
Les développements majeurs de ce week-end, en commençant par le clash devenu mythique entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le duo américain Donald Trump et J.D. Vance, ont rebattu, sans grande surprise, les cartes de l’ordre mondial, notamment en Europe.
Le Vieux Continent, qui avait perdu l’habitude des guerres sur son territoire depuis plusieurs décennies, fait face depuis 2022 – et même 2014 – aux velléités d’expansion de Moscou. Après un soutien indéfectible depuis 2022 sous Joe Biden, les États-Unis changent de cap, au grand dam de leurs alliés européens et sous les applaudissements du Kremlin. Alors que l’idée d’une Ukraine souveraine et indépendante semble se dissiper, les pays européens devraient se préparer au lendemain. Que faire en cas d’attaque ou d’expansion russe? Pourraient-ils l’empêcher et/ou la contrer?
Unus pro omnibus, omnes pro uno?
Une attaque russe contre un pays européen devrait, en théorie, entraîner une réaction des autres États occidentaux, notamment s’ils font partie d’une alliance, comme l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). Partant, une attaque contre l’un des pays baltes – l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie – tous membres de l’Otan, pousserait les États de l’alliance, selon l’article 5 du traité de fondation, à “prendre aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord”.
Unus pro omnibus, omnes pro uno. Un pour tous et tous pour un. Un principe de solidarité au cœur même de l’alliance transatlantique créée en 1949 pour notamment endiguer l’expansionnisme soviétique. Tant que ce principe est toujours d’actualité et que les 32 États de l’Otan – les États-Unis en tête – sont prêts à soutenir un pays agressé, les risques d’un conflit de haute intensité en Europe sont très faibles, voire inexistants. Donald Trump a, jeudi, affirmé son “soutien” à l’article 5 de l’Otan lors d’une conférence de presse conjointe avec Keir Starmer, Premier ministre britannique. Il serait difficile d’imaginer un scénario dans lequel la Russie de Vladimir Poutine décide d’attaquer frontalement un membre de l’Otan, sachant clairement que les alliés, Donald Trump en tête, répliqueraient.
Mort cérébrale 2.0 et parapluie nucléaire européen
En novembre 2019, le président français, Emmanuel Macron, considérait que l’Otan était dans un état de “mort cérébrale” et déplorait “le manque de coordination stratégique” entre les États-Unis de Donald Trump et les Européens.
En réponse au futur chancelier allemand, Friedrich Merz, qui souhaitait que l’Europe soit prête “au pire scénario” – soit une Otan sans garantie américaine, le président français a ravivé le débat sur la dissuasion nucléaire européenne, envisageant une protection du continent reposant sur les capacités franco-britanniques.
Tandis que le couple franco-britannique Macron-Starner semble battre de l’aile ces derniers jours, la dissuasion nucléaire, européenne ou transatlantique, ne peut pas à elle seule protéger le Vieux Continent, puisque l’autre camp, la Russie, détient également la bombe atomique et en bien plus grande quantité. Les experts estiment à environ 5.500 le nombre de têtes nucléaires russes, contre 290 pour la France et 225 pour le Royaume-Uni. Même si toutes les ogives russes ne sont pas opérationnelles, toute attaque russe sur le continent européen ne pourrait déclencher une réponse nucléaire franco-britannique, car une telle riposte risquerait de provoquer un échange de têtes nucléaires qui irradierait l’Europe et la rendrait invivable pour les décennies à venir. En d’autres termes, une destruction mutuelle assurée.
Une défense européenne (dés)unie
La capacité d’un pays – ou d’une coalition de pays – à se défendre dépend de plusieurs critères, notamment les capacités militaires et civiles, les alliances et surtout la volonté politique.
En septembre 2024, Vladimir Poutine a décidé de porter les effectifs de l’armée russe à 1,5 million d’hommes, un nombre équivalent à celui que peut mobiliser l’Europe. Plusieurs États de l’Union européenne (UE) comptent plus de 150.000 militaires actifs: la Pologne (216.000 soldats), la France (200.000), l’Allemagne (181.000) et l’Italie (165.000). À cela s’ajoutent l’Espagne avec plus de 100.000 militaires et le Royaume-Uni, avec plus de 70.000 soldats, bien que ce dernier ne fasse plus partie de l’Union européenne (UE).
Mais est-ce qu’à nombre équivalent, force équivalente? La question se pose notamment si, face à l’armée d’un seul pays avec un commandement bien défini, une coalition européenne peut s’organiser sans la structure de commandement de l’Otan. Quel pays commanderait l’armée de 27 pays, sans compter les autres États, comme le Royaume-Uni ou la Finlande, qui pourraient décider d’entrer en guerre? Ou chaque État se battra seul en fonction de ses propres intérêts, en oubliant les intérêts européens?
Bien que les armées européennes organisent des manœuvres militaires conjointes et soient côte à côte sur plusieurs terrains d’opérations, tant que l’Europe (et plus particulièrement l’UE) n’a pas mis en place une structure de commandement clair et qui peut être rapidement déployé, celle-ci risque de s’emmêler les pinceaux, vu le fonctionnement actuel des institutions européennes, où les décisions nécessitent l’unanimité des 27 États membres.
Une industrie pas à la hauteur
“Si l’Europe veut survivre, elle doit s’armer.”- Donald Tusk, Premier ministre polonais, 22 janvier 2025
En termes de budget militaire, les 27 ont accru leurs dépenses militaires depuis février 2022, pour atteindre les 457 milliards de dollars en 2024, soit 5 milliards de moins que la Russie, selon “The Military Balance 2025”, le rapport annuel de l’Institut international d'études stratégiques (IIES), un think tank britannique. Une augmentation de 30% en trois ans selon le Conseil de l’UE, mais qui ne permet pas nécessairement de palier, d’une part, le retard accumulé ces dernières décennies en raison des politiques de désarmement des Européens, qui comptaient sur la garantie sécuritaire américaine, et d’autre part, l’absence d’une véritable politique européenne de défense. Il ne s’agit pas seulement d’effectifs et de tactique sur le terrain, mais aussi d’une vision commune en termes de besoins, de compatibilité entre les différentes armées et de mutualisation des coûts. Selon différentes sources, moins de 20% des investissements européens sont mutualisés entre les États. Cela signifie non seulement que les Européens ne tirent pas parti de leur poids commun pour négocier et économiser, comme cela avait été le cas pour l’achat des vaccins contre la Covid-19, mais aussi que chaque État investit selon ses propres besoins, sa propre structure et son propre matériel.
Par ailleurs, l’industrie de l’armement européen peine à suivre les besoins depuis 2022, que ce soit en termes de rapidité de production ou en termes de qualité. Plus de 60% – 80% selon des estimations pessimistes – des achats militaires européens se font auprès d’entreprises américaines. Le cas de l’Allemagne d’Olaf Scholz qui se procure des avions de combat F-35 américains alors que son pays fait partie du consortium qui produit l’Eurofighters, tandis que son voisin, la France produit le Rafale, n’en est qu’un exemple flagrant.
La dépendance de l’Europe par rapport aux États-Unis et à l’Otan au cours de ces soixante-quinze dernières années a fragilisé le poids militaire européen commun. Même si depuis les années 1950, l’idée de défense européenne commune a plusieurs fois été remise sur le tapis, ce dossier n’a pas été véritablement abordé politiquement, notamment par le tandem franco-allemand.
Les changements drastiques dans l’ordre mondial pousseront-ils les Européens à se voir non plus uniquement comme un marché commun, mais comme une communauté capable de se défendre sans l’aide d’une superpuissance ? Ou faudra-t-il attendre qu’un autre pays du Vieux Continent soit envahi pour y réfléchir?
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