
Des rues poussiéreuses de Bangui aux montagnes du Liban, plus de 70.000 Casques bleus risquent aujourd'hui leur vie pour maintenir une paix souvent précaire. Ces missions, qui mobilisent des soldats de 125 pays, représentent la face la plus risquée de l'action onusienne. Mais que savons-nous vraiment de ces opérations qui, depuis plus de 70 ans, tentent de transformer des cessez-le-feu précaires en paix durable?
De quoi s’agit-il?
Les missions de maintien de la paix remplissent plusieurs fonctions essentielles. Elles surveillent les cessez-le-feu et empêchent la reprise des hostilités, tout en créant des zones tampons entre les parties belligérantes. La protection des populations civiles menacées constitue notamment la priorité majeure de ces opérations.
Elles assouplissent aussi les processus politiques et la réconciliation nationale, tout en soutenant le désarmement, la démobilisation et la réintégration des combattants dans la vie civile.
Trois principes fondamentaux constituent la pierre angulaire des missions de maintien de la paix: le consentement des parties impliquées, l’impartialité (à ne pas confondre avec inactivité ou neutralité) des garants de la paix, ainsi que le rejet de la violence, sauf en cas de défense.
La première mission de ce type, l'Organisation des nations unies pour la surveillance de la trêve (Onust), a été déployée en 1948 pour surveiller l'armistice entre Israël et ses voisins arabes. Cette mission existe encore aujourd'hui, témoignant de la longévité potentielle de ces opérations.
Les pays impliqués
Les opérations de maintien de la paix mobilisent un large éventail de pays contributeurs. Concernant les fournisseurs de troupes, ce sont traditionnellement les pays en développement qui apportent la majorité des Casques bleus. Les plus importants contributeurs incluent le Bangladesh, l'Éthiopie, le Rwanda, l'Inde, le Népal, le Pakistan, l'Indonésie et le Ghana.
Quant au financement, les opérations sont principalement soutenues par les pays développés, avec les États-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France en tête des contributeurs.
Cette division entre ceux qui paient et ceux qui envoient des troupes crée parfois des tensions au sein du système. Actuellement, les missions de l'ONU déploient du personnel provenant de plus de 120 pays, ce qui en fait l'une des forces les plus internationales au monde.
Le budget et les ressources
Le budget alloué aux opérations de maintien de la paix est distinct de celui de l'ONU. Il est approuvé annuellement pour l'ensemble des opérations de maintien de la paix et s'élève à environ 5,6 milliards de dollars (pour l'exercice 2024-2025), ce qui représente moins de 0,5% des dépenses militaires mondiales.
Ce budget finance actuellement 12 opérations actives, déployant environ 75.000 personnels en uniforme (militaires et policiers) et 13.000 personnels civils. Le coût moyen d'un Casque bleu est estimé à environ 1/8 du coût d'un soldat déployé par les États-Unis ou d'autres pays occidentaux, ce qui fait des opérations de l'ONU une option relativement économique.
Depuis le milieu des années 2000, on observe une tendance à la stagnation puis à la diminution du personnel déployé, après une forte expansion dans les années 1990 et au début des années 2000. Cette évolution reflète en partie l'engagement occidental en Afghanistan et d'autres priorités stratégiques changeantes.
L'efficacité démontrée par la recherche
Plusieurs études académiques rigoureuses ont évalué l'impact des opérations de maintien de la paix. Les travaux de Virginia Page Fortna (Columbia University) ont démontré que la présence de Casques bleus réduit de 55% à 84% le risque de reprise des hostilités après un conflit. Ses recherches, publiées notamment dans "Does Peacekeeping Keep Peace?" (International Studies Quarterly, 2004), établissent que cette efficacité persiste même après avoir contrôlé d'autres facteurs comme l'intensité du conflit précédent, l'issue militaire et la signature d'un traité de paix.
Les recherches de Lisa Hultman, Jacob Kathman et Megan Shannon, publiées dans l'American Political Science Review (2013), ont quantifié l'impact sur la protection des civils: chaque déploiement supplémentaire de 1.000 soldats de la paix est associé à une réduction de 7,3% des victimes civiles. Leurs travaux montrent également que les missions avec un mandat explicite de protection des civils sont particulièrement efficaces.
Concernant la contagion régionale, les études de Han Dorussen et Theodora-Ismene Gizelis (University of Essex) ont établi que les opérations de maintien de la paix réduisent significativement le risque que les conflits ne débordent sur les pays voisins, créant des “îlots de paix” même dans des régions instables.
Néanmoins, la présence de milices extra-étatiques entrave fréquemment le bon déroulement des missions onusiennes en leur mettant des bâtons dans les roues.
Après tout, il est difficile d’employer une logique fondée sur le droit et le respect des normes internationales avec une entité qui bafoue les deux. Toute ressemblance avec certaines réalités contemporaines serait purement fortuite.
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