
Souvent décrit comme un groupe inféodé à l’Iran comme le Hezbollah au Liban, le mouvement houthi est pourtant à la base très éloigné des préoccupations iraniennes. Bien qu'ils partagent une appartenance commune au chiisme, les Houthis (de leur vrai nom “Ansar Allah”) sont d’obédience zaïdite, contrairement aux Iraniens chiites qui suivent le dogme duodécimain.
Pourtant, leurs liens vont se renforcer au fur et à mesure des années, notamment durant la guerre de Saada débutée en 2004, puis durant la guerre civile yéménite marquée par l’intervention de l’Arabie saoudite en 2015.
Du religieux à la politique
Après la révolution islamique de 1979, l’Iran va chercher à développer et approfondir ses relations avec les différents groupes et branches du chiisme de la région. L’objectif à terme est de disposer de plusieurs relais dans les pays arabes où les chiites sont minoritaires (Liban, Syrie, Yémen) ou majoritaires, comme en Irak. Les premiers contacts entre les Houthis et l’Iran remontent aux années 1980 et 1990.
“Il y a eu plusieurs voyages réguliers de la famille et de membres de la milice clanique al-Houthi en Iran à Machhad et à Qom”, souligne David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques et spécialiste du Moyen-Orient. “Ces visites ont eu une incidence sur la transformation du logiciel zaïdite. Car à la base, il n’y a pas de liens organiques entre le zaïdisme yéménite et le chiisme duodécimain iranien”, poursuit-il.
Le zaïdisme est un courant du chiisme qui reconnaît cinq imams et qui diffère profondément du chiisme duodécimain. Les zaïdites sont en effet les chiites les plus proches des sunnites sur le plan doctrinal. D’abord davantage religieuses, ces visites vont devenir plus politiques. “Au fil de ces contacts, il y a eu une transformation idéologique”, note David Rigoulet-Roze. “On le voit notamment avec la reprise quasi mot pour mot du slogan du Hezbollah : ‘Dieu est grand, mort à l'Amérique, mort à Israël, que les juifs soient maudits, victoire à l'islam’”.
Si leurs liens religieux restent faibles, les zaïdites partagent néanmoins avec les autres chiites une idéologie basée sur le sentiment d’oppression et d’injustice. En effet, après l’unification du Yémen en 1990, les zaïdites sont devenus minoritaires, ne représentant plus que 35% de la population, ce qui a entraîné une perte de leur influence et de leur pouvoir politique, notamment au nord du Yémen. Ils se sentent également menacés par les tentatives saoudiennes de propager le wahhabisme dans leur région. Fort de ce constat, le mouvement houthi va chercher à regagner de l’influence.
Support durant la guerre de Saada
La guerre de Saada, débutée en 2004, va renforcer les liens entre les Houthis et l’Iran. Les Houthis se sentent alors marginalisés par le gouvernement yéménite et réclament plus d’autonomie, ce que ce dernier leur refuse. En outre, l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis va accroître leurs accointances idéologiques, basées sur l’opposition à l’impérialisme américain et au sionisme.
Durant la guerre de Saada, l’Iran est alors accusé de soutenir le mouvement à travers l’envoi d’armes et d’argent, notamment grâce à la présence de la “quatrième flotte” iranienne dans le golfe d’Aden. L’interception en 2009 de cargaisons d’armes, notamment à bord du navire iranien Mahan I puis du navire Jihan 1 en 2013, va renforcer les soupçons du gouvernement yéménite quant au soutien iranien aux Houthis. Téhéran aurait également au cours des années 2000 organisé des camps d’entrainement pour les Houthis afin de les former à la guérilla urbaine et dans les zones montagneuses. Un soutien matériel et militaire formellement démenti par Téhéran, qui accroît cependant son appui politique aux Houthis.
Selon le gouvernement yéménite de Ali Abdallah Saleh, l’Iran utilisait des groupes caritatifs comme la Communauté internationale d’Ahl-al-Beyt et l’Organisation de la culture et des relations islamiques pour envoyer des agents chargés de soutenir et d’aider les Houthis. L’objectif était également de répandre les principes de la République islamique. Un objectif facilité par la chaîne de télévision iranienne Al-Alam lancée en 2003, qui diffuse ses programmes en langue arabe et va soutenir le combat des Houthis au Yémen.
Le support iranien durant la guerre de Saada semble cependant avoir été assez marginal, d’autant que l’Iran était déjà largement engagé sur les fronts syrien et irakien, et souffrait des sanctions internationales. La guerre civile yéménite va les inciter à développer leur soutien et les Houthis vont devenir prépondérants dans “l’axe de la résistance”.
Lutter contre l’intervention saoudienne
Après la prise de Sanaa en 2014 par les Houthis, l’intervention de l’Arabie saoudite en 2015 va constituer un tournant majeur dans les relations entre l’Iran et le groupe. En effet, l’Iran souhaite limiter l’influence régionale de son rival saoudien et éviter l’affaiblissement de son allié au Yémen. D’autant que ce dernier lui assure une influence plus grande dans la mer Rouge, zone hautement stratégique et essentielle pour le commerce international. De plus, l’instrumentalisation politique par l’Arabie saoudite de l’opposition chiite/sunnite va confessionnaliser le conflit et, de fait, pousser les Houthis dans les bras du parrain iranien.
Si les Iraniens ont toujours démenti aider militairement les Houthis, les États-Unis et l’Arabie saoudite les accusent d’avoir fourni des armes légères et des renseignements dès le début du conflit. “Le Yémen offrait un théâtre d’action pour l’Iran”, souligne David Rigoulet-Roze. “Les Iraniens ont envoyé des cadres du Hezbollah auprès des Houthis, il y a aussi eu l’envoi de membres des pasdarans. Mais l’Iran voulait éviter de laisser des preuves d’une intervention directe iranienne, donc ils ont privilégié l’envoi de cadres du Hezbollah, ce qui était plus facile et moins repérable car ils sont arabophones. Donc, il y a eu une forme de 'hezbollisation' des Houthis qui s’est faite”.
Grâce à l’aide du Hezbollah et de l’Iran, les Houthis vont devenir une véritable armée capable de construire leurs propres usines d’armements en produisant des missiles et des drones. Ils assurent leurs productions grâce à l’envoi de pièces détachées iraniennes mais également grâce à la contrebande en provenance de Chine et de Corée du Nord. Ces informations ont été confirmées par un rapport confidentiel des Nations unies cité par Reuters en 2024, qui affirme que “les multiples témoignages recueillis par le panel d'experts militaires, de responsables yéménites et même d'individus proches des Houthis, indiquent qu'ils n'ont pas la capacité de développer et de produire, sans soutien étranger, des systèmes d'armes complexes”, tout en soulignant le soutien des Iraniens et du Hezbollah.
Avec le déclenchement de la guerre à Gaza, l’Iran aurait également apporté un soutien logistique aux Houthis et assuré leur formation pour cibler les navires en mer Rouge. Selon le quotidien britannique The Telegraph, au moins 200 Houthis ont été formés à la Khameini Academy of Naval Sciences and Technology sur la côte Caspienne en 2020. Ils auraient reçu une formation navale sous la supervision de la force Al-Qods, unité d'élite du Corps des gardiens de la révolution islamique. En outre, l’Iran guiderait le ciblage des navires étrangers grâce au navire Behshad qui stationne en mer Rouge depuis 2021. Sous l’apparence d’un navire de commerce, il remplirait des missions d’espionnage et d’identification des navires, selon les experts internationaux. Dans une interview en 2023, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, Adrienne Watson, estimait que sans aide de l'Iran, les Houthis “auraient du mal à repérer et frapper” les bateaux circulant en mer Rouge.
S’il existe un lien clair entre l’Iran et les Houthis, le mouvement yéménite n’est pas pour autant totalement inféodé à Téhéran. “Ce n’est pas un mandataire classique, les Houthis ne sont pas comme le Hezbollah par exemple, ils ont une identité spécifique et ils ont aussi un agenda qui s'inscrit sur l'échiquier national yéménite ; ils ne sont pas totalement indexés sur l’agenda iranien”, confirme M. Rigoulet-Roze. “Cela permet aux Iraniens de dire qu’ils sont autonomes. Ce n’est pas un proxy au sens classique du terme, mais c’est un proxy qui a sa propre logique et qui dépasse les considérations géopolitiques régionales iraniennes”, ajoute-t-il.
En effet, les Houthis suivent avant tout des objectifs nationaux, avec pour volonté de retrouver leur contrôle du nord du Yémen. Un objectif qu’ils poursuivaient déjà avant d’établir des liens forts avec l’Iran. Ils souhaitent également être reconnus par la communauté internationale comme des acteurs majeurs et légitimes de leur pays.
Ainsi, plutôt qu’un proxy iranien, les Houthis sont un mouvement distinct de Téhéran, mais qui collabore volontairement avec lui, tant pour leurs propres intérêts sur le plan interne que pour la convergence des luttes au sein de “l’axe de la résistance” sur le plan international.
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