Le Codex Rabulensis (3/3)
Codex Rabulensis, folio 7 R°, inscription de la main du patriarche Pierre III, daté de l’an 1154. ©Biblioteca Medicea Laurenziana.

Composé en l’an 586, le Codex Rabulensis contient des interventions de la main de patriarches maronites s’étalant du XIIIe au XVe siècle. Certaines sont purement explicatives, servant de légende à une illustration, tandis que d’autres vont de la plus dérisoire donation d’huile d’olive, aux faits historiques les plus marquants.

Le Codex Rabulensis est un manuscrit chargé d’histoire, à l’image des strates d’un champ de fouilles archéologiques. Composé en l’an 586, il contient des interventions de la main de patriarches maronites s’étalant du XIIIe au XVe siècle. Ces prélats, allant de Daniel III de Hadshit (1278-1282) à Siméon V de Hadat (1492-1524), ainsi que des évêques ou de simples scribes, ont laissé leur écriture sur les folios de cet illustre évangéliaire syriaque.    

La datation

Comme le moine Rabula qui a daté le colophon du mois de shvot (février) de l’an 897 d'Alexandre (586 AD), les patriarches maronites d’Ilige, puis de Qannoubine, vont également employer l’ère d’Antioche. L’Église maronite est antiochienne et se réfère à cette cité et donc à l’ère séleucide qui débute en l’an 311-312 avant J.-C. Cette date quelque peu arbitraire avait été choisie en 305 avant J.-C. par Séleucos lors de sa reprise de Babylone. Toutes les datations maronites s’y conformaient jusqu’à leur passage au calendrier chrétien grégorien avec la fondation du Collège maronite de Rome en 1584.

Contrairement à d’autres chrétiens en Orient, les maronites n’ont pas employé l’ère de l’hégire que les Syriaques jacobites et les nestoriens appelaient de Tayoyé. Avant 1584, les maronites mentionnaient l’ère séleucide qu’ils appelaient tantôt d’Alexandros (d’Alexandre) tantôt d’Yawnoyé (des Grecs). Après cette date, ils ont commencé l’emploi de l’ère chrétienne qu’ils notaient da Mchiho (du Christ) ou Mchihoyto (chrétienne) ou encore Kristionto.

Les notes marginales

C’est surtout sur les folios à peinture, dans les marges des Canons de Concordance, que se trouvent les interventions des patriarches maronites. Certaines sont purement explicatives, servant de légende à une illustration, tandis que d’autres vont de la plus dérisoire donation d’huile d’olive aux faits historiques les plus marquants.

Ces textes datés avec précision, mentionnent les patriarches Daniel III de Hadshit (1278-1282), Jérémie III de Dmalça (1282-1297), Jean XI de Gége (1404-1445), Jacques III de Hadat (1445,1468), Pierre VI de Hadat (1468-1492) et Siméon V de Hadat (1492-1524).

Folio 2 R°

Dans le folio 2 R°, présentant Ammonius d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée, nous pouvons lire leurs noms inscrits en rouge en caractères estranguélo carré: Amonios Alexandroio et Ousebios Qosroio. Mais c’est en bas du folio que figure l’inscription postérieure en encre noire et en caractères serto (cursifs). Ce texte garshouné a été rajouté au XVe siècle au monastère patriarcal de Qannoubine. Daté selon l’ère des Grecs, il dit:

À la date de l'an 1771 (1460 AD), la femme du Mqadam (chef) Qamar (...), que Dieu tout-puissant les protège, Amen, cette femme bienheureuse a offert au monastère de Qannoubine, de son argent et de ses biens propres, la somme de 800 écus.

Folio 14 R°

Le folio 14 R° représente le Christ trônant. Son inscription rajoutée probablement à la fin du XIVe siècle, est indéchiffrable depuis qu’elle a été tronquée par le couteau d’un relieur. Le texte, un mélange de syriaque et de garshouné, ne conserve que le début de chaque ligne:

(Au nom) de Dieu l'Éternel (...) jour de la fête du synode, au mois de

(...) Georges du Village de Kfar (...) oliviers (…) a légué (...) soixante-quinze plants (...) d’oliviers (...) village (...) et il y avait

(...) mille sept cent dix (...) d’Iskandar (d’Alexandre) Le Grec (soit 1398-1399 AD)

(...) fils de (...) village de Bsharré (...) le prêtre Sarguis (Serge) du village de Hadshit (...) le prêtre Moussa (Moïse) du village de Bqoupha (...) le misérable (humble) parmi le clergé (...) au nom d'un prêtre du village de Hadshit.  

Que Dieu prenne pitié de (...) dans ce lègue... 

Folio 6 V°

La triple arcade du folio 6 V° représente le Deuxième Canon. Son illustration dans la marge de gauche, sous Sophonie, a été effacée pour laisser place au texte du patriarche Jérémie de Dmalça (1282 et 1297), allié et protecteur de Bohémond VII, comte de Tripoli. Emmêlé dans des guerres intestines contre ses cousins de Gibelet (Byblos), le comte avait grand besoin de la protection de l’Église maronite. Pour s’assurer son intercession en sa faveur à Rome, Bohémond VII avait usé de son influence pour faire élire Jérémie au siège patriarcal. C'est d'ailleurs ce que nous apprend le texte syriaque noté en caractères estranguélos:

L'an 1590 des Grecs (1279 AD), le 9 du mois de Shvot (février), moi, l'humble Jérémie du village bénit de Dmalça, je suis venu au monastère de Notre-Dame Sainte-Marie de Mayphouq, dans le val d’Ilige, dans la terre de Botroun auprès de Mor Pétros, patriarche des maronites, et j'ai été ordonné par ses saintes mains métropolite du monastère de Kaphtoun, qui est construit auprès du fleuve. Et j'y suis resté quelques temps; à l'époque, des moines habitaient le monastère. C'était Ézéchiel et Jean et le moine Daniel et le moine Isaïe et le moine Josué... et Elie, et le moine David, et les autres au nombre de trente-deux. Après quatre ans, le roi (Bohémond VII) de Guebel (Byblos) avec les évêques, les archiprêtres et les hiéromoines me demandèrent et jetèrent le sort. Il tomba sur moi, et on fit de moi le patriarche au saint monastère de Halat. Ensuite on m'envoya à la grande ville de Rome et je laissais notre frère l'évêque Théodoros pour administrer et exhorter le troupeau.

Folio 7 V°

Le Quatrième Canon du folio 7 V° présente également une composition en triple arcade. Au milieu de la marge de gauche, la scène a été effacée pour laisser place au texte du patriarche Pierre III qui a opté pour une écriture serto cursive. Il a écrit en garshouné:

L'an 1465 des Grecs (1154 AD), le 8 du mois d'Ilûl (septembre), est venu chez moi, Pierre, patriarche des maronites, siégeant sur le trône d'Antioche, au couvent de Notre-Dame de Mayphouq dans le Val d'Ilige, le jeune moine Isaïe du monastère de Qozhaya, et je l'ai fait supérieur des moines du couvent Saint-Jean de Kûzvandû dans l'île de Chypre, selon la lettre qu'il m'a apportée écrite par les moines, à savoir le moine Gabriel et son compagnon le moine Simon et le moine Habacuc et le moine Michel. À Dieu la gloire, Amen.

Folio 12 R°

Toujours en triple arcade, le Dixième Canon du folio 12 R° représente dans la marge de droite, la trahison de Judas, et à gauche le suicide de Judas. Une note maronite tardive est venue rajouter une légende en langue syriaque et caractères serto. Elle dit:

Judas l'Iscariote alla s'acheter une corde et se pendit à un figuier.

Folio 8 R°

Dans le folio 8 R°, le Cinquième Canon exige une composition à quatre arcs. Le texte de droite, en langue syriaque, est l'œuvre du patriarche Jean VIII. Son écriture – ou celle du scribe – est en caractères serto assez habiles. Il écrit:

L'an 1550 (1239 AD), moi, Pétros (Pierre est son titre patriarcal), patriarche des maronites, siégeant sur le trône d'Antioche, appelé Jean du village de Gége, et habitant le monastère béni de Notre-Dame de Mayphouq, est venu chez moi, mon frère du monastère de Kûzvandû (Chypre), dont le nom est Qaso Mataï (hiéromoine Matthieu), vénérable et chaste. Et il a reçu de moi trois cents dinars et une fiole de Myron (Saint Chrême) pour le monastère. Il a pris en plus un livre de la loi mosaïque (...), ainsi que la Loi et le Livre de la Foi. À Dieu la gloire, Amen.

Folio 11 V°

Le Dixième Canon contient des passages du Nouveau Testament qui ne sont rapportés que par saint Marc. Il ne nécessite par conséquent qu'une seule liste numérique pour les citer. C’est ce qui explique sa composition à arcade unique que nous retrouvons au folio 11 V°. 

La petite inscription de gauche est relative à une cuve offerte au monastère. Le récit est développé dans l'inscription de droite et dans le texte réparti en deux colonnes sous l'arc. Nous y lisons alors en garshouné:

En l'an 1772 des Grecs (1461 AD), l'archiprêtre Georges et l'archiprêtre Hilel qui résident au couvent de Hawqa, ont légué en bien de mainmorte, par leur travail et leur peine, au monastère béni de Qannoubine, une grande cuve, et en ont fait un souvenir de leur part dans ce monde et la fin des temps. Que Dieu les bénisse. Amen. (...) Ainsi fut accomplie cette donation au temps de notre père, maître, chef, couronne et administrateur, le patriarche Mar Jacques, que Dieu le bénisse et que lui, nous bénisse par la grâce de Dieu. Amen.

Page de texte

Il existe également des notes maronites réparties sur les pages de texte. Elles sont marginales et concernent généralement des actes de donations. Elles représentent cependant, de manière indirecte, un intérêt historique en évoquant des personnalités de l’époque. L'une de ces notes, remontant au début du XVIe siècle, mentionne à la fois le pape Léon X, le patriarche Pierre VI de Hadat, le moine François de Jérusalem, et le Mqadam Joseph.

En l'an 1827 des Grecs (1516 AD), le pape de Rome (Léon X) a envoyé au patriarche Pierre fils de David, connu comme fils de Hassan (Pierre VI), du village de Hadat, par l'entremise du moine François, supérieur de Jérusalem et son interprète, une nappe d'autel et un gant brodé (...), des ornements sacerdotaux brodés en or (...), une chasuble brodée en or et en argent, deux chapes brodées et une mitre incrustée de perles, trois costumes en drap, deux autres pour Élie, fils du Mqadam (chef) Joseph, et dix costumes en drap pour les moines du couvent.

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