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Un soldat israélien prend position dans la ville syrienne de Jubata al-Khashab, dans la zone tampon contrôlée par l'ONU sur les hauteurs du Golan annexé, le 20 décembre 2024. ©Bakr ALKASEM / AFP

Israël multiplie les frappes en Syrie et y renforce sa présence, visant à affaiblir ses adversaires, contrôler des zones stratégiques et sécuriser ses frontières. Entre préoccupations sécuritaires et ambitions géopolitiques, ces actions s’inscrivent dans une stratégie régionale face à l’instabilité syrienne et aux menaces posées par l’Iran et ses alliés. 

Dans les dernières heures de la matinée du dimanche 8 décembre, tandis que le peuple syrien venait à peine de se débarrasser du joug de Bachar el-Assad, l’armée israélienne déclarait le plateau du Golan “zone militaire fermée”, tout en y renforçant son dispositif militaire.

Quelques heures plus tard, le Premier ministre Benjamin Netanyahou annonçait, depuis ce territoire annexé par l’État hébreu en 1973, la fin des accords de “désengagement” signés la même année. Pour rappel, ces derniers visaient à mettre localement un terme aux hostilités entre l’État hébreu et l’ancien régime syrien, instaurant une zone tampon sous contrôle des Nations unies.

Dans la foulée, Benjamin Netanyahou ordonnait à ses forces de “prendre le contrôle” de cette zone. Parallèlement, l’armée de l’air israélienne (IAF) entamait une campagne de frappes intensive sur l’ensemble du territoire syrien, auparavant contrôlé par l’armée d’Assad.

Presque deux semaines plus tard, Tel-Aviv ne semble avoir reculé en rien sur ses déclarations. Son armée occupe désormais plus de 400 kilomètres carrés le long de la frontière, zone tampon incluse, tandis que l’IAF continue ses bombardements.

Glacis protecteur

Le 18 décembre, la chaîne qatarie Al-Jazeera recensait ainsi plus de 600 frappes israéliennes sur l’ensemble du territoire syrien. L’objectif de cette campagne consiste à dégrader au maximum les capacités matérielles de l’ancienne armée d’Assad, après son effondrement face à l’avancée des rebelles. Près de 80% de ses capacités auraient été détruites, selon la même source.

Avions, hélicoptères, systèmes de défense aérienne ou encore dépôts de munitions… tout est ciblé pour empêcher le nouveau pouvoir syrien de mettre la main sur les équipements lourds de l’ancien régime. Pour les dirigeants israéliens, les rebelles, menés par les islamistes de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), n’ont rien à envier à l’Iran et ses mandataires, Hezbollah en tête. Tel-Aviv considère que les islamistes sunnites sont aussi dangereux que leurs rivaux chiites qu’ils ont chassés du pays.

Interrogée par l'AFP, Agnès Levallois, de l'Institut de recherche et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Iremmo), annonçait ainsi, dès le 9 décembre, que cette posture était “clairement un message envoyé aux nouvelles autorités de Damas de ne surtout pas bouger”, les Israéliens signalant que, malgré le changement de pouvoir, “ils ne vont rien changer à leur stratégie”. Leur premier objectif est donc de constituer un glacis protecteur le long de la frontière, tout en éliminant la capacité du nouveau pouvoir à mener une offensive militaire.

Monnaie d’échange

Un glacis qui peut aussi servir dans le cadre de futures négociations avec les nouveaux tenants du pouvoir à Damas. En effet, les territoires en question pourraient servir ici de monnaie d’échange, plaçant Israël en position de force pour exiger un potentiel accord de paix.

C’est le fameux principe “terre contre paix” édicté par le Conseil de sécurité de l’ONU après la guerre des 6 jours, en 1967. Les accords de Camp David, signés en 1979 entre Tel-Aviv et Le Caire et entérinant le retrait israélien du Sinaï contre un traité de paix avec l’Égypte, en furent le meilleur exemple d’application.

Une position par ailleurs confirmée par M. Netanyahou le 18 décembre. Celui-ci affirmait alors qu'Israël resterait sur le site du mont Hermon, le point culminant de la frontière libano-syrienne, “jusqu'à ce qu'un autre arrangement soit trouvé pour assurer la sécurité d'Israël”.

Positions stratégiques

Il paraît néanmoins évident que les opérations de Tel-Aviv s’inscrivent dans des objectifs dépassant la seule constitution d’un glacis protecteur. Au sein du territoire qu’elle occupe, l’armée israélienne a notamment pris possession de deux zones revêtant une importance stratégique pour ses intérêts.

C’est d’abord le cas du mont Hermon. Sa position élevée – 2.814 mètres d’altitude – en fait un poste d’observation idéal pour les forces israéliennes, qui peuvent ainsi suivre non seulement les mouvements du nouveau régime côté syrien, mais aussi du Hezbollah côté libanais. Un emplacement qui s’avère donc utile dans l’hypothèse de futures incursions contre chacun de ces deux acteurs.

Une autre position d’intérêt contrôlée par l’État hébreu est celle du barrage Al-Wehda, situé sur la rivière Yarmouk, le long de la frontière syro-jordanienne. Ce cours d’eau s’avère être l’un des principaux affluents du fleuve Jourdain, qui irrigue la vallée du même nom… notamment son versant ouest, partagé entre le territoire israélien et la Cisjordanie occupée.

Contrôler cette retenue artificielle revient donc à “mettre la main” sur une partie des ressources hydriques d’une région où celles-ci sont particulièrement rares. Mais, en plus de faire bénéficier Israël de ressources additionnelles, le barrage offre à l’État hébreu un levier de négociation supplémentaire face à Damas. 

En effet, le sud de la Syrie bénéficie non seulement de l’eau du barrage, mais aussi de l’électricité qu’il génère. En outre, le barrage procure un levier de pression sur la Jordanie, qui bénéficie de plus de 70% de ses ressources hydriques.

L’Iran en ligne de mire

Au-delà de la formation d’un glacis et du contrôle de zones stratégiques, Israël poursuit un objectif supplémentaire dans le cadre de sa confrontation avec l’Iran. Tandis que la République islamique, bien qu’affectée par ses revers au Levant, semble plus proche que jamais d’acquérir l’arme nucléaire, Tel-Aviv menace de frappes préventives contre les installations nucléaires iraniennes.

Dans la nuit du 26 au 27 octobre, l’IAF avait déjà mené une opération aérienne d’ampleur contre plusieurs sites stratégiques iraniens, affaiblissant au passage les défenses de l’axe pro-Téhéran situées en Syrie. Néanmoins, les avions israéliens avaient alors dû prendre des précautions limitant leur liberté d’action, en volant à très basse altitude pour échapper le plus longtemps possible aux moyens de détection iraniens restants.

Ses bombardements ayant réduit à l’insignifiance le système de défense antiaérienne syrien, l’IAF peut désormais opérer en toute impunité au-dessus du territoire syrien. En outre, la chute du régime Assad prive Téhéran d’un dispositif d’alerte avancé, et donc d’un temps précieux pour organiser ses défenses.

Cela constitue un avantage stratégique pour l’État hébreu, qui peut désormais atteindre aisément le nord de l’Irak, dont l’espace aérien reste contrôlé par l’armée américaine, pour ensuite lancer ses missiles contre des cibles en Iran. Une hypothèse qui pourrait devenir d’autant plus réelle avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump en janvier 2025, ce dernier étant partisan d’une pression maximale contre le régime des mollahs.

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