Que veut Nawaf Salam?
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Le mouvement giratoire du Premier ministre désigné nous laisse perplexes quant à sa vision des choses, s’il en a une. Les vertus de thaumaturge qu’on lui attribue relèvent de la divagation et de la lassitude qu’éprouvent les Libanais à l’égard des oligarques qui ont pillé ce pays. Après 35 ans d’exploitation sans commune mesure, ils avaient du mal à croire à la possibilité d’un changement quelconque dans un pays où les verrouillages oligarchiques se sont emparés de part en part de tous les secteurs politiques, économiques et sociaux. 

Il s’agit d’une véritable colonisation de l’espace public et de l’imaginaire politique réduits aux conditionnements d’une classe politique dépravée et sans scrupules. Les actes de rébellion n’ont jamais remis en cause les règles de fonctionnement de la vie publique et l’état anomique qui lui est consubstantiel. Ces sursauts sont aussi éphémères que la culture politique alternative qui devrait servir de substitut à cet état d’avilissement moral qui rend impossible l’idée même d’État de droit.

Cet élan politique n’a rien à voir avec les mérites politiques du personnage. Son parcours indûment prolongé aux Nations unies et à la Cour de justice internationale ne s’est pas distingué par des actes diplomatiques et juridiques hors normes, alors que ses prises de positions idéologiques à l’endroit de la question palestinienne se sont alignées sur le bilan désastreux des formations politiques qui n’ont pas avancé d’un iota les chances d’un règlement négocié et final à ce conflit pérenne, comme s’il s’agissait d’une fatalité dont il fallait s’accommoder. 

Sa réapparition sur la scène politique libanaise ne s’est pas démarquée de ses habitus idéologiques et de ses calculs politiques qui s’inscrivent dans les interstices de ses prises de position idéologiques, de la recherche prioritaire d’accommodement avec les fascismes chiites et de la marginalisation intentionnelle du camp souverainiste représenté principalement par les mouvances politiques en milieu chrétien. Les critères de discrimination sont saillants et sans nuances. Comment peut-il se départir des normes de civilité politique et de concorde civile en adoptant une politique résolument conflictuelle et peu soucieuse d'équité sans engendrer des effets pervers?  Autrement, le mutisme du président de la République à cet endroit donne libre cours à des supputations qu’il gagnerait à expliciter.

Sa démarche s’est structurée au croisement des choix idéologiques induits par son “palestinisme” (Edward Saïd) et de ses retranscriptions politiques, et au mépris des équilibres systémiques qui devraient sous-tendre la gouvernance démocratique. Il passe outre le bilan désastreux de la politique de domination chiite, des cycles de conflits ouverts qu’elle a institués, de ses effets dévastateurs tous azimuts et de la pulvérisation de l’État de droit. Outre le manque de courage vis-à-vis de la milice meurtrière, les considérations idéologiques prenaient le pas sur les impératifs souverainistes constamment décalés par rapport au diktat du “palestinisme”. La lutte sans fin contre Israël dévalorise inévitablement la souveraineté étatique et avalise les extraterritorialités qui en ont excipé pour s’installer au cœur du paysage politique tourmenté et de ses dérives meurtrières.

La démarche tortueuse et ses insinuations s’expliquent par la hiérarchisation des priorités politiques et des acteurs qui font fi de la donne stratégique qui a rendu possible la mutation politique virtuelle au Liban. La contre-offensive israélienne explique à elle seule la destruction de la plateforme opérationnelle de la politique impériale iranienne, l’élimination de ses mandataires et le changement de la donne politique dans les pays jadis colonisés par la politique de puissance iranienne. La politique d’arbitrage imposée par la communauté internationale et ses mandats stipulés par les résolutions internationales (1701, 1680, 1559) sont des passages obligés si on veut restaurer la paix et s’extraire aux dynamiques conflictuelles générées par la politique de puissance iranienne et ses instrumentalisations.

La démarche politique en cours opère en vase clos et fait l’impasse sur les enjeux du désarmement du Hezbollah et de ses adeptes, du monopole de la violence étatique et de la fin des extraterritorialités politiques et militaires. La politique d’oblitération est un choix aussi bien idéologique que stratégique dont le processus de reconstruction ne peut s’accommoder. Sinon, les leçons répétitives des dynamiques meurtrières qui s’étalent sur six décennies supposent des retournements majeurs qui doivent se structurer autour du projet de la paix abrahamique et de ses modulations libanaises. Il n’est plus question de trêve intérimaire et de lignes de démarcation à géométrie variable, la conclusion d’un accord de paix avec Israël est désormais un objectif politique incontournable et atteignable.

Le chapitre réformiste est structurellement lié à la stabilité géopolitique dont le Liban est dépourvu depuis si longtemps. Le schéma des “conflits continus” mis au point par le Hezbollah et ses émulateurs inscrit dans un continuum la politique de domination, la criminalité organisée et le terrorisme. Il est impossible de s’atteler à la résolution des problèmes économiques et sociaux sans saisir les interdépendances qui sont à l’origine de la délinquance qui en définit les registres de déploiement. La réforme passe par la normalisation du pays et par le régime international de pacification et de reconstruction des paramètres étatiques, des règles de civilité et des contrats sociaux. Or le schéma politique en cours ne semble pas cadrer avec ces attentes.

 

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