Soutien des rebelles ayant renversé Bachar el-Assad et artisan d'un récent accord entre l'Éthiopie et la Somalie, le président turc Recep Tayyip Erdogan a dopé en l'espace d'une semaine l'influence d'Ankara "dans son arrière-cour et au-delà", estiment des experts.
Si la Turquie n'a pas participé directement à la chute d'Assad, elle entretient de longue date des relations avec les islamistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) désormais au pouvoir à Damas, lui conférant un statut d'interlocuteur privilégié alors que de nombreuses capitales s'inquiètent toujours du passé de cette ex-branche d'Al-Qaïda.
Quelques jours après la prise de pouvoir des rebelles, le chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin, proche d'Erdogan, a savamment mis en scène sa rencontre à Damas avec le chef de HTS, Abou Mohammad al-Jolani, qui utilise désormais son vrai nom, Ahmad al-Chareh.
La même semaine, le président turc a réussi un autre coup diplomatique en négociant à Ankara la fin d'une brouille entre l'Éthiopie et la Somalie.
"La Turquie est très intelligente (...) La Turquie a fait une prise de contrôle inamicale sans que beaucoup de vies ne soient perdues", a estimé lundi le président élu américain Donald Trump au sujet de la Syrie.
"Maximiser l'influence turque"
"Erdogan joue sur le long terme", estime Anthony Skinner, directeur de recherche au cabinet de conseil Marlow Global, pour qui Ankara "a soigneusement cultivé des relations avec des acteurs étatiques et non-étatiques pour maximiser l'influence turque dans son arrière-cour et au-delà".
"Les résultats sont particulièrement évidents en Syrie et dans la Corne de l'Afrique. Erdogan a bien joué ses cartes jusqu'à présent et a une position enviable en Syrie", ajoute-t-il à l'AFP.
Dans la foulée, le chef de l'État turc a offert sa médiation entre le Soudan et les Émirats arabes unis, accusés de soutenir des paramilitaires face à l'armée de Khartoum.
Pour Max Abrahms, expert en sécurité internationale, "Erdogan est un grand gagnant" des dernières évolutions en Syrie.
Les soutiens d'Assad étant désormais hors jeu - la Russie embourbée dans sa guerre avec l'Ukraine et l'Iran affaibli par les attaques d'Israël contre son allié, le Hezbollah, la voie est libre pour qu'Erdogan "étende l'influence turque en Syrie", explique-t-il à l'AFP.
"Nouvelle ère"
Cela passera probablement par une action d'Ankara pour "atténuer la menace du PKK", le Parti des travailleurs de Kurdistan, dans le Nord syrien, près de la frontière turque, juge Max Abrahms.
La Turquie a mené depuis 2016 plusieurs offensives sur le sol syrien contre les Unités de protection du peuple kurde (YPG), considérées par Ankara comme une extension du PKK, qui lui ont permis d'y contrôler des zones entières avec l'appui de ses affidés syriens.
"Dans cette nouvelle ère, l'organisation terroriste PKK/YPG disparaîtra tôt ou tard de Syrie. Le nouveau gouvernement syrien le souhaite autant que nous", a affirmé le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan.
Une décision de la future administration Trump de retirer les troupes américaines de Syrie affaiblirait les combattants kurdes qu'elles appuient contre le groupe jihadiste État islamique (EI), pour "le plus grand plaisir d'Erdogan", estime Max Abrahms.
"Parler à Kiev et à Moscou"
La chute d'Assad "ouvre la voie au retour des réfugiés résidant en Turquie (près de trois millions, NDLR) et à une influence accrue d'Ankara en Syrie", abonde Hamish Kinnear, analyste au cabinet de conseil Verisk Maplecroft.
Le rôle croissant d'Erdogan au Proche-Orient et son succès dans les négociations avec l'Éthiopie et la Somalie "ne font que renforcer l'impression d'une influence géopolitique et diplomatique croissante de la Turquie", souligne-t-il.
Désormais, "la Turquie est en théorie bien placée pour servir de médiateur entre l'Ukraine et la Russie, étant donné sa capacité à parler à la fois à Kiev et à Moscou", ajoute-t-il, estimant qu'"Erdogan connaît incontestablement son heure de gloire".
Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, Erdogan a su maintenir des relations étroites avec la Russie, accueillant par deux fois des négociations directes entre Moscou et Kiev en mars 2022.
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a toutefois jugé début novembre "peu probable" que la Turquie réussisse ses efforts de médiation, soulignant que des armes turques sont utilisées par l'Ukraine "pour tuer des soldats et des civils russes".
Fulya OZERKAN, avec AFP
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