
Pour ceux qui étaient encore incrédules et ne parvenaient pas à admettre la réalité, le doute devrait avoir été levé au cours des derniers jours. Le Hezbollah a clairement apporté une nouvelle preuve – s’il en était encore besoin – que son projet politique et sa ligne de conduite sont l’antithèse de l’entreprise d’édification d’un État central, rassembleur et souverain. Plus que jamais, les Libanais sont confrontés à une alternative existentielle: la présence d’un État fort rétablissant son autorité sur chaque parcelle du territoire national; ou l’aventure guerrière, et suicidaire, d’un mini-État milicien volontairement soumis au diktat des Pasdaran…
Le Hezbollah a démontré une fois de plus qu’il ne “joue” pas sur le terrain libanais, mais exclusivement sur celui des mollahs de Téhéran. Or, comme en sport, deux factions qui ne jouent pas sur le même terrain ne peuvent en aucun cas évoluer ensemble, interagir, être en compétition dans le cadre d’une même partie qui se jouerait sur une base loyale, conformément à des règles préétablies, agréées de part et d’autre. Dans notre cas de figure, le parti pro-iranien obéit à une logique, à une raison d’État définie par les Gardiens de la révolution iranienne, ce qui le place radicalement à l’antipode de toutes les autres composantes politiques – et communautaires – libanaises.
Nul n’est dupe. L’affaire de l’avion iranien qui n’a pas été autorisé à s’envoler pour Beyrouth ne constitue que la partie visible de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt. La partie invisible de l’iceberg revêt un tout autre aspect, à caractère fondamentalement stratégique. Preuve en est que ce n’est nullement la première fois qu’un avion de la compagnie iranienne – propriété, soit dit en passant, des Pasdaran – se voit empêcher d’atterrir à l’aéroport Rafic Hariri. Le cas s’était présenté en septembre dernier lorsque le cabinet Mikati était encore aux commandes. Ironie du sort: c’était le ministre hezbollahi des Travaux publics et du Transport Ali Hamieh qui avait alors interdit à l’avion iranien de se poser à Beyrouth! Les agités du Hezbollah n’avaient pas cru bon, à l’époque, d’agresser un convoi de la Finul et des unités de l’armée ou de décharger un camion de détritus à quelques mètres de l’aéroport, tout en enflammant des pneus pour tenter d’empêcher l’accès à l’AIB…
Il ne faut pas s’y méprendre. La partie invisible de l’iceberg dans cette fausse affaire de l’appareil iranien constitue un grave défi pour le mandat du président Joseph Aoun, pour le cabinet Salam et, d’une manière générale, pour l’ensemble des factions politiques et de la population libanaise.
Le régime des mollahs cherche aujourd’hui à réitérer le sabotage de 2006, lorsque les Pasdaran, par le biais du Hezbollah, avaient provoqué le 12 juillet une guerre contre Israël pour stopper la dynamique souverainiste enclenchée par le 14 Mars. À la différence près que sa tête de pont au Liban n’est plus en mesure de croiser le fer avec l’armée israélienne après la cuisante défaite et le cataclysme de ces derniers mois. C’est donc sur le front interne que le Hezb, télécommandé par Téhéran, joue la carte du torpillage du nouvel ordre qui s’est instauré au Liban et dans la région en essayant de discréditer le chef de l’État, le gouvernement et, surtout, l’armée libanaise.
En complément de la stratégie de déconstruction de l’État entamée patiemment au lendemain de la Révolution du cèdre de 2005, le parti de Dieu s’emploie d’entrée de jeu, dès le début du mandat Aoun, à remettre en cause la nouvelle dynamique d’édification de l’État et de rétablissement de l’autorité du pouvoir central. La manœuvre est locale, mais l’enjeu est régional. Afin de compenser leurs revers au Moyen-Orient, les maîtres de Téhéran tentent de remonter la pente en essayant de placer plusieurs fers au feu: remettre sur pied sans tarder le Hezbollah et torpiller simultanément, dès le départ, son antithèse, l’État libanais; rejouer en temps opportun la carte des milices irakiennes pro-iraniennes (la “mobilisation populaire”); déstabiliser le nouveau pouvoir en Syrie par le biais d’attentats terroristes et, surtout, par la récupération de cellules dormantes et de bandes djihadistes ou des groupes nostalgiques du clan Assad.
Dans cette foire d’empoigne, une réalité s’impose sur un double plan: au niveau local, d’abord, toute attitude en demi-teinte, toute demi-mesure et concession face aux tentatives de déstabilisation en cours auraient pour conséquence inéluctable de redynamiser l’obstructionnisme et l’expansionnisme des Gardiens de la révolution islamique; et dans le même temps, au niveau du Moyen-Orient, tout répit ou sursis accordé à l’aile radicale du pouvoir iranien remettra en cause le nouvel ordre géostratégique et la dynamique de paix tant attendue dans la région.
Plus que jamais aujourd’hui, deux grands projets de société s’opposent dans cette partie du monde: l’obscurantisme d’un autre âge, accompagné d’aventures guerrières sans horizon entretenues par des stratégies de l’irrationnel; ou une prospérité bien méritée dont les populations ont été trop longtemps privées. Dans le contexte présent, tout signe de faiblesse, toute compromission honteuse, ferait pencher la balance dans le mauvais sens de l’Histoire.
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