Une détente s'annoncerait sur le front des prisons
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Même si ce dossier n’a pas été mentionné lors de la conférence de presse conjointe tenue par les deux hommes, la question des détenus syriens dans les prisons libanaises, située à la croisée de l’humanitaire, du judiciaire et du politique, aurait été soulevée par le nouveau maître de Damas, Ahmad el-Chareh, avec le Premier ministre libanais sortant, Najib Mikati, au cours de leur rencontre hier, à Damas.

Dans le même temps, les familles de “rebelles syriens détenus dans les prisons libanaises” ont organisé un rassemblement symbolique à Damas pour appeler à la libération de ces derniers.

Certes, la visite officielle de M. Mikati intervient en réponse à une invitation d’Ahmad el-Chareh, qui s'était entretenu par téléphone avec lui le 3 janvier. Mais, selon des sources bien informées, le nouveau maître de la Syrie n’avait pas attendu son installation au palais présidentiel syrien pour réclamer la libération de tous les prisonniers islamistes incarcérés sans jugement au Liban, sous le soupçon d’activités ou d’allégeance à des groupes terroristes, en particulier à Hay‘at Tahrir el-Cham (HTC), qu’il dirigeait et qui était classée terroriste par les États-Unis.

Pour une raison inconnue, la question d’une éventuelle libération d’islamistes détenus sans jugement, pour appartenance à une organisation terroriste, soulève inévitablement celle d’une “amnistie” générale des détenus au Liban, comme si la solution du “tout ou rien” était la seule possible. C’est bien ce qui vient de se passer. C’est la raison pour laquelle, sans doute, ces demandes sont restées inabouties, d’une année à l’autre.

Invariablement, la demande d’amnistie générale se développe le long de lignes confessionnelles et toutes les communautés s’interposent pour en bénéficier, ce qui immanquablement la bloque. C’est ainsi que les communautés chrétiennes réclament aussi qu’en bénéficient les Libanais qui avaient été accusés de collaboration militaire ou économique avec Israël et qui avaient été contraints de fuir le pays après le retrait israélien du Liban-Sud, en 2000. On sait que leur retour au Liban doit nécessairement passer par une comparution devant le tribunal militaire et une peine de prison. Ils sont en outre empêchés d’inscrire leurs enfants sur les registres de l’état-civil libanais.

En attendant que le Parlement se prononce sur une éventuelle “amnistie générale”, M. Mikati a réclamé la nomination rapide d'un comité d'inspection des prisons. Ce comité devrait être formé d'un juge de la Cour de cassation, d'un officier des Forces de sécurité intérieure (FSI) et d'un représentant de la Croix-Rouge.

Surpopulation carcérale

L’un des premiers arguments soulevés par ceux qui réclament l’amnistie est celui de la surpopulation carcérale. Toutes les instances concernées sont unanimes à ce sujet. La surpopulation carcérale au Liban atteint le chiffre considérable de 300%, assure le directeur général des prisons, le colonel Bilal Omar, joint par Ici Beyrouth. Cette surpopulation a été aggravée par la destruction des six prisons au cours de la récente guerre Israël-Hezbollah (septembre-novembre 2024). Ces prisons sont celles de Nabatiyeh, Marjeyoun, Tebnine, Bint Jbeil, Tyr et Baalbeck.

La surpopulation carcérale constitue certainement l’un des aspects les plus pénibles de l’incarcération, nous assure le père Najib Baaklini, président de l’association Justice et Miséricorde fondée par l’ordre des Antonins, principale association privée s’intéressant à la réhabilitation et à la réinsertion professionnelle et sociale des prisonniers.

Un rapport récent de la Commission des prisons au sein de l’ordre des avocats de Beyrouth recensait 8.402 prisonniers détenus dans les geôles libanaises, dont 83% n’ont pas encore été jugés, un pourcentage jugé inadmissible pour un pays qui se veut démocratique.

Le nouveau président, Joseph Aoun, a indirectement abordé ce problème dans son discours d’investiture, lorsqu’il s’est engagé en faveur de l’indépendance de la justice et a souligné la nécessité d’une accélération des procès, ce qui contribuerait à le régler.

Selon le colonel Bilal Omar, les prisons libanaises abritent 1.800 prisonniers syriens, mais seulement 330 d’entre eux ont été jugés, ce qui les qualifie pour être extradés vers la Syrie, en vertu des accords passés. Une fois qu’il en aurait pris livraison, le nouveau régime déciderait de leur sort: purge du restant de leur peine ou remise en liberté, bien que leur libération des prisons libanaises pose, pour certains d’entre eux, le problème du dédommagement préalable de leurs victimes.

Le chiffre de 83% de détenus non jugés est énorme, selon tous les critères de la justice et exige, lui aussi, une solution. Cette lenteur judiciaire a plusieurs explications, dont la moindre n’est pas la situation économique. Selon des milieux bien informés, une salle de tribunal ultraneuve a été construite à la prison centrale de Roumieh pour accélérer les jugements. “Mais elle reste largement sous-employée faute d’incitations suffisantes offertes aux magistrats”, souligne la source citée.

Il faut espérer que le gouvernement qui sera formé à la suite de l’élection du président Joseph Aoun, en assurera la continuité. Ainsi, il est question d’écourter à six mois “l’année judiciaire”, qui est de neuf mois en ce moment. Toujours pour désencombrer les cellules, il est question de distinguer plus nettement, dans l’application des peines, entre les consommateurs de drogue et les dealers, voire entre les petits revendeurs et les grands trafiquants. Ces mesures devraient mener à un allègement significatif de la surpopulation carcérale.

Au nombre des islamistes détenus au Liban figurent, nous l’avons dit, un certain nombre de combattants affiliés à des groupes membres de la coalition qui vient de prendre le pouvoir en Syrie. Pour le père Najib Baaklini, il semble probable que ces combattants – qu’ils soient libanais ou syriens – seront relâchés. Le président de Justice et Miséricorde précise que beaucoup de jeunes, notamment du Liban-Nord, avaient pu rejoindre les rangs de la coalition de forces qui a renversé le régime syrien, en particulier de Hay’at Tahrir el-Cham. Il estime qu’il est normal qu’ils soient relâchés, surtout si l’appartenance à la coalition est la seule, ou la principale accusation qui leur vaut la prison. Toutefois, ajoute-t-il, la mesure d’amnistie ne peut s’étendre aux cas de détenus coupables d’avoir tué des militaires ou des agents de l’ordre, ou participé à des actes terroristes même si ceux-ci ont seulement fait des blessés.

Il va de soi que ce dossier se prête à des surenchères, affirme une source qui le suit. Détenus dans un même édifice, le bâtiment B, islamistes syriens et libanais ont constitué une sorte “d’émirat”, où ils disposent de privilèges alimentaires et autres, et où les plus autoritaires imposent leur loi.

Parmi ces détenus figure le cheikh Ahmad el-Assir, arrêté en 2015 et condamné à mort pour avoir dirigé des affrontements meurtriers contre l'armée libanaise à Abra, une banlieue de Saïda, en 2013.

Dans une vidéo diffusée la semaine dernière, le cheikh el-Assir a appelé les autorités libanaises à clore le dossier des islamistes et invité les autorités libanaises “aux meilleures relations de bon voisinage” avec la Syrie.

De toute évidence, avec la chute du régime syrien et le désarmement espéré du Hezbollah, beaucoup d’antagonismes communautaires pourraient s’adoucir.

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