
Dans la capitale soudanaise Khartoum, dévastée par près de deux ans de guerre, une odeur pestilentielle s'échappe d'un puits de 18 mètres de profondeur. Ce charnier improvisé livre un spectacle macabre alors que des secouristes s'affairent à récupérer les corps.
Vêtus de combinaisons de protection blanches, des membres du Croissant-Rouge extraient un corps bouffi. Après l'avoir minutieusement numéroté, ils le glissent dans un sac mortuaire noir. L'opération se répète quatorze fois sous les yeux des journalistes de l'AFP.
Les corps, sortis des égouts du secteur du Nil-Est, sont ensuite chargés à l'arrière d'un camion-benne.
"Ils ont reçu des balles dans la tête. Certains ont les os broyés, battus à mort avant d'être jetés dans cette fosse commune improvisée", explique Hicham Zein al-Abdine, responsable de la médecine légale au ministère soudanais de la Santé, présent sur les lieux.
Salha Chamseddine, qui habite le quartier, raconte: "la nuit, j'entendais des coups de feu. Puis, je voyais (les paramilitaires) transporter les corps de leurs victimes et les jeter dans ce puits."
La guerre, qui oppose depuis bientôt deux ans l'armée aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), a transformé Khartoum en champ de ruines.
Jadis vibrante, l'agglomération de Khartoum qui comptait sept millions d'habitants est désormais une ville fantôme. La moitié de sa population a fui selon l'ONU, laissant derrière elle un décor de désolation et de mort.
Quartiers désertés
Une guerre dévastatrice oppose depuis avril 2023 le commandant de l'armée et dirigeant de facto du Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhane, à son ex-adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, la tête des FSR.
Selon les estimations de l'ONU, le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné plus de 12 millions de personnes, dont plus de 3,5 millions ont trouvé refuge au-delà des frontières.
Après avoir perdu la majorité de Khartoum au profit des FSR, l'armée a repris ces derniers mois plusieurs quartiers, dont Bahri - aussi appelé Khartoum-Nord - et celui du Nil-Est à l'est.
A présent, moins d'un kilomètre sépare l'armée, présente dans le centre de la capitale, du palais présidentiel, tenu par les FSR.
Malgré les avancées de l'armée, le général Daglo jure que ses troupes ne se retireront pas de la capitale. "Nous ne quitterons pas le Palais républicain", a-t-il déclaré samedi dans une allocution vidéo postée sur Telegram.
"Nous irons même jusqu'à Port-Soudan", a-t-il ajouté, en référence à la capitale de facto, bordant la mer Rouge dans le nord-est du pays, où siège désormais le gouvernement depuis la chute de Khartoum aux mains des paramilitaires.
L'AFP a, sous escorte militaire, pu se rendre à Bahri et ses environs, à partir de la ville jumelle de Khartoum, Omdurman, reprise par l'armée l'année dernière.
Le convoi a traversé des quartiers lugubres et désertés, dont celui de Al-Haj Youssif, avec les devantures métalliques des magasins fermés et des trottoirs défoncés.
Le long des rues s'entassent les décombres et des ordures.
Aux coins de certaines rues, de rares habitants errent à l'ombre des bâtiments et des magasins vides, criblés de balles, le regard perdu devant la désolation. Les hôpitaux et les écoles, eux aussi, sont déserts.
L'armée affirme avoir découvert plusieurs charniers, dont un au sein du tribunal d'Omdurman.
Famine
Pour les survivants, témoins au début du mois du retour de l'armée dans le quartier, vivre reste un défi.
L'électricité est coupée, l'eau potable se fait rare et les réserves de nourriture s'amenuisent.
Dans une rue calme de Bahri, une quarantaine de femmes, assises sous une tente improvisée, préparent des repas pour le Ramadan dans une des cantines solidaires.
Elles remuent des grands pots d'assida - une épaisse bouillie faite de farine de maïs - et de lentilles qui cuisent sur du feu de bois.
Le gaz n'est plus disponible. Les camions d'eau viennent désormais d'Omdurman, un progrès par rapport à l'époque où les tireurs embusqués visaient les habitants qui cherchaient à atteindre l'eau du Nil.
Les cantines solidaires, dernier rempart contre la famine de masse, selon l'ONU, ont du mal à survivre même si la situation s'est relativement améliorée.
"Quand les FSR étaient là, tout l'argent que nous recevions, ils le prenaient," raconte Mouayad al-Haj, bénévole à la cantine solidaire de Bahri.
"Aujourd'hui les conditions sont plus favorables, le téléphone remarche et nous allons à Omdurman toutes les deux semaines pour acheter des provisions," a-t-il expliqué à l'AFP.
La guerre a provoqué l'une des pires crises humanitaires au monde. Selon les estimations de l'ONU, environ deux millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire extrême et 320.000 souffrent déjà de famine.
Par Abdelmoneim ABU IDRIS ALI, AFP
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