Le château médiéval de Chameh, près de Tyr, et le “maqâm” de Chmoun el-Safa qu’il abrite font partie des trésors archéologiques pour lesquels le Liban a demandé à l’Unesco une “protection renforcée” contre les risques de guerre. Mais les combats au sol de novembre entre le Hezbollah et l’armée israélienne ont eu raison de cette protection.
La citadelle et le sanctuaire, situés à 25 km au sud-est de Tyr, ont été sérieusement abîmés par les échanges d’obus qui ont marqué la tentative de percée de l’armée israélienne en direction de la route côtière.
Après la guerre de 2006, durant laquelle ils avaient été endommagés, le maqâm et le château-fort avaient été restaurés par l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS) grâce à un financement du gouvernement italien, le QG régional du contingent italien de la Finul étant situé sur une colline voisine.
Certains de ces travaux seront probablement à reprendre, une fois que les dégâts auront été exactement évalués.
L’information sur Chameh a pris encore plus de relief après la mort d’un archéologue israélien, Zeev Erlich, entré dans la zone des opérations de l'armée israélienne "sans les autorisations nécessaires". Revêtu d’un uniforme de l’armée israélienne, l’intrus avait été tué durant les combats au sol.
Le site est situé sur une splendide colline dominant la mer, comme il est d’usage pour les maqâms, ces lieux de prière apparus en nombre à partir des XIIe-XIIIe siècles, après l’arrivée des Croisés, et pour lesquels, en l’absence de mosquées, les plus beaux sites sont choisis.
Le maqâm de Chmoun as-Safa, soit Simon, surnommé Cephas (Pierre) par Jésus (Matthieu 16:18-19), devenu Semaan el-Safa dans la langue arabe, date du Iᵉʳ siècle.
Selon la tradition locale, il s’agit d’un monument funéraire abritant des reliques de celui que le christianisme considère comme “le prince des apôtres”. Le minaret qui lui est accolé date, lui, du XIe siècle, le château-fort du XIIe. À l’intérieur de ses remparts, en grande partie détruits, il abritait un assez gros village. À l’époque des croisés, la citadelle faisait partie du Royaume de Jérusalem.
Le maqâm de Chameh est constitué d’une crypte en sous-sol, une sorte de chambre funéraire close, à laquelle on accède par une ouverture circulaire recouverte d’un coffrage en bois. Le tout est enclos à l’intérieur d’une riche salle à arcades surmontée de quatre coupoles. L’étendue des dégâts extérieurs infligés au sanctuaire doit attendre le repli israélien prévu par l’accord de cessez-le-feu pour être évalué. À l’intérieur, il semble que l’armée israélienne ait effectué des prélèvements dans la crypte, car, selon un habitant de Chameh qui a pu s’en approcher, le coffrage qui en surmonte l’entrée a été déplacé, mais avec ménagement. Le sol est la partie la plus sacrée du maqâm, note-t-on.
Comment expliquer qu’un monument funéraire chiite, un courant de l’islam qui date du 8e siècle, soit dédié à Saint Pierre, mort en martyr à Rome en l’an 64? La réponse à cette question est fournie par la tradition orale de Chameh, qui affirme que Chmoun el-Safa figure dans la liste généalogique des ancêtres du Mahdi, dont la mère était chrétienne avant d’embrasser l’islam.
Le Mahdi, dans la tradition musulmane chiite, est un descendant du prophète Mohammad, dont il porte le nom. Douzième imam d’une lignée héréditaire, cet imam rédempteur “occulté” ou “caché” (vers les 9e-10e siècles) doit réapparaître à la fin des temps pour restaurer la justice et la véritable religion dans un monde gagné par l’incroyance et la corruption morale. Tous les courants de l’islam ne sont pas d’accord sur cette figure eschatologique. Il faut laisser, bien entendu, cette affaire aux spécialistes. Pour sa part, le visiteur curieux peut se contenter de la tradition locale de Chameh.
Selon l’archéologue et responsable des vestiges à Tyr auprès du ministère de la Culture, Ali Badaoui, le site a été restauré il y a quelques années, mais aucun examen des restes contenus dans la crypte n’a été tenté jusqu’à présent “en accord avec la coutume orientale de respect pour les morts”.
Dommage que de telles considérations empêchent la science de dire son mot dans ce domaine. On sait en effet de source historique que Saint Pierre a été martyrisé sous le règne de Néron, que l’imposante basilique Saint-Pierre de Rome a été construite au 16e siècle sur le site de son martyre et que le pape Paul VI a fait identifier ses restes, qui gisent sous le maître autel de la basilique jusqu’au grand jour du Jugement. Est-il possible que le maqâm ait contenu des reliques du premier évêque de Rome? Cette hypothèse n’est pas fantaisiste. En effet, selon l’archéologue, “près du sanctuaire, on relève les vestiges d’une chapelle, ce qui prouve que l’endroit était consacré avant l’avènement de l’islam”. Certes, disent les experts, les maqâms peuvent n’être que de simples “stations”. Mais, datant du Iᵉʳ siècle, si proche de la Terre sainte, et comprenant les traces d’une église, le maqâm de Chameh pourrait réserver des surprises aux chercheurs.
Ce que l’on peut dire, en attendant une ère plus attentive à l’histoire, c’est que le Liban tout entier est un respectable et précieux reliquaire pour diverses croyances religieuses qui doivent toutes inspirer un égal respect. Mieux établies, des données comme celle du maqâm de Semaan el-Safa à Chameh communiqueraient aux générations scolaires montantes du Liban une ouverture d’esprit incomparable. Ouverture d’esprit pas nécessairement relativiste, mais une forme de lucidité par rapport à la diversité de leurs racines et à leur plus ou moins grande importance dans la culture populaire et les mentalités.
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