
L’économie du Yémen est, depuis des décennies, à la fois un moteur et une victime du conflit. La richesse en ressources naturelles, en particulier le pétrole, a été un facteur de division et de tension entre le nord et le sud du pays. Alors que les différents acteurs locaux et étrangers exploitent cette situation à leurs propres fins, la population yéménite continue de subir les conséquences d’une économie en ruines.
Depuis des décennies, l’économie du Yémen joue un rôle crucial dans l’intensification des conflits qui ravagent le pays. En proie à une grande pauvreté, dépendante des ressources naturelles et marquée par une gestion inefficace, l’économie yéménite a été instrumentalisée par les différentes factions en présence, exacerbant les fractures internes et les ingérences extérieures.
L’économie du Yémen repose traditionnellement sur l’agriculture et les ressources naturelles. Avant l’unification en 1990, les deux Yémen adoptaient des modèles économiques distincts: le nord, agricole et tributaire de l’aide saoudienne, et le sud, plus industrialisé et soutenu par l’Union soviétique. Cependant, avec la chute de l’URSS, le sud perdit ses principaux soutiens financiers, précipitant l’unification. Cette intégration, chaotique et mal maîtrisée, renforça le sentiment de marginalisation du sud, culminant avec la guerre civile de 1994, qui accrut le contrôle du nord sur les ressources stratégiques du pays, notamment les champs pétroliers du sud.
Les ressources naturelles au cœur du conflit
Le Yémen possède des réserves pétrolières modestes mais stratégiques, notamment dans les gouvernorats de Marib, Chabwa et Hadramout. L’exploitation de ces ressources a longtemps alimenté les tensions, et dans les années 2000, le déclin de la production pétrolière, conjugué à une corruption endémique et une mauvaise gestion économique, aggrava la crise. L’économiste Ibrahim al-Kuhali note que “l’économie yéménite repose sur une rente pétrolière mal redistribuée, ce qui a accentué les inégalités entre le nord et le sud” (Yemen's Economic Challenges, 2014).
Lors de l’escalade du conflit en 2014, avec l’offensive des Houthis, le contrôle des infrastructures économiques devint un enjeu stratégique majeur. La prise de Sanaa par les Houthis en 2015 força le gouvernement reconnu à se replier à Aden, fragmentant ainsi davantage l’économie du pays.
Une économie de guerre au profit des belligérants
La guerre a exacerbé la crise économique, créant un système où les différents acteurs profitent du chaos. Les Houthis, par exemple, ont instauré une économie de guerre en taxant les biens de consommation et en détournant une partie de l’aide humanitaire. Le gouvernement basé à Aden dépend du soutien financier de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Les milices locales, quant à elles, contrôlent des points stratégiques et exploitent les réseaux économiques informels. Selon une étude de l’International Crisis Group (2022), “la guerre a transformé l’économie yéménite en un système où les groupes armés financent leurs opérations en exploitant les institutions étatiques et l’aide internationale”.
L'impact humanitaire et social
L’effondrement économique entraîne des répercussions dramatiques sur la population. La monnaie yéménite a perdu une grande partie de sa valeur, entraînant une hyperinflation. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 17 millions de Yéménites sont en insécurité alimentaire. Helen Lackner, dans Yemen in Crisis (2019), affirme que “l’économie yéménite est un champ de bataille silencieux où la population paie le prix de l’avidité des acteurs locaux et internationaux”.
Vers une sortie de crise?
Bien que le contexte demeure extrêmement dégradé, certaines initiatives visent à relancer l’économie. Les Nations unies et les ONG internationales tentent de reconstruire les infrastructures et de créer des opportunités d’emploi. Toutefois, sans une stabilisation politique et une meilleure redistribution des ressources, l’économie yéménite continuera de nourrir les divisions internes et d’alimenter le conflit.
Comme l’affirme l’économiste Rafat al-Akhali, “la reconstruction économique du Yémen nécessite une refonte totale du système politique, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets” (Chatham House Report, 2021). L’avenir économique du Yémen dépendra donc de sa capacité à surmonter ses fractures internes et à résister aux ingérences extérieures qui exploitent ses faiblesses structurelles.
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