux sont ceux qui discutent en ce jour des retombées éventuelles de cette trêve, avec des sentiments partagés entre l’espoir de lendemains meilleurs et la crainte d’un avenir qui reste, pour beaucoup, incertain.
“Ce matin, on va très bien, on est heureuses, nous n’avons pas entendu de drones au-dessus de nos têtes”, lancent-elles en chœur, le visage radieux, Georgette, petite brune de la même génération, une canne à la main, et Marie, un peu plus jeune avec un léger accent arménien. Elles veulent oublier la journée de mardi lorsque, disent-elles, “leur cœur s’est arrêté” tellement elles ont eu peur en raison des raids incessants tout au long de la journée et de la soirée. “Dieu est grand”, ajoute Georgette qui a espoir en une réelle paix.
Espoir mitigé et épuisement partagé
Riad, gardien d’immeuble, dit lui aussi avoir “beaucoup d’espoir” en cette trêve de soixante jours qui selon lui, “se transformera en un réel cessez-le-feu” à condition que “les intentions des deux parties (Israël et Hezbollah) soient bonnes”. Toutefois, même s’il affirme s’être réveillé ce matin en meilleure forme, il reste intérieurement “très fatigué émotionnellement” à cause de toutes les épreuves traversées depuis 2019 avec une crise économique et financière qui perdure.
La propriétaire de l’épicerie du coin, Dalila, une petite cinquantaine, partage ce même avis. Elle a été réveillée à 5h 30, “par des tirs de joie” qu’elle considère “insignifiants”.
Pour Issam, chauffeur de taxi, la quarantaine, “cette trêve est nécessaire. Le Liban est à terre avec toutes ces destructions et ces morts. Ça suffit! Les gens doivent avoir du répit”, défend-il. Toutefois Issam a une crainte, celle que le Hezbollah “ne respecte pas les engagements qui ont permis la mise en œuvre de la trêve avec Israël”.
Jinane, originaire du Liban-Sud, habite à Haret Hreik mais s’est installée depuis la guerre, à Aley ou elle a loué un appartement avec sa famille. Elle travaille dans une agence de voyage à Achrafieh. Ce matin, avant de venir travailler, elle a voulu revoir sa maison dans la banlieue sud de Beyrouth. “Ma maison est la seule encore debout, entourée d’un amas d’immeubles détruits”, confie-t-elle. Elle est contente de pouvoir revenir chez elle même si elle est triste pour ses amis qui ont perdu leurs demeures.
Désillusion
Dans la rue Saïdé, Abdallah, la cinquantaine, propriétaire d’un mini-market reste pessimiste. Il affirme n’avoir plus aucun espoir en ce pays et surtout en ses dirigeants. Selon lui, “la population est à l’image de ces derniers”. “Changeons d’abord la mentalité du peuple qui vote pour les mêmes, sinon rien ne changera”, assène-t-il.
Tony, 41 ans père de deux garçons de 12 et 8 ans et propriétaire d’un salon de coiffure dans le quartier de Geitawi, a aussi perdu tout espoir depuis la crise de 2019. Ce matin, il s’est réveillé “comme si rien ne s’était passé”. Il confie qu’il “poursuivra ses démarches pour obtenir les papiers qui lui permettront d’émigrer avec sa famille au Canada, un pays sécurisant qui assurera un avenir aux enfants”. Pour ce coiffeur, “rien ne changera au Liban”. Il ajoute: “J’ai trop donné de mon temps à ce pays. Avant 2019, j’avais encore de l’espoir mais la vie est courte et à mon âge, je n’ai plus une minute à perdre”.
Un pays libre, souverain et indépendant
Un béret sur la tête, François, retraité de 80 ans, dont la carence auditive lui a épargné d’entendre les raids des derniers mois, et son épouse, Laurence, partagent leur son “optimiste”. Ce qu’espère cet ancien banquier, résident de Sioufi, c’est “la paix et le déploiement de l’armée sur tout le territoire“. Il veut tellement que le Liban “devienne enfin un pays souverain et libre”.
Professeur d’anglais, Sina (qui veut dire lune en syriaque), n’a qu’un seul désir, elle aussi, que le Liban devienne enfin un pays souverain. “Je souhaite surtout que cette guerre soit la dernière. Nous méritons de vivre en paix dans un pays normal”, poursuit-elle émue.
“J’ai juste une envie, prendre ma voiture et aller rendre visite à mes amis qui habitent Ain el-Remmaneh et Chiyah”, ajoute celle qui confie n’avoir pas bougé d’Achrafieh depuis des mois.
Pour la première fois depuis des mois, Pamela, lycéenne de 15 ans, se sent heureuse. “Je vais enfin revoir mes amis et vivre normalement“, jubile-t-elle, comme ses parents avaient limité ces déplacements durant la guerre.
“Je me suis réveillée ce matin au son du gazouillis des oiseaux sur mon balcon! Plus de drone assourdissant! Pas de klaxons, pas d’embouteillages, pas de nouvelles atroces bombardant mon écran de téléphone, pas de raids”, raconte Kareen, la petite quarantaine.
Le réveil était léger, étrange aussi, avec un sentiment d’espoir mêlé à une grande inquiétude par rapport à l’avenir! L’espoir puis la grande question, en faisant mon café: celle de savoir si ce gouvernement fantoche allait une nouvelle fois dépecer le pays, l’achever! Serait-il capable cette fois-ci de liquider la milice de la mort? Je rêve du Liban d’avant, celui de l’âge d’or, celui que je n’ai pas connu” confie-elle, émue.
Les craintes et les souhaits de Kareen, sont ceux de toute une génération qui veut enfin croire en un pays libre, souverain et indépendant.
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