Le président sud coréen Yoon Suk Yeol a "gravement et largement violé la constitution" et également cherché à échapper à une enquête criminelle qui le visait, en tentant d'imposer une loi martiale dans son pays, indique le texte de la motion de destitution le visant.
Sa décision est motivée par "une volonté d'échapper à des enquêtes criminelles impliquant le président Yoon et sa famille", et "sans aucun des pré-requis constitutionnels tels que la présence d'une guerre, d'une rébellion armée ou d'une urgence nationale comparable" précise le texte dont l'AFP a obtenu copie, déposé par six partis d'opposition.
Cette motion, qui devra réunir une majorité des deux tiers pour être adoptée, pourrait être soumise au vote dès vendredi, ont indiqué au cours d'une conférence de presse les six partis d'opposition représentés au Parlement, dont le principal d'entre eux, le Parti démocrate (centre-gauche).
M. Yoon, dont la cote de popularité était déjà au plus bas, est mis dos au mur par l'opposition comme par son propre parti après avoir instauré la loi martiale lors d'une allocution surprise tard mardi, avant d'abroger cette mesure à peine six heures plus tard sous la pression des députés et de la rue.
Dans le contexte de difficultés à adopter le budget, le président avait justifié cette mesure exceptionnelle en disant vouloir "éliminer les éléments hostiles à l'État" et "protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes".
M. Yoon, élu de justesse en 2022 et qui n'a jamais disposé de la majorité au Parlement, avait pointé du doigt une "dictature législative" et accusé les élus de l'opposition de bloquer "tous les budgets essentiels aux fonctions premières de la nation".
Des soldats dans le Parlement
Après l'annonce de M. Yoon, des troupes ont été déployées et des hélicoptères de l'armée ont atterri sur le toit du parlement, mais les députés ont pu se réunir en catastrophe pour adopter une résolution exigeant l'abrogation de la mesure, ce à quoi M. Yoon a fini par se résoudre après plusieurs heures.
Des centaines de manifestants s'étaient entretemps rassemblés devant le Parlement pour exiger le retrait du texte et la démission du président.
L'imposition de la loi martiale, une première depuis plus de 40 ans en Corée du Sud, impliquait la suspension de la vie politique, la fermeture du parlement et la mise sous contrôle des médias.
Cette annonce a généré inquiétude et désapprobation dans le monde, notamment de la part des États-Unis, principal allié de Séoul face à la Corée du Nord.
Le chef de l'opposition Lee Jae-myung, qui avait perdu de justesse la présidentielle contre M. Yoon, avait qualifié d'"illégale" la mesure imposée par celui-ci.
"Nous allons porter plainte pour rébellion" contre le président, ses ministres de la Défense et de l'Intérieur et des "personnalités-clés de l'armée et de la police, telles que le commandant de la loi martiale (un général de l'armée, NDLR) et le chef de la police", a annoncé le Parti démocrate mercredi.
Même la formation de M. Yoon, le Parti du Pouvoir au Peuple, s'est démarquée de l'initiative du président.
"Le président doit expliquer cette situation tragique tout de suite et en détail", a déclaré à la télévision le chef de sa formation, Han Dong-hoon, soulignant que "tous les responsables devront rendre des comptes".
Le chef de cabinet du président et plusieurs conseillers ont dans la matinée "présenté leur démission collective", selon l'agence de presse Yonhap.
Le ministre sud-coréen de la Défense, Kim Yong-hyun, a quant-à lui présenté ses excuses et a proposé de démissionner.
"Je regrette profondément et j'assume l'entière responsabilité de la confusion et de la préoccupation causées au public par la loi martiale" et "j'ai proposé ma démission au président", a annoncé M. Kim dans un communiqué.
La Confédération coréenne des syndicats, plus importante intersyndicale du pays avec ses quelque 1,2 million de membres, a appelé à une "grève générale illimitée" jusqu'à la démission de M. Yoon, estimant qu'il avait "signé sa propre fin au pouvoir".
La Bourse de Séoul a clôturé mercredi en baisse de 1,4%, après avoir lâché plus de 2% en séance, minée par l'incertitude politique à l'heure où le président sud-coréen Yoon Suk Yeol est poussé à la démission après sa brève proclamation de la loi martiale.
L'indice composite Kospi a terminé à 2.464 points. Il avait perdu jusqu'à 2,3% lors des échanges matinaux, avant de limiter ses pertes face aux promesses de soutien financier par les autorités. Poids lourd de la cote, Samsung Electronics a fini en baisse de 0,93% après avoir abandonné jusqu'à 3% en cours d'échanges.
Yoon "est devenu fou"
En milieu d'après-midi mercredi, le dirigeant n'était toujours pas réapparu en public.
Au total, plus de 280 militaires ont fait irruption dans le Parlement, selon Yonhap. Un total de 190 députés sur 300 ont quand même réussi à se réunir dans l'hémicycle, où des soldats des forces spéciales tentaient de pénétrer, et à voter à l'unanimité une motion réclamant la levée de la loi martiale.
Devant le bâtiment, mis sous scellés dans la nuit, des manifestants ont clamé: "Arrêtez Yoon Suk Yeol!", ont constaté des journalistes de l'AFP.
"Pourquoi est-ce qu'on a dû venir ici après avoir travaillé toute la journée, en pleine semaine?", a crié un manifestant. "C'est à cause de cette loi martiale insensée décrétée par Yoon, qui est devenu fou", s'est écrié un autre protestataire, acclamé par des centaines de personnes.
Mercredi à l'aube, M. Yoon s'est finalement résolu à annoncer à la télévision la levée de la loi martiale et le retrait des troupes déployées dans la capitale, suscitant des cris de joie des manifestants.
La loi martiale avait été activée pour la dernière fois en 1980, quand des centaines de milliers de personnes avaient battu le pavé pour protester contre un coup d'Etat militaire. Ces manifestations avaient été réprimées dans le sang.
Kang Jin-kyu, Claire Lee et Théo Mattiolo, avec AFP
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