Tout aussi rapide que la chute du règne sans partage du clan Assad, pourtant fort de 54 ans de répression implacable, s’est imposée sur la scène syrienne une ruée inédite de diplomates onusiens, américains, européens et régionaux (turcs, qataris...).
Cet afflux s’exhibe étrangement sous les auspices de tous les paradoxes imaginables auxquels souscrit la Syrie: sanctions internationales; ingérences étrangères (interventions turques; annexion du Golan par Israël…) et non des moindres; pourparlers avec la régente de la coalition des rebelles désormais au pouvoir, Hay’at Tahrir Al Sham (HTS), malgré sa labellisation de “groupe terroriste” par plusieurs capitales occidentales, dont Washington et Londres.
Ce défilé diplomatique sans précédent en direction de la Syrie serait-il simplement une inspection pragmatique d’une nouvelle réalité à “gérer”? Ou une offensive “pacifique” afin de canaliser et d’encadrer, si possible, la montée des islamistes et, éventuellement, d’“arrondir les angles” de la transition politique en vue? En tout état de cause, toutes les chancelleries occidentales et régionales tentent, pour une raison ou pour une autre, d’avoir voix au nouveau chapitre syrien.
Premiers contacts
Sur fond de contacts établis avec le groupe Hay’at Tahrir Al Sham (HTS), de multiples entrevues ont été entamées avec les nouveaux détenteurs du pouvoir en Syrie.
En tête de file, l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, qui a souligné la nécessité d'une transition “crédible et inclusive”, mais aussi “le besoin de justice et de responsabilité pour les crimes commis”, appât “humanitaire” à l’appui: il a laissé entrevoir l’offre d’“une aide immédiate accrue pour la population et pour tous les réfugiés qui souhaitent rentrer”.
L'Union européenne cherche, pour sa part, à s'imposer comme un acteur fiable du redressement de la Syrie en prônant une politique des réfugiés fondée sur des principes et associée à une stratégie d'investissement dans la reconstruction. Selon des sources informées, “l'Europe tente de jouer un rôle effectif, au risque d'être dépassée”, en territoire syrien.
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont intensifié leurs efforts de prise de contact avec le nouveau gouvernement de facto. Le secrétaire d’État Antony Blinken a été le premier responsable américain à annoncer que le gouvernement américain avait établi un contact “direct” avec les nouveaux dirigeants syriens.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a aussi confirmé que Londres avait non seulement établi un contact diplomatique avec le groupe rebelle HTS qui a mené l'offensive contre M. Assad, mais aussi débloqué 50 millions de livres (99 millions de dollars) d'aide humanitaire pour les Syriens “les plus vulnérables”. Des avances pour les moins étranges envers “une organisation terroriste proscrite”, selon la description adoptée par M. Lammy, et de laquelle il exige la promotion d’un “gouvernement représentatif, un gouvernement inclusif” en Syrie.
De son côté, la France a envoyé une mission diplomatique, mardi, à Damas, la première depuis douze ans, pour “établir de premiers contacts” avec les nouvelles autorités. Le ministre des Affaires étrangères par intérim, Jean-Noël Barrot, a aussi souligné que “les besoins urgents de la population” seront évalués.
Doha, quant à elle, a annoncé la réouverture mardi de son ambassade en Syrie après l'arrivée dimanche, dans le pays, d'une délégation qatarie qui a rencontré les nouvelles autorités.
La Turquie, acteur majeur dans le conflit en Syrie et soutien des nouvelles autorités, avait déjà rouvert samedi son ambassade à Damas, après plus de douze ans de fermeture. Elle s'est dite “prête” à fournir de l'aide militaire si le nouveau gouvernement syrien le lui demande, selon son ministre de la Défense, Yasar Güler.
En contrepartie de ces multiples avances, les nouvelles autorités syriennes s'emploient à rassurer la communauté internationale. Le nouveau Premier ministre chargé de la transition, Mohammad el-Bachir, a promis de “garantir les droits de tous”, signifiant par là minorités et communautés vulnérables. Les gouvernants de Damas se sont aussi engagés à “respecter toutes les institutions gouvernementales, l'ONU et les autres organisations internationales”.
La nature des implications diplomatiques
Ce jeu d’“apaisement mutuel” laisse entrevoir l’importance des enjeux en lice: les acteurs mondiaux présents sur l’échiquier syrien ont beaucoup à gagner – ou à perdre – après la chute d'Assad. Cela, d’autant plus que l'incertitude pèse sur l'avenir fragile du pays qui sera éventuellement façonné par les divisions internes et les rivalités régionales.
En effet, aux dires de sources informées, la chute du régime Assad marque un moment clé pour la Syrie, annonçant une ère à la fois d'opportunités et d'incertitudes. Aussi, l’intérêt mondial envers la Syrie se fonde-t-il sur des motifs variés, politiques, économiques et militaires, justifiés par sa position géostratégique nodale.
Selon ces sources, l’état de fait en Syrie affecte la région entière. Ce qui explique certaines tentatives diplomatiques d’“encadrer” la période transitoire en Syrie afin d’éviter d’éventuels dérapages politiques et militaires, mais aussi de sonder les opportunités de bénéfices économiques dans la mesure où la Syrie envisage une ère de reconstruction intensive.
Se fondant sur les déclarations publiées à l'issue de la réunion, à Aqaba, en Jordanie, des ministres et des responsables américains, européens, arabes et turcs pour discuter du dossier syrien après la chute du régime de Bachar el-Assad, ces sources soulignent surtout l’insistance des divers gouvernements à “empêcher la résurgence de groupes extrémistes et à garantir la sécurité et la destruction des stocks d'armes chimiques”. Elles signalent également les motivations sous-jacentes qui animent l’action diplomatique des différentes parties prenantes, sans toutefois mettre en avant “la concurrence pour l'influence”… jusqu’à nouvel ordre. Elles estiment que le rôle désormais réduit de l'Iran, conjugué à l'affaiblissement de la Russie, crée un vide que d'autres puissances combleront.
La France, qui soutenait fermement les forces kurdes et certains groupes d'opposition comportant des éléments extrémistes, est aujourd'hui confrontée aux conséquences de ses politiques passées, cette stratégie n'ayant pas servi son influence en Syrie. Sur ce, la récente rhétorique forte du président Emmanuel Macron contre le régime renversé d'Assad a eu peu d'impact, la France étant éclipsée par des acteurs plus dominants, tels que les États-Unis et la Turquie. Aussi, cherche-t-elle à aligner ses efforts diplomatiques sur des contributions dans des domaines tels que la reconstruction, l'aide humanitaire ou même la médiation. Même avec de tels efforts, il est peu probable qu'elle soit un acteur central dans l'élaboration de l'avenir de la Syrie, en raison de sa position affaiblie dans la région.
Derrière le paysage militaire fragmenté de la Syrie, la présence de groupes soutenus par la Turquie et les États-Unis, ainsi que les frappes israéliennes qui ajoutent à la complexité de la situation, se profilent en fait les acteurs régionaux et internationaux auxquels les nouveaux dirigeants du pays devront “se rallier”. Ceux-ci renforceront très probablement leurs relations avec la Turquie et le Qatar, deux soutiens de longue date de groupes dont l'idéologie s'apparente, avec des nuances, à celle des Frères musulmans.
Cet alignement n'exclut toutefois pas la possibilité pour eux de s'engager avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour permettre la réintégration de la Syrie dans l'ordre régional.
Mais, sur le terrain, s’imposera éventuellement un “nouvel ordre administré dans le Nord-Ouest syrien par la Turquie”, alors que l’ensemble de l’échiquier syrien, comme la région moyen-orientale dans son ensemble, souscrirait à une “supervision américaine”.
Commentaires