
Alors que les enjeux géopolitiques et économiques du Moyen‑Orient restent plus que jamais au cœur des débats internationaux, une idée qui remonte aux années 1960 refait surface: le projet de canal Ben Gourion. Nommé en hommage à David Ben Gourion, Premier ministre d’Israël et figure emblématique de la création de l’État hébreu, ce projet audacieux envisage de relier le golfe d’Aqaba, à l’extrémité sud d’Israël (Eilat), à la mer Méditerranée, au niveau d’Ashkelon. S’il était réalisé, ce canal – long de 292,9 km, soit près d’une fois et demie la longueur du canal de Suez – constituerait non seulement une prouesse d’ingénierie, mais également un levier stratégique et économique majeur dans une région en constante évolution.
Un héritage historique et stratégique
L’idée d’un canal alternatif n’est pas nouvelle. Dans le sillage de la crise de Suez des années 1950, Israël, privé d’un accès fiable à la route maritime emblématique, a envisagé la création d’un passage autonome pour sécuriser ses échanges commerciaux. Dès 1963, un document déclassifié évoquait même l’utilisation de 520 explosions nucléaires souterraines pour accélérer l’excavation d’un tel canal dans le désert du Néguev – une proposition qui, malgré son audace, symbolisait surtout la volonté de briser la dépendance vis-à-vis d’un canal souvent sujet aux blocages et aux tensions internationales.
Des caractéristiques techniques et économiques remarquables
Le projet de canal Ben Gourion, tel qu’envisagé, présenterait plusieurs atouts:
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Itinéraire et dimension: le canal débuterait à Eilat, traverserait le désert israélien (pouvant s’étendre près de Gaza) et rejoindrait la côte méditerranéenne aux abords d’Ashkelon. Sa longueur de 292,9 km le rendrait nettement plus long que le canal de Suez, qui mesure 193,3 km.
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Capacité et modernité: conçu pour être doté de deux voies permettant une navigation simultanée dans les deux sens, le canal offrirait des dimensions adaptées aux plus grands navires de commerce, avec une profondeur et une largeur supérieures à celles de Suez.
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Investissement colossal: les estimations de coût varient de 16 à 55 milliards de dollars, reflétant l’ampleur des travaux et la technicité requise pour réaliser ce projet d’infrastructure d’exception.
Enjeux économiques et géostratégiques
Au-delà de sa dimension purement technique, le canal Ben Gourion est envisagé comme une alternative au canal de Suez, dont l’importance stratégique ne cesse d’évoluer. En effet, Suez représente aujourd’hui environ 12% du commerce mondial et 30% du trafic de conteneurs, mais il a connu plusieurs interruptions – de la crise de Suez au récent blocage par le porte-conteneur Ever Given – qui soulignent sa vulnérabilité. La perspective d’un nouveau passage maritime, contrôlé par Israël, pourrait transformer les routes commerciales mondiales et redéfinir l’équilibre économique dans la région. Pour certains analystes, la maîtrise d’un tel corridor pourrait offrir à Israël, et à ses alliés, une influence considérable sur le commerce international et l’approvisionnement en énergie.
Controverses et implications régionales
Cependant, ce projet n’est pas sans susciter de vives polémiques. Plusieurs questions se posent:
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Impact sur le conflit israélo-palestinien: le tracé du canal, qui pourrait passer à proximité – voire traverser – des zones sensibles comme Gaza, soulève des inquiétudes quant à une possible instrumentalisation du projet pour redéfinir des frontières ou pour exercer un contrôle accru sur le territoire palestinien.
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Réactions des pays voisins: un canal dirigé par Israël remettrait en question le monopole égyptien, qui tire des revenus non négligeables du canal de Suez. De même, l’opinion publique dans le monde arabe et au-delà pourrait voir dans ce projet une tentative de remodeler les équilibres régionaux de manière unilatérale.
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Défis techniques et financiers: au vu de son coût faramineux et des obstacles environnementaux inhérents à une telle entreprise, la réalisation concrète du canal reste à la fois techniquement et politiquement complexe.
Perspectives d’avenir
Si le projet de canal Ben Gourion continue de faire l’objet de débats et de spéculations depuis plusieurs décennies, son aboutissement dépendra de nombreux facteurs: la stabilité régionale, les partenariats internationaux, ainsi que la volonté politique des acteurs impliqués. Alors que certains voient dans cette initiative une opportunité pour dynamiser l’économie israélienne et sécuriser de nouvelles routes commerciales, d’autres redoutent qu’elle ne soit le prélude à une exacerbation des tensions au Moyen‑Orient.
Pour l’heure, le canal demeure avant tout une vision – un projet ambitieux qui illustre à la fois les aspirations d’indépendance économique et les défis géopolitiques persistants dans une région en quête de nouvelles solutions pour ses vieux problèmes.
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