
Au cœur de l’actualité internationale depuis l’intervention de l’Arabie saoudite au Yémen en 2015 et la guerre à Gaza, le mouvement houthi est pourtant à l’origine un groupe avec des ambitions et un agenda liés aux considérations yéménites.
De son vrai nom Ansar Allah (les partisans de Dieu), le mouvement s’est formé au nord du Yémen dans le gouvernorat de Saada, foyer des chiites zaïdites du pays. Il tient son surnom de la famille Al-Houthi qui a fondé le mouvement dans les années 1990. Une appellation que ses partisans rejettent, car ils se considèrent comme un mouvement national et non une entreprise familiale.
Au cœur des montagnes de Saada
Le mouvement trouve ses racines dans la création en 1992 du forum des jeunes croyants, une organisation culturelle et religieuse d’idéologie zaïdite, fondée par Hussein Badreddine al-Houthi et Mohamad Azzane. Le zaïdisme est un courant du chiisme qui prône la reconnaissance de cinq imams et dont le dogme est le plus proche de l’islam sunnite. Initialement, le forum se concentrait sur la préservation de l’identité et des droits des zaïdites, qui se sentaient marginalisés par le gouvernement yéménite.
En effet, lors de l’unification du Yémen en 1990, les zaïdites sont devenus minoritaires, ne représentant plus que 35% de la population désormais majoritairement sunnite. Une perte du pouvoir et d’influence significative, alors que le nord du Yémen a été dirigé pendant plus d’un millénaire par l’imamat zaïdite, un régime politico-religieux qui a perduré à travers les époques de différentes manières, de 890 à 1962, date du début de la guerre civile du Yémen du Nord.
D’autant que les zaïdites ont été nombreux à soutenir durant cette guerre civile les forces royalistes de l’ancien régime contre les partisans de la République qui ont pris le pouvoir en 1962. Après cette défaite, la province de Saada a, de fait, peu profité des politiques de développement de la nouvelle République du Yémen du Nord – un phénomène qui s’est encore accentué avec l’unification des deux Yémen. À cela s’ajoute l’irruption du wahhabisme saoudien qui a cherché à s’étendre dans le pays, renforçant les craintes des zaïdites d’être marginalisés. C’est dans ce contexte que le mouvement mené par Hussein Badreddine al-Houthi prend de l’ampleur.
Le Yémen est alors dirigé par Ali Abdallah Saleh et les relations sont loin d’être bonnes entre les deux. Outre la marginalisation des zaïdites, Hussein Badreddine al-Houthi reproche au gouvernement yéménite de collaborer avec les États-Unis dans le cadre de la lutte antiterrorisme initiée après les attentats du 11 septembre 2001. En réponse, il appelle à un renouveau de la croyance zaïdite et à la lutte contre l’influence américaine dans le monde arabe et musulman. Ce rejet de l’hégémonie occidentale s’est accompagné d’appels à une plus grande autonomie pour la région de Saada, se traduisant notamment par des manifestations.
Le gouvernement yéménite va y répondre en intensifiant la répression contre le mouvement dans les années 2000, en témoigne l’arrestation de 640 de ses partisans le 18 juin 2004, alors qu’ils manifestaient près de la Grande Mosquée de Sanaa. En réaction, le groupe se radicalise et s’engage dans la lutte armée, un tournant exacerbé par la mort de son leader le 10 septembre, tué par les forces gouvernementales. Son frère Abdul-Malik al-Houthi prend alors la tête du mouvement.
D’un groupe contestataire à une véritable armée
Durant la guerre de Saada débutée en 2004 contre le gouvernement de Ali Abdallah Saleh, les Houthis vont développer leur organisation et leurs armements. En se rapprochant de l’Iran et du Hezbollah en particulier, ils vont constituer une véritable armée capable de concurrencer le gouvernement yéménite. Une réalité qui va s’imposer en 2014 avec la prise de la capitale yéménite Sanaa.
Ils entament alors la construction d’un véritable État, financé par des impôts, des taxes et les revenus des ressources gazières et pétrolières. Ils profitent également des recettes douanières du port de Hodeïda. En dépit de l’intervention militaire de l’Arabie saoudite en 2015, les Houthis réussissent à maintenir leur contrôle sur le nord du pays et à développer un arsenal militaire sophistiqué, notamment des missiles et des drones.
Au fil des années, les Houthis ont établi un vaste réseau parmi les tribus du nord du Yémen. Ils ont également élargi leur soutien en établissant des superviseurs locaux dans les différentes zones qu’ils contrôlent.
Leurs détracteurs les accusent alors de vouloir faire revivre l’imamat zaïdite, ce qu’ils réfutent. Ils veulent en effet se présenter comme un mouvement de résistance nationale, opposé à la corruption des anciens gouvernements. “Ils veulent d’abord et avant tout consolider leur domination politique et militaire sur le Yémen”, souligne Thomas Juneau, professeur à l’université d’Ottawa et spécialiste du Yémen, “il y a bien entendu des parallèles entre leur vision et les différents types d’imamats qui ont dominé le Yémen par le passé, mais la situation aujourd’hui diffère néanmoins”.
Plus de la moitié de la population yéménite vit désormais sous le contrôle des Houthis. Leur leader Abdul-Malik al-Houthi va tenter de les convaincre qu’il représente un mouvement national et non sectaire, opposé à la corruption, aux attaques d’Al-Qaïda et en faveur d’une distribution équitable du pouvoir et du rétablissement de la sécurité. La population n’est alors pas forcément hostile à l’arrivée de ce nouveau pouvoir, d’autant que la sécurité s’est effectivement renforcée par rapport aux autres zones du Yémen. Ils vont également accroître leur popularité par l’intermédiaire de programmes sociaux.
Dix ans après la prise de Sanaa, le bilan de leur gouvernance reste cependant contrasté, alors que le Yémen est en proie à l’une des pires crises humanitaires du monde. “La gouvernance des Houthis est de plus en plus répressive et corrompue, alors que la situation économique demeure très difficile”, affirme Thomas Juneau, “il y a aussi de plus en plus d’opposition à leur règne, notamment dans les régions plus périphériques sous leur contrôle”. “Par contre, leur autorité demeure forte; leur capacité répressive et la division entre les groupes qui les opposent assurent que, pour le moment, ils ne sont pas sérieusement menacés”, ajoute-t-il.
Sans véritable rival capable de les renverser, les Houthis se sont imposés comme une force incontournable, tant au niveau national qu'international. La guerre à Gaza en particulier va renforcer leur prestige dans la région grâce à leurs attaques de missiles contre Israël et contre les navires en mer Rouge. Un statut qui éloigne la perspective d’une résolution du conflit yéménite. “Leur objectif demeure donc de vaincre le gouvernement internationalement reconnu et d’augmenter les territoires sous leur contrôle. Ils ne sont pas intéressés par un processus de paix qui mènerait à une réconciliation nationale ou à un gouvernement d’unité”, conclut Thomas Juneau.
Passés d'un groupe marginal à une force politique majeure, les Houthis ont su s’imposer au Yémen et sur la scène internationale. Ils ne restent néanmoins pas à l’abri d’une évolution du conflit au Yémen ni des dynamiques régionales particulièrement mouvantes.
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