«Allo Beirut», un appel en attente à Beit Beirut
Il y a douze ans, une idée d’exposition est née de l’intérieur des «Caves du Roy» tombé dans l’oubli. Aujourd’hui, 10 artistes, 11 journalistes/chercheurs, 6 collectionneurs, 9 créatifs et 20 équipiers accueillent les visiteurs au sein d’une exposition immersive et interactive sur Beyrouth, des années 60 à aujourd’hui. «Allo, Beirut» est une exposition publique qui se tient le long d’une année entière au Musée de Beit Beirut. Parfaitement situé au cœur de Beyrouth, le Barakat Building, également connu sous le nom de Beit Beyrouth, représente un carrefour, à la fois géographiquement et symboliquement. Situé sur l’ancienne Ligne verte qui divisait la ville pendant la guerre civile libanaise (1975-1990), l’actuel musée de Beit Beirut était un ancien repaire de tireurs d’élite.



Un appel qui résonne inlassablement sur les murs lépreux et lézardés d’un bâtiment à l’architecture majestueuse dont la façade de pierre fut sculptée et ciselée comme de la dentelle, reflet d’une époque révolue de splendeur inégalée... Aujourd’hui, seul un écho mort répond à l’appel au secours... Reste le symbole poignant de ce que fut Beyrouth, cité magique à la beauté ensorcelante que l’on visite aujourd’hui comme une infirme démembrée et chancelante ne tenant debout que sur des attelles.

Cet Allo Beirut résonne comme une plainte, celle d’une princesse déchue, Beyrouth la courtisane jadis adulée et chérie, chantée par les poètes, vêtue des plus beaux atours, aujourd’hui avilie, meurtrie dans son âme et dans sa chair, vêtements en lambeaux et visage ravagé, réduite à se vendre au plus preneur...



Allo Beirut nous invite à fouiller les entrailles d’une bâtisse rescapée du désastre, à pénétrer dans le labyrinthe d’un passé décomposé et faire devoir de mémoire! Comme dans une machine à remonter le temps, on survole un passé glorieux, celui des années 50 et 60 dites les années d'or, celui de l’insouciance et des fêtes effrénées, des soirées étincelantes et joyeuses dans des lieux cultes comme le cinéma Rivoli, les salles de spectacle ou les casinos, les pubs ou les dancings mythiques comme les Caves du Roy et le Casino du Liban.

On s’arrête, rêveur, devant l’image ternie de couples enlacés au regard ébloui.

Photos jaunies, images surannées, visages réjouis, voix enregistrées, coupures de journaux relatant les événements de l’époque, tous ces documents s’enchevêtrent et se bousculent dans un fouillis de souvenirs lumineux. Les scènes, comme dans un film, défilent sur l’écran poussiéreux des murs lézardés, se mélangent à la peinture écaillée. Un passé factice s’étale sans pudeur au milieu des décombres: une vieille poupée démantibulée traîne sur un vieux sofa éventré. Une chaussure d’enfant, une chaise bancale, une ancienne télé et une vieille machine à imprimer se laissent porter par un sol jonché de débris.



De lourds rideaux de théâtre ouvrent le passage d’une pièce à l’autre sur des fantômes surgissant de l’oubli: ceux de la faillite de la banque Intra en 1966, de la panique des déposants, des multiples manifestations d’étudiants et professeurs de l’époque: expressions d’un malaise social et existentiel noyé dans l’artifice et l’ivresse des plaisirs illusoires.


Ce flash-back dans l’histoire nous ramène curieusement au point mort et nous rappelle cruellement notre actualité présente par un effet spéculaire. Sensation pénible de surplace et de déjà-vu dans une curieuse mise en abîme d’évènements, toujours les mêmes, se répétant à l’infini...

Mais avec Allo Beirut, la mémoire, si longtemps manipulée, ne se veut plus seulement nostalgique. Elle se veut aussi engagée, cherche à nous mettre face à nos responsabilités de citoyens, à sortir de notre cercle vicieux d’autodestruction, s’invite dans nos consciences, résonne à nos oreilles!



Sa voix nous murmure inlassablement: «Et maintenant que faisons-nous?»

Infos pratiques:

Pensée et animée par des militants, artistes et journalistes libanais, l’exposition s’adresse au grand public et s’inspire fortement de la vie de Prosper Gay-Para. Cette exposition représente une étape importante en termes d’«accès à la culture pour tous » au Liban, tout en traitant des changements sociaux, des arts, du journalisme d’investigation, de la justice sociale, de l’éducation et bien plus encore. En plus de l’exposition, une programmation culturelle permanente et particulière est mise en place pour toucher un public plus large et plus diversifié, offrant un éventail riche d’événements culturels et artistiques au cœur de la ville de Beyrouth. Le projet vise à repenser notre relation avec Beyrouth, à questionner notre présent tout en nous réappropriant notre passé pour construire un avenir meilleur.

Heures d’ouverture:
Du mardi au dimanche: de 11h à 19h
Jeudi: de 11h à 22h
Jusqu’en septembre 2023


Jocelyne Ghannagé
[email protected]
Site web: joganne.com
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