Épuisées par plus d'un an de guerre dans la bande de Gaza et ailleurs, des Israéliennes, épouses et mères de soldats, se mobilisent contre les exemptions de service militaire dont bénéficient les ultra-orthodoxes, une mesure controversée soutenue par le gouvernement.
Chaque samedi soir depuis plusieurs semaines, le pont au-dessus de l'autoroute qui sépare Bnei Brak, une localité ultra-orthodoxe de la banlieue de Tel-Aviv (centre), et Givat Shmuel, un bastion de juifs religieux sionistes, très présents dans l'armée, est le théâtre d'un face-à-face tendu.
Des ultra-orthodoxes passent, certains en courant, devant la haie de drapeaux israéliens, de pancartes les appelant à servir dans l'armée et de manifestants les haranguant dans des haut-parleurs: "La conscription pour tous".
Malgré les effectifs supplémentaires réclamés par l'armée et la décision de la Cour suprême, qui a statué en juin que les exemptions étaient illégales, le gouvernement de Benjamin Netanyahou, reposant largement sur son alliance avec les partis ultra-orthodoxes, défend un projet de loi qui les prolongerait pour la grande majorité des "haredim" ("ceux qui craignent Dieu" en hébreu).
Le service militaire est obligatoire en Israël, mais en vertu d'un accord remontant à la création du pays en 1948, quand les ultra-orthodoxes étaient peu nombreux, ces derniers bénéficient d'une exemption de service militaire s'ils se consacrent à l'étude des textes sacrés du judaïsme.
Les dirigeants politiques et religieux ultra-orthodoxes s'opposent toujours à leur participation à l'armée, estimant que l'étude religieuse protège autant le pays.
La population ultra-orthodoxe représente aujourd'hui 14% de la population juive d'Israël, soit près de 1,3 million d'habitants, et environ 66.000 hommes en âge de servir bénéficient d'une exemption.
"Partager le fardeau"
Michal Vilian, 60 ans, habitante de Givat Shmuel, participe aux manifestations organisées par le collectif de femmes religieuses "partenaires pour porter le fardeau".
Ses quatre fils et son beau-fils ont été mobilisés pratiquement sans interruption depuis le 7 octobre comme réservistes dans des unités combattantes à Gaza, au Liban et récemment en Syrie.
"Nous sommes ici pour demander de l'aide à nos frères qui vivent juste de l'autre côté du pont, leur dire de (...) partager le poids du fardeau" avec les réservistes, explique la médecin, la tête couverte du turban des femmes sionistes religieuses.
Depuis le 7 octobre, plus de 800 soldats ont été tués à Gaza, lors de l'offensive israélienne dans le sud du Liban contre le Hezbollah ou d'opérations en Cisjordanie occupée.
Pour les sionistes religieux, alliés avec les ultra-orthodoxes dans la coalition gouvernementale et jusque-là prêts à faire des compromis sur la question des exemptions, le prix du sang est devenu trop lourd.
Avec un nombre de morts au combat disproportionné dû à leur niveau élevé de mobilisation, cette communauté a fini par se joindre à la colère de la plus grande partie de la population, explique Amotz Asa-El, chercheur à l'Institut Shalom Hartman de Jérusalem.
Selon lui, avant le 7 octobre, les Israéliens étaient opposés "par principe" aux exemptions des ultra-orthodoxes, mais aujourd'hui, ils considèrent qu'elles mettent "concrètement" leur vie en danger.
"Ce n'est plus tenable"
Une des fondatrices du Forum des épouses des réservistes, Rotem Avidar Tzalik, dit vivre dans une "réalité parallèle". Depuis plus d'un an, son époux a été mobilisé plus de 200 jours.
Cette avocate de 34 ans, mère de trois enfants, explique que le poids de la mobilisation est devenu "insupportable" pour les familles de réservistes sur les plans économique et psychologique.
Au Parlement, où elle défend les droits des familles des réservistes, elle insiste sur le fait que la conscription des ultra-orthodoxes ne constitue qu'un volet des changements nécessaires.
Elle souligne cependant que "même un millier" d'ultra-orthodoxes supplémentaires dans l'armée, au-delà des quelques milliers qui servent déjà, aurait un "impact énorme".
Pour Shvut Raanan, une autre membre, religieuse, du Forum, l'argumentation des haredim ne tient pas. Et l'avocate de 31 ans, mère de quatre enfants, de citer des personnages bibliques appelant le peuple juif à se battre.
"Après la Shoah (et la destruction des communautés religieuses d'Europe de l'Est, NDLR), nous avons essayé d'offrir (...) une sorte d'incubateur au monde de la Torah", dit-elle, faisant allusion à l'accord exemptant les haredim de service militaire.
Mais aujourd'hui, ajoute-elle, nous sommes dans une "réalité sécuritaire" dans laquelle cela n'est "plus tenable".
Avec AFP
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