Les suspensions des examens des demandes d'asile des Syriens par les gouvernements européens sont-elles légales? Peut-on retirer les protections internationales? Un réfugié peut-il retourner dans son pays? Explications par un juriste et le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés (UNHCR).
Qu'ont annoncé les gouvernements européens ?
Moins de 48h après la chute du dictateur syrien Bachar el-Assad, les gouvernements allemand, autrichien, suédois, danois, norvégien, belge, britannique, suisse, néerlandais, puis grec ont annoncé suspendre l'examen des demandes d'asile des Syriens. Des déclarations prononcées à des fins politiques sur fond de montée de l'extrême droite.
Le gouvernement français a annoncé également travailler à de telles mesures avant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), seul autorisé à décider (une spécificité française), rectifie et précise "différer les prises de décision" tout en maintenant les rendez-vous des demandeurs syriens.
Peut-on légalement suspendre les demandes d'asile ?
"Compte tenu de l'incertitude et de l'instabilité de la situation, la suspension du traitement des demandes d'asile des Syriens est acceptable tant que les personnes peuvent demander l'asile et sont en mesure de déposer leurs demandes", a tenu à rappeler cette semaine l'UNHCR, plusieurs pays entretenant le flou sur ce qu'ils voulaient exactement faire.
"Il est totalement illégal de suspendre l'accès à la demande d'une protection internationale, selon la Convention de Genève (qui définit le droit d'asile) et le droit européen", pointe Laurent Delbos, juriste spécialisé en droit d'asile.
En revanche, les mises sur pause des décisions sur les demandes d'asile sont "assez classiques en Europe et des mesures similaires ont déjà été prises pour l'Ukraine ou encore le Soudan", selon lui. Elles visent à ne pas se prononcer hâtivement et à prendre le risque de porter atteinte aux personnes en leur refusant une protection internationale.
"Il faut que la situation dans le pays d'origine soit suffisamment claire et se soit assez arrangée pour décider qu'une personne n'a pas besoin de protection. Les examinateurs des demandes disent en quelque sorte qu’on prend le temps de voir comment évolue la situation", explique M. Delbos.
Combien de temps peut durer la suspension ?
"En théorie, cela peut durer aussi longtemps que la situation demeurera incertaine. Mais si cette incertitude perdure, elle sera prise en compte lors de la reprise de l'examen des dossiers", explique M. Delbos.
"Toute personne en quête d'une protection internationale doit pouvoir (…) voir sa demande examinée pleinement et de manière individuelle sur le fond", insiste aussi l'UNHCR.
"Les raisons de demander l'asile peuvent être multiples et liées à des positions politiques, à sa religion, à son orientation sexuelle… Est-ce qu'un chrétien de Syrie qui était menacé sous Bachar el-Assad le sera moins à l'avenir?", décrypte M. Delbos.
Peut-on retirer le statut de réfugié ?
"Non, on ne peut pas ôter la protection d'un réfugié et le renvoyer du jour au lendemain dans son pays d'origine", précise M. Delbos. Toutefois, "si on estime que le changement de situation est significatif et les conditions stables, alors cette protection peut être revue", poursuit le juriste.
Dans le cas de la Syrie, "dire le week-end même de la chute de Bachar al-Assad, on va renvoyer les Syriens chez eux, c'est hors sujet", pointe M. Delbos.
Par ailleurs, "aucun demandeur d'asile ne devrait être renvoyé de force, car cela constituerait une violation de l'obligation de non-refoulement qui incombe aux États", abonde l'UNHCR.
Un réfugié peut-il décider de retourner dans son pays ?
"Tous les réfugiés disposent du droit fondamental de retourner dans leur pays d'origine au moment de leur choix, et tous les retours doivent être volontaires, dignes et sûrs", a encore rappelé l'UNHCR.
Si un réfugié décide, y compris pendant la phase de "gel", de retourner dans son pays d'origine, il risque de perdre sa protection. "Quand un ressortissant étranger est placé sous la protection d'un État, c'est parce qu'il est menacé dans le pays qu'il fuit; y retourner, c'est prouver le contraire", analyse M. Delbos.
Un réfugié peut toujours renoncer volontairement au statut de réfugié, mais ces cas sont très marginaux. En France, ils étaient 1 984 en 2023 et 1 082 sur les dix premiers mois de 2024, selon l'Ofpra.
Avec AFP
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