L’imam Moussa Sadr est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire contemporaine du Liban. Leader religieux et politique chiite, il fut à la fois un défenseur des droits de sa communauté et un bâtisseur de l’unité nationale. Son approche profondément humaniste et patriotique contraste radicalement avec la vision sectaire et transnationale du Hezbollah, qui s’est imposé comme acteur dominant de la communauté chiite après sa disparition.
Une vision nationale face à une logique transnationale: pour une patria contre une oumma
Moussa Sadr croyait en un Liban souverain, où les différentes confessions coexistaient dans l’égalité et la justice. Sa célèbre phrase “Le Liban est une mission avant d’être une patrie”, résume son idéal: un pays modèle pour la région, prônant le respect mutuel entre ses communautés religieuses.
En opposition, le Hezbollah, fondé en 1982 sous l’égide de l’Iran, a ancré son action dans une vision transnationale. Fidèle au projet de la “wilayat al-faqih” (le gouvernement du juriste-théologien iranien), le Hezbollah a subordonné les intérêts libanais aux objectifs stratégiques de Téhéran, notamment dans la lutte contre Israël et la propagation de l’idéologie révolutionnaire chiite. Ce projet entre en conflit avec la vision souverainiste de Moussa Sadr, qui voyait le Liban comme une entité indépendante, déconnectée des ambitions hégémoniques étrangères.
Moussa Sadr, l’architecte d’une patria libanaise au-delà des hégémonies religieuses
L’imam Moussa Sadr demeure une figure emblématique qui a marqué l’histoire du Liban par sa vision éclairée d’une nation fondée sur la coexistence et le respect mutuel entre les différentes religions. Pour lui, le Liban n’était pas une simple mosaïque confessionnelle, mais une véritable patria – un espace commun où les différentes communautés religieuses et leurs oummas respectives pouvaient se rencontrer, dialoguer et coexister. Sa conception de l’État libanais s’opposait fermement à toute tentative d’hégémonie religieuse ou de soumission à une logique transnationale, comme celle de l’oumma islamique.
Le Liban: une rencontre unique entre les religions
Moussa Sadr voyait dans le Liban une mission universelle: celle d’incarner un modèle de coexistence et de diversité. Pour lui, chaque religion et chaque communauté avait sa place, mais aucune ne devait dominer les autres. Il déclarait souvent que le Liban ne pouvait être réduit à une simple extension d’un projet religieux ou idéologique particulier.
Dans ses discours, il soulignait que le Liban représentait un lieu unique dans le monde arabe et au-delà, car il réunissait dans un espace limité des traditions religieuses, culturelles et spirituelles extrêmement variées. Selon lui, cette diversité ne devait pas être une source de conflit, mais un fondement de richesse. C’est dans cet esprit qu’il appelait à rejeter toute velléité de domination, qu’elle soit interne ou venue de l’extérieur.
Une patria au-delà de toute oumma
Pour Moussa Sadr, la notion de patria libanaise transcendait celle d’oumma. Là où l’oumma islamique cherche à rassembler les musulmans autour d’une communauté de foi, la patria libanaise s’inscrivait dans une logique totalement différente, celle d’un État laïc en capacité d’accueillir toutes les oummas sans pour autant en privilégier une seule.
Il affirmait que l’État devait rester au-dessus des religions, garantissant leur liberté et leur égalité, tout en veillant à ce qu’aucune ne puisse imposer son autorité ou son idéologie à l’ensemble de la nation. Pour Sadr, c’était là le seul moyen de préserver l’équilibre fragile qui fait du Liban un pays unique.
L’État comme arbitre et garant
Moussa Sadr prônait un État fort, impartial et au-dessus des divisions confessionnelles. Dans ses appels à la justice sociale et à la réforme politique, il insistait sur le fait que l’État devait être le seul détenteur du pouvoir légitime, y compris le monopole de la force. Il voyait l’affaiblissement des institutions étatiques comme une menace directe à l’unité nationale, car il ouvrait la porte aux logiques sectaires et à l’ingérence étrangère.
Il dénonçait également les tentatives de certains groupes d’instrumentaliser la religion pour accaparer le pouvoir. Selon lui, la religion devait inspirer des valeurs de solidarité, de justice et de paix, mais jamais servir de prétexte à des ambitions politiques ou hégémoniques.
Le rejet de l’hégémonie religieuse
Moussa Sadr s’opposait fermement à toute hégémonie religieuse, y compris celle de l’islam chiite, pourtant la religion qu’il représentait. Il voyait dans la montée des idéologies transnationales, comme celle de l’oumma islamique iranienne, une menace pour le pluralisme libanais.
Lors de ses interventions publiques, il appelait régulièrement les leaders religieux à travailler ensemble pour bâtir une nation unie, plutôt que de chercher à imposer leur vision au détriment des autres. Son opposition à l’idée d’une oumma islamique hégémonique découlait de sa conviction que le Liban, en tant que Patria, devait être un espace de neutralité et d’équilibre, où chaque communauté pouvait vivre en sécurité et en dignité.
Une vision prophétique pour le Liban
En affirmant que le Liban était une patria et non une oumma, Moussa Sadr posait les bases d’un modèle unique dans le monde arabe. Ce modèle, qui s’appuie sur l’État comme arbitre suprême, exigeait que les institutions nationales soient suffisamment fortes pour garantir l’égalité entre les différentes religions.
Pour Moussa Sadr, le Liban ne devait pas être une composante ou un prolongement d’une oumma particulière. Au contraire, il le voyait comme la rencontre de toutes les oummas en un seul pays. C’est cette diversité, gérée par un État impartial, qui permettrait au Liban d’incarner un message universel de coexistence et de paix.
Le Liban comme message
L’imam Moussa Sadr nous laisse un héritage visionnaire: celui d’un Liban où les religions se rencontrent sans qu’aucune ne prenne le dessus sur les autres, dans le respect des valeurs communes. Il insistait sur le fait que l’État libanais devait être au-dessus des confessions, garantissant leur harmonie sans permettre à aucune oumma de dicter son autorité.
Son message résonne encore aujourd’hui: le Liban n’appartient à aucune oumma. Il est la terre où toutes les oummas se rencontrent et cohabitent, un espace unique qui transcende les divisions. C’est en respectant et en renforçant cette mission que le Liban peut non seulement survivre mais aussi inspirer le monde entier.
Un leader de l’unité contre un acteur de division
Moussa Sadr a œuvré pour que les chiites s’intègrent pleinement dans l’État libanais, loin des replis confessionnels ou des logiques séparatistes. Il a fondé le Conseil supérieur chiite en 1969 pour renforcer la représentation de cette communauté dans les institutions nationales, tout en favorisant la collaboration avec les autres confessions. Il déclarait souvent que la diversité du Liban était une richesse à préserver.
Le Hezbollah, au contraire, s’est affirmé comme une organisation confessionnelle et militarisée, agissant souvent en dehors des cadres étatiques. Avec sa milice armée, il a créé un “État dans l’État”, affaiblissant la souveraineté nationale. En s’arrogeant le droit de mener des guerres sans le consentement des institutions libanaises, le Hezbollah a renforcé les divisions internes et accentué les tensions communautaires.
Une approche inclusive contre une politique de contrôle
L’imam Moussa Sadr, à travers le Mouvement des déshérités qu’il a fondé, a lutté pour les droits des opprimés, indépendamment de leur appartenance religieuse. Pour lui, la justice sociale devait transcender les clivages confessionnels. Il prônait une redistribution équitable des ressources et le développement équilibré des régions, notamment celles du sud et de la Békaa, longtemps marginalisées.
Le Hezbollah, tout en affirmant défendre les déshérités, a mis en place un système clientéliste étroitement lié à son agenda politico-militaire. Les services qu’il fournit à ses partisans, tels que des soins de santé et des aides financières, renforcent sa base communautaire, mais creusent le fossé entre les Libanais en favorisant une allégeance confessionnelle. Cette logique de contrôle contredit l’héritage inclusif de Moussa Sadr.
Un refus de la violence et de l’hégémonie
Moussa Sadr rejetait catégoriquement la violence comme moyen de résoudre les différends politiques ou religieux. En pleine guerre civile, il appela les Libanais à déposer les armes et à dialoguer, affirmant que “l’arme du croyant est sa parole, et non la destruction”. Pour lui, le recours à la force était incompatible avec l’idée même de l’État de droit et de la coexistence.
Le Hezbollah, en revanche, a fait de la violence armée l’un des piliers de son action. Sa milice, considérée par certains comme une “résistance” contre Israël, s’est aussi engagée dans des conflits régionaux, notamment en Syrie, au détriment de la neutralité libanaise. Cette militarisation a exacerbé les fractures internes, éloignant le Liban de l’idéal de paix et de dialogue défendu par Moussa Sadr.
Une héritage et un avenir divergents
La disparition mystérieuse de Moussa Sadr en 1978 a privé le Liban d’un leader capable d’unir les chiites et les autres communautés autour d’un projet national commun. Cette absence a ouvert la voie à l’émergence du Hezbollah, dont l’idéologie et les méthodes s’opposent fondamentalement à celles de Sadr.
Cependant, l’héritage de Moussa Sadr reste une source d’inspiration pour ceux qui croient encore en un Liban uni et souverain. Face aux défis posés par le Hezbollah et par d’autres forces transnationales, son message de justice, de dialogue et de respect de la diversité apparaît comme une alternative crédible et nécessaire.
Deux visions, deux destins
L’imam Moussa Sadr et le Hezbollah incarnent deux visions irréconciliables pour le Liban. Là où Sadr voyait un pays unifié autour de la diversité et de la souveraineté, le Hezbollah place la communauté chiite dans un projet de subordination à des intérêts transnationaux.
La vision de l’oumma, portée par le Hezbollah et ses alliés, est fondamentalement incompatible avec celle de la patria libanaise, à moins que l’oumma ne respecte la patria, et que tout soit fait pour la construire et la consolider. Le Liban ne fait partie d’aucune oumma particulière. Il est, au contraire, la rencontre de toutes les oummas dans un seul pays. Cette richesse unique fait du Liban une mission universelle. Si cette mission est respectée, le Liban peut survivre et prospérer comme un modèle d’harmonie dans un monde souvent marqué par la division.
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