L’art de vivre de Pierre Yves Lador
"Le marcheur vertical" de Pierre Yves Lador ©DR

Dans Le marcheur vertical paru en 2024 aux éditions Olivier Morattel, Pierre Yves Lador nous transporte au cœur de la montagne suisse où la marche quotidienne se définit comme une quête de l’inattendu. L’essai est tout autant un pamphlet satirique contre le développement personnel en vogue qu’une apologie de la marche lente et libre.

Lador s’amuse et nous amuse en présentant la structure de son essai sous la forme d’un menu gourmand sans doute pour aiguiser l’appétit du lecteur: prologue apéritif, épilogue café corsé et postface de Quentin Mouron digestif. Si le titre Le marcheur vertical est un pléonasme, c’est bien pour créer un effet stylistique et mettre en valeur l’homme debout droit dans ses bottes. D’une écriture touffue, l’ouvrage s’inscrit comme un acte de résistance contre le développement personnel et ses apôtres ou gourous – que l’auteur nomme de “bonimenteurs à la petite semaine” – mais aussi un art de vivre. Dès les premières pages, Lador donne le ton en égratignant les apologistes du feel good, rebaptisé filgoude, qui proposent quantité de recettes comme les régimes, le yoga, la méditation ou le tambour chamanique contre le mal de vivre. Il déconstruit avec une ironie mordante le mythe du bien-être après en avoir personnellement fait l’expérience et essayé toutes sortes de remèdes, sans pour autant y trouver le moindre bénéfice.

C’est dans la marche lente et libre que Lador trouve sa quiétude, que son esprit vagabonde et gravit les sommets, que son corps transpire et se muscle. L’auteur-narrateur révèle beaucoup de lui-même, insérant en italique des extraits que l’on suppose de son journal intime, sans doute pour gagner la confiance du lecteur auquel il s’adresse parfois directement: “Pardonne-moi, ami lecteur.” Celui-ci devient son confident, celui qui lui emboîte le pas lors de ses longues marches solitaires. Lador fait son autoportrait de marcheur chevronné, libre des injonctions des tendances contemporaines, se moque du regard des gens qu’il rencontre sur son chemin: “Certains me jugent sur mon accoutrement et mes pieds nus dans mes sandales.” La marche se définit alors comme un rituel qu’il accomplit avec attention, où il observe minutieusement les moindres détails de la nature environnante: arbres, plantes, animaux et rocs. “Moi je vis une fusion de l’espace-temps en immersion au milieu des sapins chantants”, écrit-il. Loin de rechercher le bonheur, l’auteur-narrateur est en quête de découvertes, de la vie inattendue qui sans cesse l’émerveille, tout en le poussant à remettre en question toutes sortes d’usages et à pointer du doigt la démesure des humains.

Lador fait l’éloge de la marche lente dans un monde en quête d’exploits et de records, et nous livre son expérience de marcheur tranquille. Il raisonne, argumente, médite, décrit, raconte, se souvient et rêve. Il établit des analogies entre la marche et l’écriture, la lecture, la contemplation de la nature ou les rêveries qui éclairent les ténèbres. À l’instar de Jean-Jacques Rousseau qui s’abandonne aux rêveries tout en marchant et herborisant, Lador marche au hasard en symbiose avec la nature qu’il préfère avec “ses honnêtes violences” aux clubs de marche et aux compétitions. Et c’est l’occasion pour lui de fustiger le tourisme, le consumérisme et tout ce qui finit en “isme” selon le modèle orwellien; mais aussi l’hégémonie de la technologie et les institutions subventionnées par l’État. Les réflexions philosophiques (Nietzsche), historiques (Alexandre, Magellan) ou littéraires (Flaubert) foisonnent, car la marche devient exploration de son cerveau et du monde.

La marche est en quelque sorte une thérapie qui libère de la peur et permet un retour à soi, aux sensations et au présent dont les minutes s’écoulent lentement. C’est surtout une confrontation avec ses propres démons au cours de laquelle une alchimie s’opère et fait place à la transfiguration, dont il dit: “La marche lente dans la nature, cet athanor, brûle ce que j’adore et cryogénise mes haines.” La marche est aussi une ascèse dont il sort régénéré et où il prend tout son temps pour “observer, contempler, regarder, rêver, rêvasser, méditer…” Un retour à la nature pour se retrouver soi-même.

Le marcheur vertical, Pierre Yves Lador, Éditions Olivier Morattel, 2024

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