Sous la neige épaisse qui ne cesse de tomber et des vents violents, environ 200 personnes, en poncho de pluie ou en parka avec des capuches en fourrure, font la queue au passage frontalier estonien de Narva pour passer en Russie voisine.
Arrivées à la frontière en taxi ou en bus, certains traînent des valises, tandis que d'autres portent un simple sac en plastique.
Narva est nichée à la frontière orientale de l'UE et de l'Otan et la proximité de la Russie est palpable dans cette ville de 56.000 habitants dont 96% sont russophones.
Depuis que l'Estonie a ordonné de lutter contre les tentatives de contournement des sanctions imposées à la Russie à la suite de l'invasion de l'Ukraine, les contrôles ont été renforcés au passage frontalier de Narva.
Selon Eerik Purgel, le chef du bureau des gardes-frontières de la préfecture de l'est de l'Estonie, les contrôles ont déjà permis de découvrir des équipements valant des "dizaines de milliers d'euros" dissimulés dans des bagages.
"On a pu voir toutes sortes d'appareils électroniques, des puces, des systèmes Starlink, tout ce qui est utilisé pour la guerre", raconte-t-il sur le pont reliant les deux pays, où des blocs de béton appelés "dents de dragon" et servant d'obstacles antichars ont été installés en 2023.
Menaces de mort
Le poste-frontière, qui n'est ouvert qu'aux piétons depuis que la Russie y a interrompu la circulation routière, est aujourd'hui l'un des trois seuls points de contrôle entre l'Estonie et la Russie.
Sur les rives du cours d'eau qui sépare Narva d'Ivangorod, en territoire russe, deux forteresses vieilles de plusieurs siècles se font face.
Côté russe, des concerts sont organisés ces dernières années au pied du château à l'occasion du Jour de la Victoire dans la Deuxième Guerre mondiale, fêté en Russie le 9 mai. La scène fait face à Narva et des haut-parleurs diffusent alors de la musique russe en direction des Estoniens.
Le musée situé dans la forteresse de Narva y a riposté en 2023 et 2024 en déployant une grande banderole avec le président russe Vladimir Poutine représenté le visage couvert de sang. "Poutine : criminel de guerre", pouvait-on y lire.
"Narva, contrairement à beaucoup d'autres villes estoniennes, est toujours sous une forte influence de l'espace d'information russe et de la propagande russe", souligne auprès de l'AFP Maria Smorzevskihh-Smirnova, la directrice du musée de Narva, pour expliquer ce geste.
Elle dit avoir reçu des messages de haine et même des menaces de mort à la suite de cette initiative, tandis que des hommes politiques locaux l'ont accusée de semer la discorde au sein de la communauté majoritairement russophone et ont réclamé sa démission.
Mais, sur les deux rives, le conflit ne se limite pas aux mots.
En mai, l'Estonie a ainsi affirmé que la Russie avait retiré les bouées frontalières de la rivière et, un mois plus tôt, elle avait accusé Moscou d'être à l'origine d'un brouillage du signal GPS qui, selon elle, a augmenté le risque d'un accident aérien.
"Cela fait partie de la guerre électronique qu'ils (les Russes, ndlr) livrent et l'impact se fait également sentir sur notre territoire", déclare à l'AFP Egert Belitsev, le directeur général de la police estonienne, qui est également chargé des gardes-frontières.
"Quelques fous"
Toutefois, si les tensions sont palpables entre ces États voisins, la situation à Narva est calme, assure à l'AFP son maire Jaan Toots. Même si, admet-il, "beaucoup de choses ont changé" depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022.
"Une ville frontalière vit toujours avec l'autre côté de la frontière", insiste M. Toots, rappelant que les habitants de Narva avaient l'habitude d'aller pratiquement tous les jours en Russie.
Aujourd'hui encore, "l'essence y est 300% moins chère", relève-t-il, pour faire comprendre pourquoi les Estoniens font toujours la queue afin de se rendre en Russie, alors que les autorités estoniennes recommandent de complètement éviter ces déplacements.
La baisse du trafic en provenance de Russie a également eu des conséquences économiques sur la cité.
"Les vendredis, samedis et dimanches, il y avait beaucoup de touristes à Narva - je pense que 23 à 25% du chiffre d'affaires mensuel était issu des touristes russes (...). Cela a disparu", déplore M. Toots.
Interrogé à propos de la banderole qui était déployée sur le mur de la forteresse, M. Toots affirme qu'elle montrait "ce que notre peuple estonien pense vraiment. C'est un terroriste qui se trouve de l'autre côté".
Il espère cependant encore une réconciliation entre les deux voisins, jugeant que "le peuple en général n'est pas à blâmer pour ce que font quelques fous au Kremlin".
Avec AFP
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