La Ligue arabe, entre volonté d'unité et divisions de facto

Contrecarrer les projets de Trump et d’Israël concernant l’avenir de la bande de Gaza. C’est dans ce cadre que les dirigeants de la Ligue arabe se réunissaient mardi au Caire, au siège de l’organisation. À l’issue du sommet, ceux-ci ont ainsi adopté un autre plan pour la reconstruction de l’enclave, présenté par l’Égypte, d’un montant de 53 milliards de dollars.

Cet événement a été l'occasion pour les pays arabes de faire preuve d’une rare unité – ses membres étant davantage connus pour faire preuve de division. Toutefois, deux absences notables ont marqué cette réunion: celle du président algérien, Abdelmadjid Tebboune et, surtout, celle du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS).

À présent, une question d’envergure se pose: l’organisation sera-t-elle capable de pérenniser cette cohésion nouvellement trouvée et assurer la mise en œuvre de son plan? Ou bien ses vieux démons risquent-ils de refaire surface, alimentant à nouveau les divisions? Des questions qui nécessitent de comprendre en premier lieu la nature même de l’organisation ainsi que son histoire.

Désir d’unité

La Ligue arabe est une organisation régionale fondée le 22 mars 1945 au Caire, par l’Égypte, l'Irak, le Liban, la Jordanie, l'Arabie saoudite, la Syrie et le Yémen du Nord. Sa création est motivée par le désir d’indépendance et d’unité de ses membres, tandis que les idées panarabistes gagnent en influence au sein des populations arabes.

La création de cette organisation, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, répondait à la volonté des pays arabes d'affirmer leur unité face aux enjeux de l'époque, depuis la question de la décolonisation aux défis géopolitiques inhérents à la Guerre froide. Et, bien entendu, la question palestinienne, puis l’opposition au nouvel État d’Israël, créé en 1948, qui cristallise tous ces enjeux.

 Du moins, cette volonté d’indépendance cache une réalité plus timorée. Car la création de la Ligue intervient sous le parrainage de Londres, qui reste alors la principale puissance dans la région. En 1945, celle-ci contrôle, outre la Palestine mandataire, l’Irak, la Transjordanie et l’Égypte.

L’organisation accueille ensuite de nouveaux membres, au fil des vagues de décolonisation dans la région. L'adhésion de la Palestine en 1976, en tant que membre à part entière, renforce l’image de l'organisation en tant qu'acteur clé dans la défense des droits palestiniens.

Promouvoir la coopération

Aujourd’hui, la Ligue arabe regroupe 22 États arabes de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Son objectif principal est de favoriser la coopération entre ses membres dans divers domaines, tels que la politique, l'économie, la culture et la sécurité, tout en défendant les intérêts du monde arabe sur la scène internationale.

Parmi les missions essentielles de la Ligue arabe figurent la résolution des conflits entre les pays membres par des moyens diplomatiques, la promotion de la coopération économique à travers des accords commerciaux et d'investissement, ainsi que la défense des droits des Palestiniens et la recherche d'une solution au conflit israélo-palestinien.

L'organisation repose sur une charte qui établit le principe de souveraineté des États membres et encourage les efforts communs pour renforcer leur développement et leur indépendance. Elle est dirigée par un secrétaire général, élu par les États membres, qui supervise les activités de l'organisation.

Le Conseil de la Ligue, composé des ministres des Affaires étrangères des pays membres, est l'organe principal de prise de décision. Il se réunit régulièrement pour discuter des questions régionales et adopter des résolutions, celles-ci restant néanmoins non contraignantes.

D'autres institutions affiliées à la Ligue arabe incluent l'Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (Alesco), le Conseil économique et social arabe, ainsi que des agences spécialisées dans des domaines comme la santé et les télécommunications.

Une histoire mouvementée

Malgré cette ambition d’afficher une unité arabe intacte au fil des ans, la Ligue a rapidement fait face à de nombreux défis liés aux évolutions géopolitiques régionales. Les divergences d'intérêts entre ses membres ont freiné la mise en œuvre de nombreuses initiatives.

Ce fut notamment le cas des nombreux conflits qu’a connus la région. Dès la crise du canal de Suez, des divisions apparaissent: tandis que le Caire exige l’évacuation des troupes franco-britanniques, l’Irak et la Transjordanie se rangent du côté de Londres. Plus tard, les tentatives infructueuses de constituer une République arabe unie entre la Syrie et l’Égypte, ou encore l’opposition entre les partis Baas syrien et irakien, mettent en évidence des ambitions concurrentes au sein des membres de l’organisation.

Lorsque l’Égypte signe les accords de Camp David avec Israël en 1979, celle-ci se retrouve mise au ban de l’organisation, dont le siège est transféré à Tunis (celui-ci sera néanmoins réinstallé au Caire en 1990). L’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et la guerre du Golfe qui s’ensuivit fut un autre exemple de désunion au sein de la Ligue.

La signature des accords d’Abraham en 2020 entre les Émirats arabes unis et Israël, sous l’égide de la première administration Trump, témoigne de divisions toujours persistantes.

Une organisation souvent critiquée

Pour ces raisons, la Ligue a souvent été critiquée pour son manque d'efficacité dans la résolution des crises régionales et pour les divergences d'intérêts entre ses membres. L'absence d'un mécanisme d'application contraignant pour ses résolutions constitue l'une des principales faiblesses de la Ligue arabe.

Contrairement à d'autres organisations régionales comme l'Union européenne, elle ne dispose pas d'un cadre juridique solide pour obliger ses membres à respecter les décisions prises. Cela réduit son efficacité dans la mise en œuvre des politiques communes et entrave sa capacité à peser sur les grandes questions internationales.

De plus, les intérêts nationaux priment souvent sur l'intérêt collectif, rendant difficile l'adoption de stratégies unifiées. Certains États membres entretiennent des alliances avec des puissances extérieures qui influencent leurs décisions au sein de l'organisation, ce qui accentue les divisions et limite la cohésion de la Ligue arabe.

Enfin, l'organisation a été critiquée pour son incapacité à répondre efficacement aux crises humanitaires touchant la région, comme les guerres civiles et les vagues de réfugiés. L'absence de réponses concrètes face aux bouleversements du Printemps arabe ou aux conflits prolongés dans certains pays a contribué à la perception d'une Ligue arabe inefficace et dépassée.

Malgré ses limites, la Ligue arabe demeure un cadre institutionnel important pour les échanges et la coordination entre les États arabes. Elle continue de jouer un rôle significatif dans les débats politiques et diplomatiques au sein du monde arabe, notamment en soutenant les efforts de paix et en favorisant la coopération économique et culturelle.

Si elle parvient à renforcer son unité et son efficacité, elle pourra devenir un acteur plus influent sur la scène internationale. Dans ce cadre, imposer son propre plan concernant Gaza résonne comme une épreuve-test pour la Ligue arabe.

Commentaires
  • Aucun commentaire