Boualem Sansal menacé de 10 ans de prison en Algérie
Boualem Sansal ©Markus Wissmann / Shutterstock.com

Le parquet algérien a requis dix ans de prison contre l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, accusé d’atteinte à l’intégrité territoriale. Son procès exacerbe les tensions déjà vives entre Alger et Paris.

Le parquet algérien a requis jeudi dix ans de prison ferme à l'encontre de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, accusé d'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Algérie, dont le cas a envenimé des tensions déjà fortes entre Alger et Paris.
Le tribunal correctionnel de Dar El Beïda, près d'Alger, rendra son jugement le 27 mars dans le procès de ce romancier connu pour ses critiques du pouvoir algérien et des islamistes, emprisonné depuis le 16 novembre à Alger, selon les médias Echorouk et TSA.

L'affaire Sansal a aggravé les tensions entre Paris et Alger, dont les relations s'étaient brutalement dégradées après la reconnaissance, en juillet 2024, par le président français Emmanuel Macron, d'un plan d'autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental.
Ce territoire non autonome, au statut à définir selon l'ONU, est le théâtre d'un conflit depuis cinquante ans entre le Maroc, qui en contrôle de facto 80 %, et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger.

Boualem Sansal, âgé de 80 ans selon son éditeur français Gallimard, a été accusé, entre autres, d'"atteinte à l'unité nationale, outrage à corps constitué, pratiques de nature à nuire à l'économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays".
Selon l'accusation, l'écrivain a tenu des propos portant atteinte à l'intégrité du territoire algérien, lorsqu'il a fait des déclarations en octobre dernier au média français Frontières, réputé d'extrême droite, reprenant la position du Maroc selon laquelle son territoire aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l'Algérie.

Le procès s'est déroulé "ce jeudi dans des conditions ordinaires, sans dispositions particulières", selon le journal arabophone Echorouk, qui a noté que Boualem Sansal avait "préféré assurer lui-même sa défense", sans recourir à un avocat.
Dans un communiqué reçu par l'AFP, son avocat français, Me François Zimeray, a dénoncé "un procès fantôme tenu dans le plus grand secret, sans défense, incompatible avec l'idée même de justice", rappelant avoir saisi "les organes compétents du Haut-Commissariat des droits de l'homme de l'ONU d'une plainte contre l'Algérie" pour détention arbitraire.
Une démarche qu’il avait annoncée à la mi-mars, assurant que Boualem Sansal n’avait pas un accès normal à des avocats ni à des soins médicaux. Des affirmations alors démenties par le bâtonnier d’Alger, Mohamed Baghdadi, qui avait assuré que Boualem Sansal voulait se défendre seul et poursuivait son traitement contre le cancer.

"Exprimer une opinion" 

Selon un journaliste d’Echorouk, M. Sansal est apparu "en bonne santé" et a nié devant le tribunal toute intention de porter atteinte à l’Algérie, assurant n’avoir fait qu’"exprimer une opinion comme tout citoyen algérien". Selon la même source, il a dit n’avoir pas imaginé que ses déclarations pouvaient porter atteinte aux institutions algériennes.
Après le revirement français sur le Sahara occidental, dossier sur lequel Paris était auparavant plus neutre, l’Algérie a retiré depuis l’été dernier son ambassadeur à Paris et menacé la France d’autres représailles.
À partir de l’automne, l’affaire Sansal a eu un grand retentissement en France où il a reçu le soutien des cercles intellectuels et politiques.

L’arrestation à Paris début janvier d’influenceurs algériens pour apologie de la violence, puis le refus de l’Algérie d’accepter d’autres ressortissants expulsés de France, ont encore aggravé la situation. L’un des influenceurs refoulés par l’Algérie en janvier, appelé Doualemn (de son vrai nom Boualem Naman), avait été au cœur d’une vive polémique après avoir tenu des propos violents sur les réseaux sociaux, avant d’être arrêté en France en vue de son expulsion vers son pays d’origine.

Le cas de Boualem Sansal symbolise un tournant dans les relations diplomatiques déjà fragiles entre la France et l'Algérie. Sa détention, couplée aux refoulements d'influenceurs algériens par leur pays d'origine et aux déclarations musclées des autorités françaises, cristallise des tensions où s’entremêlent enjeux de liberté d’expression, politique migratoire et différends géopolitiques.

Figure littéraire majeure et lauréat de nombreux prix, dont le Grand Prix de la francophonie de l’Académie française, Sansal est depuis longtemps une voix critique du système politique algérien, notamment dans ses romans comme Le Serment des barbares ou 2084: La fin du monde. Pour ses soutiens, le placer sur le banc des accusés revient à bâillonner la pensée libre dans un climat répressif grandissant.

Dans les milieux littéraires et politiques français, sa condamnation est considérée comme une atteinte grave à la liberté d’opinion. À mesure que l’échéance du jugement approche, les appels à sa libération se multiplient, tandis que les autorités algériennes, elles, ne cèdent rien sur le fond du dossier.

L’issue du procès, attendue le 27 mars, pourrait marquer un nouveau jalon dans la dégradation des relations entre les deux pays, à moins qu’un geste politique fort n’ouvre la voie à une désescalade et à la libération de celui que beaucoup considèrent comme l’un des derniers grands écrivains algériens contemporains.

Avec AFP

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